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Titulaire de plus de 227 récompenses internationales, Kavalan est la belle surprise de ces dernières années. À l’occasion de son passage à Paris, Y.T. Lee a accepté de nous rencontrer pour une interview marathon. Trente minutes chrono, et des poussières.

Coup de téléphone sur mon portable. « M. Lee est à Paris demain. Tu as un créneau de trente minutes pour l’interviewer. Ok pour toi ? » Ok pour moi ? Quelles questions ? Est-ce que le pape est catholique ? Quand on vous propose de rencontrer l’un des plus grands succès du whisky de ces dernières années, la question ne se pose même pas. En attendant que M. Lee termine son déjeuner, j’attends mon tour, au bar de l’Apicius, dans la chaleur déjà caniculaire de ce mois de juin. Mes questions sont prêtes, mon iPhone chargé à 100 % pour enregistrer, la table à l’écart pour ne pas être importuné. Trente minutes, une gageure, pas le temps d’en perdre… Alors que M. Lee arrive, souriant, escorté par son assistante, et ses filles, la cata : un groupe d’avocats (très) bruyants s’installent à deux tables de la mienne, avec l’idée de prolonger leur déjeuner d’affaires visiblement réussi. Trente minutes. Trouver une salle. À l’écart. C’est bon ! Sauvé. Un salon privé, trente minutes, c’est parti. Top chrono !

En 2006, la première goutte de new make coule. Qu’avez-vous en tête à ce moment-là ?

M. Lee : Nous rêvions, mon père et moi, depuis toujours de nous investir dans le whisky. Le premier jour de distillation nous rendait enthousiaste. Avec un enjeu : produire le tout premier whisky taïwanais et être par conséquent le numéro un à Taïwan. Ce que nous voulions avant tout, c’était produire le whisky le meilleur. Mais l’enthousiasme se mêlait à l’inquiétude. La pression était très forte. Au départ, les experts que nous avions fait venir des quatre coins du monde ne voyaient pas comment Taïwan pourrait un jour avoir la chance de se doter de son propre whisky, qui plus est d’un whisky de qualité.

L’impossible ne vous a donc pas arrêté…

M. L. : Notre philosophie, c’est l’impossible devenu possible. De toute façon, nous n’avions aucune garantie que le succès soit au rendez-vous. King Car (conglomérat dont Kavalan représente 3 % du chiffre d’affaires annuel, ndlr) est une entreprise familiale dont nous sommes les seuls actionnaires. La prise de décision est par conséquent relativement simplifiée : mon père et moi-même prenons ensemble toutes les décisions.

Concrètement, comment ça s’est passé ?

M. L. : Les choses se sont faites progressivement. Dans le segment des whiskies très âgés, jamais nous n’aurions pu concurrencer les distilleries traditionnelles ayant une si longue histoire derrière elles. Nous ne pouvions pas attendre 12 ans, voire 21 ans avant de commercialiser nos embouteillages. À Taïwan comme à l’étranger, on regardait avec pessimisme l’avenir de notre whisky et notre capacité à promouvoir notre marque. C’est pourquoi nous nous sommes donné les moyens de participer aux foires et concours internationaux, au plus grand nombre possible, dans l’idée de présenter notre whisky à un public d’experts internationaux. À ce jour, nous avons engrangé quelque 227 médailles d’or. Et même, le mois dernier, la double médaille d’or à San Francisco. Remporter les Worlds Whisky Awards en 2015 et 2016, parmi des whiskies originaires du monde entier a renforcé notre notoriété auprès de l’industrie.

C’est une passion commune avec votre père qui vous a conduit dans cette aventure ?

M. L. : En 1997, nous projetions de produire de la bière, mais en raison d’un monopole d’État, nous avons abandonné notre projet, tout en nous intéressant de plus en plus à l’univers des spiritueux. La décision n’a pas été prise du jour au lendemain : nous avons effectué de nombreuses recherches sur les différents spiritueux et analysé en détail cet univers, du cognac au whisky. Le choix du whisky a été mûrement réfléchi. La part de marché du cognac à Taïwan est toujours considérable, mais celle du whisky enregistre une croissance régulière. Il convient toutefois de distinguer, dans la catégorie des whiskies, les malts, les blends et les single malts. Seul le marché du single malt affiche une croissance régulière, c’est pourquoi nous avons opté pour ce dernier. Et dans la catégorie des single malts, les whiskies premium, de qualité et de prix supérieurs, sont les plus demandés. Nous nous sommes donc progressivement développés au cours de cette période. Durant les dix dernières années, nous sommes passés de deux à cinq chaînes de production et en avons inauguré cinq autres cette année. Avec ces dix chaînes de fabrication, notre production annuelle atteint aujourd’hui les 10 millions de cols. C’est un investissement à long terme, pour les dix à vingt ans à venir.

