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Après les égarements des débuts et les erreurs de novice, la jolie distillerie de Red Hook (Brooklyn), rachetée en 2017 par le groupe Samson & Surrey, a tout remis à plat. Pour repartir sur des bases solides.

 

Les westerns modernes ressemblent sûrement à cela, les fresques murales rétro, les rues qui s’échappent dans le vent vers l’horizon, la cour intérieure où se dandinent les poules et la balancelle, le bar “Brooklyn cool” aux hautes fenêtres… Et la distillerie de briques rouges percée d’une verrière, rappelant les maisons anciennes hollandaises. Bienvenue à Widow Jane, où l’on a compris mieux qu’ailleurs à quel point les photos survivront aux mots. Nous voici de nouveau à Red Hook (lire p.xx), un quartier de Brooklyn qui longe l’Atlantique. D’abord colonisé par les Hollandais, en 1636, “Roode Hoek” devient au XIXe siècle l’un des ports les plus importants du pays. Et puis, l’histoire se retourne, versatile et capricieuse. Vers la fin des années 1950, l’activité portuaire se déplace dans le New Jersey voisin, les milliers de dockers quittent les lieux, les entrepôts s’ouvrent aux courants d’air. L’extension de l’autoroute I278 qui, début sixties, creuse une saignée dans le sud de Brooklyn, finit de cloisonner le quartier, laissé à l’abandon, durablement englué dans la criminalité – Time rebaptisera Red Hook la “capitale du crack” dans les années 1980. Et puis, l’histoire se retourne, lunatique et oublieuse. Avant même le réveil des promoteurs, les artisans et les petites manufactures réinvestissent le front de mer.

 

La chocolaterie Prieto s’installe en 2010, sous l’impulsion de Daniel Preston, dont la famille possède des plantations de cacao en république Dominicaine. Un talentueux businessman qui a déjà créé plusieurs entreprises revendues contre des chèques à 7 chiffres. Deux ans plus tard, la distillerie avale l’espace inoccupé du splendide bâtiment construit sur mesure. Le succès est immédiat, aidé en outre par le terminal de paquebots qui, au bout de la rue, lâche à intervalles réguliers ses hordes de croisiéristes. On rapplique avec curiosité pour acheter ses tablettes de chocolat chic et sa bouteille – de rhum d’abord, puis à partir de 2013-2014, de whiskey new-yorkais. Sauf que. Le whiskey, justement, ne l’est pas, new-yorkais : il vient du Kentucky. L’eau utilisée ne provient pas non plus de la carrière Widow Jane, dans l’État de New York, mais d’une de ses voisines. Peu importe les omissions, rien n’entame la popularité de la marque. Preuve que l’histoire ne se retourne pas toujours… si l’on fait volte-face avant elle.

 

Nouveau storytelling

Widow Jane profite avec intelligence d’un changement de mains pour remettre à plat le storytelling. Il y a deux ans en effet, après un long hiatus où plus rien n’est fabriqué sur place, la distillerie est revendue à Samson & Surrey, un petit groupe de spiritueux qui possède notamment les whiskeys Few et Brenne, le gin Bluecoat et le mezcal Vago. Les poules sont restées, la chocolaterie également (mais elle n’a pas été rachetée), les fresques vintage aussi. Mais le discours s’est fait plus transparent, et on raconte désormais le passé sans l’enrober. Oui, la distillerie s’est lancée avec un alambic quasi décoratif et du whiskey acheté au kentucky – rien de condamnable à cela quand on le précise sur l’étiquette : après tout, rappelle David Wondrich (lire p.xx), on a oublié que Wild Turkey était à l’origine une marque new-yorkaise, qui a longtemps embouteillé du vrac avant de construire sa distillerie au Kentucky.

Pour assurer leurs arrières, justement, les nouveaux propriétaires commencent par sécuriser en début d’année dernière un contrat avec une distillerie du Kentucky qui fournit le gros des volumes. Grand ménage dans la futaille également : depuis un an et demi, les petits tonneaux de 10 gallons (environ 38 l) ont été abandonnés au profit de fûts standards de 200 l taillés par la tonnellerie ZAK. Enfin, dernier étage de la fusée, l’équipe s’agrandit et une head distiller, Lisa Wicker, recrutée pour diriger la production, partage désormais son temps entre Brooklyn, NY et Bardstown, Ky. «Au fond, Widow Jane a réellement commencé à produire du whiskey après son rachat en 2017», reconnaît Jillian Twyford, directrice des opérations. Deux fois par semaine, les équipes s’affairent à la cuisson et à la fermentation des grains, et trois fois par semaine à la distillation avec l’alambic Carl, un hybride doté de 2 colonnes dont seule la plus petite est utilisée. «Quand je suis arrivée, ils n’avaient rien distillé depuis dix-huit mois, explique Lisa Wicker, chargée de remettre en ordre la filière céréales, le rendement (plus que doublé depuis son embauche) et la qualité. Premier grand changement ? Nous avons laissé tomber les single barrels pour des small batches de 5 fûts, assemblages de 3 whiskeys différents.»

 

À côté de la gamme permanente sourcée – un bourbon et deux ryes qui ne peuvent dirent leur nom puisqu’ils ont vieilli dans d’anciens fûts et non sous chêne neuf -, la série Baby Jane, distillée sur place, a vu le jour. Trois références de luxe (compter 80 dollars les 375 ml) élaborées avec des variétés de maïs rouge divinement aromatiques, le Wapsie Valley, ultra épicé, le Bloody Butcher, pauvre en amidon mais riche en protéines, et un hybride des deux. Et l’on sent qu’une nouvelle ère s’ouvre pour Widow Jane avec ces jeunes whiskeys pleins de promesses. Comme quoi… Il suffit parfois de se retourner sur l’histoire pour en tirer les leçons.

Par Christine Lambert

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