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Une insatiable soif d’exploration, voilà la différence entre Velier et la concurrence. Entre Luca Gargano et le reste du monde. À l’occasion du 70e anniversaire de la société génoise, Whisky Magazine & Fine Spirits revient sur les dates clés de la story Velier et pose quelques questions au maestro.

Velier a une avance considérable sur ses concurrents et repousse sans cesse les frontières du temps. On lui doit des trésors que l’on croyait à jamais disparus, les tout premiers rhums single cask et full proof de chez Demerara Distillers Limited au vieillissement 100 % tropical, la découverte du stock Caroni, les clairins et dernièrement les tout premiers Jamaïcains vieillis de chez Hampden. En amoureux des belles et des bonnes choses, Luca Gargano aura eu l’ingénieuse idée de proposer chacune de ses découvertes avec le plus d’authenticité possible, brute et non polie par les normes devenues bien trop ennuyeuses. Exit le vieillissement continental et la classique dilution, et vive la nature du rhum qu’il livre nu et sans artifice, jusqu’à le défendre corps et âme via une nouvelle classification qui bouscule les codes. Car Luca Gargano n’a pas fait que des découvertes, il a surtout mis en valeur des traditions et des terroirs exceptionnels en leur donnant une parole libérée, sans édulcoration. Il a rendu accessible l’inaccessible et a brisé bien d’autres frontières. Celles qui nous séparent par la distance, en apportant dans nos verres des pans de civilisations entières et de traditions séculaires.

1er novembre 1989

C’est la date à laquelle Velier prend ses quartiers dans la ville de Gênes et plus particulièrement à la Villa Paradisetto située dans le quartier d’Albaro, annexée à la célèbre Villa Saluzzo Bombrini construite à la fin du XIXe. D’une petite douzaine d’employés à ses débuts, la société Velier passera en quelques années à soixante jusqu’à occuper tout le premier étage de la Villa.

1990, le premier trésor

Le rhum Saint James millésime 1885 a été le premier trésor caché découvert par Luca Gargano et le plus vieux millésime jamais commercialisé. Alors qu’il travaille pour la distillerie depuis 1975, il entend parler d’un stock de rhum légendaire, qu’il découvrira finalement dans les années 90 dans une remise annexée à la distillerie. Après une dégustation qui restera sans doute gravée à jamais dans sa mémoire, il en achètera trois cents bouteilles qu’il commencera à vendre à des restaurateurs.

1991, première sélection Velier

Alors que Luca Gargano travaille toujours pour Saint James dans les années 70, il reçoit un coup de fil de son agent qui lui annonce que le célèbre restaurateur italien Peppino Cantarelli veut lui commander six cents bouteilles de rhum Saint James. Quinze ans plus tard, Luca propose à Mr Cantarelli de sortir une cuvée spéciale en son hommage : le Bally Riserva Cantarelli. Le restaurant est alors fermé depuis cinq ans et la sélection mutuelle se fait sur un millésime 1970 de chez Bally, qui officialise le premier embouteillage spécial sous le nom de Velier. Même l’étiquette a une histoire pour le moins inattendue : le tout premier scanner vient de sortir et Luca décide de personnaliser le visuel en scannant une veste Madras qu’il venait d’acheter en Martinique pour offrir à sa fille Maria Margaux alors âgée de 5 ans.

2001, premier agricole et premier rhum full proof

C’est durant l’année 2001 que Velier sort officiellement son tout premier rhum agricole full proof que Luca sélectionne directement chez Damoiseau en Guadeloupe. Nous sommes à la fin des années 90 et le Damoiseau millésime 1980 voit le jour au degré naturel. Proposé à 60,3 %, il marquera un profond changement dans les mœurs en permettant d’ouvrir le chemin du rhum brut de fût.