Un consultant en particulier a cru en Kavalan, je pense à Jim Swan.

M. L. : Jim Swan n’était pas notre consultant à l’origine. Mais il a été un excellent ami, et notre mentor. Pour lui aussi, c’était un vrai défi, car il n’avait jamais rien fait de tel en Asie auparavant. Dès l’origine, nous avons organisé des séances de remue-méninges pour mettre au point le modèle économique et réfléchir aux types de fûts et aux styles de whiskies le mieux adaptés au climat taïwanais. Nous procédons aujourd’hui encore à des essais pour déterminer le type de fût qui représenterait la meilleure option pour la maturation de notre whisky.

À quoi tient le succès de Kavalan ?

M. L. : Au travail d’abord. Mais aussi aux conditions de production. L’eau du comté de Yilan est un paramètre essentiel. Tout comme le climat particulier de Taïwan, son fort taux d’humidité et ses températures très élevées en été. Le climat relativement chaud durant la saison estivale explique la rapidité du vieillissement de notre whisky par rapport aux whiskies d’Europe et d’Écosse*.

Et concernant les fûts ?

M. L. : La sélection de nos fûts aussi fait systématiquement l’objet de discussions avec nos consultants, mais nous ne craignons pas de faire de nouvelles expériences et nous aimons nous remettre en question. Nous analysons par conséquent de façon très spécifique nos fûts, surtout les moins conventionnels, en ciblant les éléments chimiques nuisibles qui risqueraient d’affecter la qualité de notre whisky.

Vos goûts personnels peuvent influer cette sélection ?

M. L. : C’est une possibilité, surtout pour les barriques du Bordelais. À franchement parler, nous avons testé les fûts de différents châteaux, Latour, Lafite Rothschild et Margaux, mais même si ces grands crus sont des vins excellents, cela ne signifie pas pour autant que leurs fûts conviennent à l’élevage de notre whisky. En tout cas, le doute persiste, de sorte que nous continuons à les tester dans notre distillerie. Nous travaillons sur cette question depuis trois ans déjà et nous surveillons ces fûts de près pour savoir s’ils influencent positivement notre whisky.

Vous misez beaucoup, on le constate, sur la recherche.

M. L. : C’est essentiel ! Notre département d’analyses et de recherche emploie une trentaine de personnes. Ayant déjà une certaine expérience dans l’industrie agroalimentaire, certains de nos employés sont par exemple spécialisés en contrôle-qualité des matières premières. Qu’il s’agisse de grains de café ou d’orge, nous les analysons en détail : nous disposons de la technologie qui nous permet d’identifier plus de 360 composés chimiques d’origine agricole, de même que les métaux lourds et d’autres éléments. La réglementation en la matière est draconienne. De même pour ce qui concerne la recherche des pesticides, nous nous conformons strictement à la réglementation.

En matière d’export, aujourd’hui, que visez-vous ?

. L. : Taïwan est un marché mature, mais restreint. La capacité de ce marché atteint à peine 400 million d’euros environ. Notre priorité, c’est d’exporter. Les marchés les plus importants pour nous sont l’Europe et les États-Unis. La France est le pays européen sur lequel nous nous focalisons principalement. Nous privilégions une approche dynamique des nouveaux marchés. Nous sommes présents dans 41 pays au total, notamment en Chine, en Russie et au Japon. Il est essentiel pour nous de pouvoir investir dans ces nouveaux marchés, comme par exemple dans le marché américain où nous avons consenti une campagne publicitaire très onéreuse, dans le magazine Times et à Time Square.

On peut vous imaginer sur d’autres marchés ?

M. L. : Nous n’avons pas à l’heure actuelle de projet de blend. Nous nous focalisons sur le single malt. Mais nous préparons le lancement d’un gin et d’un gin tonic. De même que d’un cocktail highball à base de whisky. Et puis, il y a la bière. Pas une bière ordinaire, mais une bière de qualité supérieure. Elle devrait être commercialisée à la fin de cette année. Nous allons ouvrir un bar aussi, à Taïwan. À Taipei, plus précisément. Au début de l’année prochaine.

Comment décririez-vous votre whisky ?

M. L. : C’est un whisky purement taïwanais, qui n’a pas froid aux yeux. Il représente la vibration du climat tropicale de Taïwan. Nous produisons environ 10 millions de bouteilles par an et nous ne prévoyons pas à l’heure actuelle d’accroître nos capacités de production, la priorité pour la prochaine décennie étant le développement des marchés ainsi que des campagnes marketing.

Par François de Guillebon

 

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