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Quelques gouttes de Perfidie, un trait d’Hystérie, un soupçon de Procrastination : avec ces 3 liqueurs à forte personnalité, le duo féminin d’H.Theoria invite à laisser la vertu au vestiaire pour laisser s’exprimer nos failles dans le verre. Attention, rien ne se déroulera comme prévu…

 

« Je voulais que cette liqueur ressemble à un poison, qu’on ait envie d’y retourner malgré nous, comme vers une drogue. Un poison lent, aux notes de soufre, que je suis allée chercher dans la tomate et le cassis qui en regorgent. Un poison addictif, au taux d’alcool traitreusement plus élevé. » Ainsi est née Perfidie, la plus sulfureuse des liqueurs créées par Marlène Staiger. Une douceur trompeuse, cannelle, tomates, baies noires, soudain claquée de poivre et de gingembre, grinçant sous l’orange sanguine escortée de sauge. A glisser sous le mezcal pour faire déraper la soirée hors de sa zone de confort.

 

thibaut spawk dessert

Début novembre, dans un atelier au fond d’un passage du XIe arrondissement parisien, à cette heure où le jour cède à la nuit sans se battre. Une nouvelle marque de liqueurs haut de gamme aux ravissants flacons m’invite à rencontrer ses deux créatrices autour d’un dîner intime accordé à des dégustations. Et la dose de perfidie glissée dans mon verre eut raison ce soir-là de celle que je garde sous la langue.

H.Theoria est née de l’amitié entre Camille Hedin, qui a fait ses classes dans la gastronomie, et Marlène Staiger, spécialiste de l’olfaction formée chez le liquoriste dijonnais Gabriel Boudier et passée par la parfumerie. La bouche et le nez. La première encourageant la seconde à lâcher la bride à ses instincts les plus ambigus. De cette rencontre naissent 3 liqueurs addictives sorties l’année dernière. Perfidie. Hystérie. Procrastination. Tu l’auras remarqué, dès qu’il est question de vices, la langue française s’accommode sans efforts du féminin. Trois liqueurs présentées dans de ravissants flacons opaques de 50 cl richement décorés qui rappellent la parfumerie.

La soirée prend un tour inattendu

Je te connais, tout aussi perfide. Tu te méfies toi aussi des mises en scène oniriques, elles suggèrent si souvent que l’investissement est passé dans le packaging et le storytelling plutôt que dans le produit. Erreur, langue de fleur de pavé distillée en venin ! Camille et Marlène ont pensé leurs créations dans le moindre détail, mais rien n’est gratuit dans leur démarche. Il est rare de rencontrer un univers qui se fonde aussi bien au produit, sans s’y substituer. Prends les flacons : ils ne sont pas simplement jolis. Leur petite taille et leur opacité conservent dans les meilleures conditions ces liqueurs sans colorants ni conservateurs qui évolueront donc dans le temps, à la manière des parfums anciens. Et dans la bouteille, c’est un savoir-faire traditionnel qui s’exprime, retravaillé avec des ingrédients novateurs.

Bref. Tout ça pour dire : rien ne s’est déroulé comme prévu. Et ce soir-là, derrière les verrières végétalisées, dans le scintillement de l’argenterie et de la verrerie dépareillée sous les bougeoirs de guingois, le dîner a pris une tournure inattendue, projetant des convives aux sens affolés sur le fil du rasoir, les invitant dans le frôlement du malaise à explorer ces vices qui ne sont pourtant que le terreau de nos vertus. Ne t’inquiète pas, on va parler de spiritueux, d’arômes, de chimie, de goût, de distillation… Et de ce qu’ils chatouillent en nous.

 

marlene staiger et camille hedin

Marlène compose ses liqueurs en élisant d’abord leur nom, et travaille tout autant l’ingrédient que sa symbolique, son histoire, son imaginaire. « Pour Procrastination, j’imaginais un gros canapé Chesterfield, le thé chaud, la résistance au temps, l’éloge de la lenteur, songe Marlène. Du cuir, donc. C’est un arôme magique, le cuir, à la fois tannique, boisé, miellé, animal. Je l’ai entouré de thé, de haricot azuki qui évoque les pâtisseries molles, d’orange pour la douceur, de romarin calmant et poussiéreux. De jasmin, riche en indole, un composé chimique floral à faible concentration mais animal à haute dose – on retrouve dans l’urine de chat. »
Surtout, ne jamais céder à la mièvrerie, à la joliesse. Et cette tentation du lendemain dont l’univers onirique passe du haiku au bac du matou se mêle au rhum blanc agricole, au vermouth grec, alangui d’un trait d’eau de rose, pincé de bitter et complété d’eau gazeuse.

Comment distiller les coquilles d’huître ?

« Comptez 25 ingrédients, infusés et/ou distillés, pour les 3 liqueurs, reprend le nez d’H.Theoria, qui en a déjà composé 6 avant de “retourner à la paillasse”. La maison Gabriel Boudier m’a ouvert sa bibliothèque de macérations et de distillats, et a créé certains ingrédients à ma demande, le haricot azuki par exemple. Je n’utilise jamais deux fois les mêmes ingrédients. Quant aux autres limites, c’est la loi qui me les pose : je voulais distiller des coquilles d’huîtres mais ce n’est pas autorisé, pas alimentaire. Et dans Procrastination, j’ai dû enlever le santal pour la même raison. »

Dans chaque composition, la note discordante te surprend, te fait chevaucher la lame. Et c’est là le secret des plus belles gnôles, ces aspérités où l’on s’accroche en rappel, suspendu dans le vide – la beauté lisse et parfaite est d’un tel ennui, un peu comme les dîners sans surprises.
Mais ce soir-là, les deux démiurges de H.Theoria avaient immiscé à table sans le dire 3 comédiens interprétant chacun sa vicieuse partition (hystérie, procrastination, perfidie) sous un autre rôle (blogueurs, stagiaire), distillant parfois la gêne, infusant le malaise. Tout en se fondant dans les accords de la nuit.
Car les vices, vois-tu, évoluent selon l’heure ou l’époque et la morale du jour. Il fut un temps où, sous nos latitudes, les figures du kama-sutra n’impliquant point volonté de reproduction se classaient dans le grand inventaire des vices et péchés, quand des siècles plus tard Aragon n’y voyait qu’un plaisir qu’on n’a pas goûté.

 

bouteille distillation huitre

Pour Hystérie, « j’imaginais un parfum suave, une femme à l’air délicat qui soudain se révèle folle à lier, rock’n’roll ». Cette liqueur névrotique, excessive, s’en va donc cueillir l’excitation, la surenchère : les fruits de la passion et le cranberry pour le côté acidulé, le piment d’Espelette et le galanga pour l’explosion en bouche, la violette et la cardamome – « c’est magnifique, la cardamome, en parfumerie comme en liqueur, à la fois épicé, frais, terreux… »
A laisser pétiller sous l’eau de seltz et la glace. Comme tous les produits complexes, ces compositions aromatiques réclament l’épure dans le service : dégustée pure avec un chocolat, Hystérie se mue en plaisir solitaire, la plus délicieuse des séditions.

> Toutes les recettes de cocktails sur www.htheoria.com

Par Christine Lambert.

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