2002, les premiers Demerara

« Luca, you are my friend, you are my brother, you are my son », c’est par ces mots que Yesu Persaud, ancien directeur de Demerara Distillers Limited parle de Luca.​ Une amitié sincère qui le conduira à accepter de faire de Velier un partenaire à part entière de la distillerie du Guyana dès 2003. Mais les premières sélections officielles et personnelles remontent à 2002 avec la série Port Mourant 1982, Diamond 1982 et Albion 1984. En 2006 apparaissent les toutes premières “black bottles” et les premiers Full proof Demerara Old Rums. L’idylle durera jusqu’à la retraire de Yesu et aura permis de donner l’énorme opportunité à Luca de choisir parmi les nombreux vieux fûts de chez Demerara et d’embouteiller certains des rhums les plus recherchés aujourd’hui.

9 décembre 2004, un jeudi sous le signe du Caroni

Alors qu’il organise en collaboration avec le photographe Fredi Marcarini et Urska Puspan plusieurs voyages dans les Caraïbes et les Amériques, afin de préparer la documentation pour un livre sur le rhum, de 2002 à 2004, Luca atterrit en décembre 2004 à Trinidad pour visiter les deux distilleries encore en activité sur l’île : Angostura et Caroni. Après avoir visité et photographié la première, la surprise arrive à la seconde. « Quand nous arrivons aux portes de la distillerie Caroni, nous sommes confrontés à une scène de fin du monde : l’herbe haute recouvre les rails sur lesquels était transportée la mélasse et les constructions penchent comme la Tour de Pise… Pour moi qui croyais trouver la distillerie encore ouverte, c’était un choc ». Luca trouve alors un moyen de faire ouvrir quelques portes et découvre un stock de très vieux rhums qui marquera l’histoire…

2006, l’aventure RhumRhum, Pour Marie Galante (PMG)

C’est l’aboutissement d’un rêve que Luca Gargano traînait depuis son plus jeune âge lorsqu’il était dans les Antilles : produire un rhum agricole comme on pouvait en faire autrefois. RhumRhum naîtra de ce projet fou à Marie Galante en collaboration très étroite avec son ami Capovilla, reconnu comme étant un des meilleurs distillateurs au monde. Le pur jus de canne à sucre est mis à fermenter dix jours sans aucun ajout d’eau, puis distillé comme si on distillait une poire ou une pomme. Deux petits alambics en cuivre à bain-marie font le reste, habilement maîtrisés sur les conseils de Capovilla. Et comme si le projet n’était pas assez insolite, la date reprise sur les étiquettes fait référence au moment où est assemblé le rhum, où il est “libéré”.

Février 2012, Haïti mon amour

Il y a encore quelques années, personne ne connaissait le clairin. Boisson favorite du peuple et rhum du pauvre par excellence, cette boisson indissociable de la culture haïtienne, ancrée jusque dans les rites vaudous, sera sortie des sentiers battus lorsque Luca décide en 2012 de mettre en avant trois distillateurs locaux, Casimir, Sajous, et Vaval. Considéré comme l’expression la plus pure de l’eau-de-vie de canne, le clairin est sans doute le dernier lien encore vivant avec une histoire, qui ailleurs, semble révolue : celle de l’authenticité. Aujourd’hui, Luca a fait construire un chai de vieillissement sur place et a débuté le vieillissement de ses eaux-de-vie historiquement proposées blanches.

2015, l’aventure jamaïcaine

En octobre 2015, Luca sélectionne dans les chais de Hampden un rhum qui marquera l’histoire à plus d’un titre. Sorti en 2016 sous sa gamme Habitation Velier, le rhum Hampden HLCF est le tout premier embouteillage original (distillé et vieilli) à sortir de la distillerie depuis 1753, année depuis laquelle la distillerie jamaïcaine n’a cessé de produire du rhum. Cette année, il a acheté l’intégralité du stock de Hampden et attend avec impatience de voir ce qu’un vieillissement entièrement tropical apportera aux prochaines sorties.

Par Cyril Weglarz

INTERVIEW

LUCA GARGANO

 » Nomade explorateur avant-gardiste « 

L’histoire de Velier commence en 1947. Quelle était alors son activité et quand arrivez-vous à sa tête ?

Depuis 1947, Velier est un importateur de vins et de liqueurs mais aussi d’un cacao de Hollande.

Je suis entré dans son capital (en achetant 33 %) en 1983 à l’âge de vingt-sept ans. Je travaillais alors en tant

que directeur marketing pour Spirit SpA (plus grosse société d’importation en Italie, ndlr) et je

ne voulais pas rester dans une société qui allait fatalement être rachetée par une multinationale. Je

voulais plutôt trouver une société avec un mode de fonctionnement plus familial et humain, qui

collait avec ma vision.

Vous avez été le premier à importer les vins du Nouveau Monde en Europe à la fin des années 80 (1988), puis début 90 commence l’aventure rhum au sein de Velier. Que de chemin parcouru…

Après l’importation des vins du Nouveau Monde, j’ai pensé que le temps était venu de commencer

à importer du rhum. Cela fait alors sept ans que j’étais arrivé chez Velier et, à cette époque, le marché était

quasi inexistant en Italie (excepté Bacardi et quelques autres rares marques).

J’ai alors commencé à importer des marques alors inconnues ici et même en Europe, à faire venir

des rhums de producteurs qui ne comprenaient d’ailleurs pas que l’on puisse s’intéresser à eux

au-delà de leurs frontières. C’est une époque où j’ai aussi découvert Demerara Distillers

Limited et rencontré Yesu (Yesu Persaud, ancien directeur de DDL, ndlr), en étant le premier importateur de

leur rhum El Dorado en Europe. C’est même à ce moment précis que j’ai pris conscience de la

richesse du rhum, car jusqu’en 1988-1989, le rhum se résumait pour moi à l’agricole, à mes

voyages en Martinique et en Guadeloupe, et ce n’est que dans les années 90 que je commence

vraiment à voyager et à explorer en profondeur cet univers. Avec DDL, j’ai découvert une distillerie

qui faisait encore fonctionner des pot still, avec un passé historique lourd de sens. Je commence

alors à comprendre et à cataloguer les rhums, à explorer plus en profondeur en visitant les Antilles.

Ce n’était pas encore une recherche qualitative mais plus une exploration d’un monde encore

inconnu, en solitaire et bien avant que le rhum explose.

Vous sortez beaucoup de rhums pour fêter le 70e anniversaire de Velier. S’il fallait n’en retenir qu’un ou deux, quel serait votre choix ?

Au niveau sentimental je dirais le Neisson 1997, RhumRhum 2007 et Destino 2003 de Foursquare

parce que Gregory Neisson, Gianni Capovilla et Richard Seale m’ont fait l’honneur de me proposer leurs

plus vieux rhums en stock. C’est un cadeau inestimable pour notre anniversaire, mais aussi une

preuve d’amitié et de confiance très importante pour moi. Et en plus ce sont de très grands rhums.

S’il fallait retenir quelques souvenirs depuis les débuts l’aventure Velier ?

La découverte de Caroni, sans hésiter. C’est la chose qui m’a le plus surpris dans ma vie, c’était juste

surréel et le cheminement des événements était tellement improbable. Ce fut un choc !

Après, mon souvenir le plus sentimental serait sûrement la découverte du clairin. Ce sont des

moments extraordinaires et plein de surprises : les pistes interminables pour découvrir de petits

agriculteurs si talentueux et respectueux de leurs produits. Je ne pensais vraiment pas que ça

pouvait encore exister, et je ne pensais pas non plus que le clairin plairait autant au final, mais je

sentais qu’il fallait le faire, et malgré les barrières je ne regrette pas une seconde. C’est comme pour

le Skeldon 1978, je me demande encore aujourd’hui comment je suis tombé sur ce fût dans les

entrepôts de Demerara Distillers Limited, juste parce que le moment d’une seconde j’ai

vu ces inscriptions (mark) que je ne connaissais pas sur un fût presque caché derrière le reste. C’est

une découverte hasardeuse et improbable, lourde de sens. Et bien sûr il y a les vins naturels et

l’aventure Triple A…

S’il fallait retenir une anecdote ?

Quand je suis allé voir Mr Damoiseau en Guadeloupe pour visiter sa distillerie pour la première

fois. Ce jour-là j’avais rendez-vous à 9h30 et j’ai voulu faire un détour sur une plage tranquille pour

me baigner avec ma copine de l’époque. Nous quittons notre hôtel à 7h30 et nous trouvons

rapidement une petite plage déserte, puis nous garons la voiture pour nous changer. Le niveau de la

mer était tellement bas que je ne suis pas resté plus de cinq minutes avant de retourner me changer à la

voiture. Et là surprise, je vois un trou de cinq centimètres à côté de la poignée de la porte qui avait été forcée ! À

l’intérieur, je m’attends à ne plus retrouver mon passeport, ma carte de crédit et une Rolex, et tout ce

qu’il manquait était un peu d’argent… et le string de ma copine ! À cet instant, je me suis dit que la

journée allait être chanceuse. Et c’est quelques heures plus tard que je découvrais l’existence du

Damoiseau 1980.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour les soixante-dix ans à venir ?

C’est sûrement un rêve impossible, mais j’espère que dans soixante-dix ans, et dans le futur en général, il y

aura eu une vraie prise de conscience des politiques qui protégeront encore la vraie biodiversité de

l’agriculture, et non les lobbys. Cela permettrait par conséquent d’avoir de belles eaux-de-vie, de

sauvegarder des variétés de fruits et de canne qui sont aujourd’hui empoisonnés dans de nombreux

pays. Nous ne devons pas prendre le risque de perdre tous ces hommes et leur savoir-faire, leurs

traditions : ce serait une perte énorme pour l’humanité… J’espère qu’il y aura quelques États qui

défendront et chercheront à développer une agriculture saine, et à partager leurs spécificités au lieu

de vouloir copier le monde. Remettre l’agriculture au centre, car sans elle nous ne sommes rien.

Votre plus grande fierté ?

D’avoir su rester intègre depuis mes débuts et de n’avoir jamais cherché à mentir lorsqu’on me

posait des questions sur mon travail. Certains pensent que la découverte de Caroni ou d’autres

choses sont fantasmées mais cela m’est vraiment arrivé comme ça. Ce ne sont pas des histoires et

j’ai toujours été honnête avec les gens, c’est ma plus grande fierté.

Que souhaitez-vous que les gens retiennent de votre travail ? Si quelqu’un découvre le nom de Luca Gargano dans le dictionnaire dans cinquante ans, quelle pourrait en être la définition ?

Peut-être que je suis un nomade explorateur avant-gardiste, quelqu’un à contre-courant et un fervent

défenseur des choses naturelles, de l’agriculture. Un homme simple qui a exploré des régions

connus et inconnues avec le plaisir de faire découvrir des produits comme le rhum, le clairin.

Pas de quoi être dans un dictionnaire. J’espère aussi rester comme celui qui a été le premier à mettre en place

un protocole sur le vin naturel (Triple A), et qui a cherché à créer une nouvelle classification pour

proposer plus de traçabilité pour l’amateur, pour lui donner de vrais repères.

Après les Demerara, Caroni et les clairins, qu’est ce que vous nous réservez comme découvertes ?

Hampden, et je veux dire le vrai Hampden ! Je pense que les gens n’ont pas encore réalisé que le

HLCF (Hampden 2010 HLCF, ndlr) est le premier embouteillage original de la distillerie depuis

1753, qui a vieilli intégralement sur place. Et après avoir acheté tout leur stock, nous pourrons faire

découvrir un vieillissement tropical dans les futures années et voir l’évolution de l’ensemble du stock.

Et sinon, faire découvrir aux amateurs de nouveaux rhums “moonshine”, de petites productions à

l’image du clairin comme j’ai pu trouver au Mexique ou avec le vrai grog, ou encore en

Amérique du Sud où j’ai trouvé de petits “sajous”. J’aimerais beaucoup leur donner une visibilité et

un futur. C’est très long et fastidieux mais faire découvrir des rhums faits par de petits agriculteurs

dans leur village est une mission qui me tient très à cœur.

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