Jamais dans l’histoire a-t-on vu autant de très vieux whiskies, cognacs, rhums ou calvados arriver sur le marché. Fascinant paradoxe pour une époque trop pressée, qui n’a plus le temps d’attendre et cavale dans un vortex infernal pour gagner ce temps dont on se plaint de ne jamais profiter. Mais ce changement de rapport au temps finit par menacer l’existence même des « rare & old » spiritueux.
Glenlivet 80 ans Gordon & MacPhail, Macallan 81 ans, Glendronach 50 ans, Dalmore 50 ans, Glenfarclas 60 ans, Yamazaki 55 ans… Les limites des ans ne cessent de reculer, et la tendance, loin de se limiter au whisky, touche tous les spiritueux de dégustation. Les sorties de ces cacochymes liquides, pourtant rares par nature, se sont multipliées dans une course au record encouragée par l’époque.
En interviewant des producteurs pour lever le voile sur la fabrication de ces très vieilles eaux-de-vie – à lire dans le prochain numéro de Whisky Magazine en novembre (abonnement ici), c’est donc notre rapport au temps que je me suis retrouvée à interroger mine de rien.
Glenlivet 80 ans Gordon & MacPhail, Macallan 81 ans, Glendronach 50 ans, Dalmore 50 ans, Glenfarclas 60 ans, Yamazaki 55 ans… Les limites des ans ne cessent de reculer, et la tendance, loin de se limiter au whisky, touche tous les spiritueux de dégustation. Les sorties de ces cacochymes liquides, pourtant rares par nature, se sont multipliées dans une course au record encouragée par l’époque.
En interviewant des producteurs pour lever le voile sur la fabrication de ces très vieilles eaux-de-vie – à lire dans le prochain numéro de Whisky Magazine en novembre (abonnement ici), c’est donc notre rapport au temps que je me suis retrouvée à interroger mine de rien.
C’est comment qu’on freine ?
Le temps, sa plasticité, son accélération effrénée. Sa très paradoxale appréhension. Nous vivons dans un monde où tous les artifices sont bons pour gagner du temps, ce « luxe » dont on vient pourtant toujours à manquer si j’en crois notre plainte collective.
A quoi bon inventer la fonction défilement accéléré pour mater Netflix ou écouter les livres audio dans les embouteillages, à quoi bon plaider pour la 5G dans l’espoir de gagner un millionième de nanoseconde dans les communications, accélérer la circulation des personnes, des biens, des échanges, de l’information… si c’est pour cavaler comme un poulet décapité et chouiner qu’on n’a pas une minute à soi ?
Les spiritueux de dégustation forment une industrie du long terme, se plaît-on à répéter. Il faut 6 à 20 décennies pour voir pousser les chênes dont on taille les fûts (lire ici). Une quarantaine d’années pour enraciner de vieilles vignes. Près de 100.000 ans pour accumuler une épaisseur d’1 m de tourbe. Comptez 10 ans d’élevage minimum pour élaborer un cognac XO. Au bas mot 3 ans pour fabriquer un whisky, 12 ans pour un single malt de 12 ans, 25 ans pour une gnôle de 25 ans, 50 pour un… Oui, oui, je compte de tête.
Les spiritueux n’ont plus le temps d’attendre
Mais la demande mondiale est une maîtresse avide et pressée. Et les producteurs ne cherchent guère à lui résister. A leur décharge, ils n’en ont pas toujours les moyens – le temps, c’est de l’argent –, pris en étau entre les contingences du moment et la pression financière. Surtout les petites structures, ou les moins indépendantes.
L’accélération qui s’empare de tous les compartiments de nos existences affecte pareillement les eaux-de-vie, et plus particulièrement le whisky. Les NAS de 3 ans et 1 jour envahissent les cavistes, 8 ans is the new twelve.
Mais pour élaborer ces gnôles qui n’ont plus le temps d’attendre, les process ont évolué : on distille des cœurs plus resserrés, tambourinés dans des fûts actifs parfois spécialement designés pour les maturations courtes, tels les fameux STR. Et l’aromatisation via une succession de bois se chargera d’habiller la mariée.
Moins de potentiel de vieillissement
Les spiritueux tels qu’on les fabrique de plus en plus – parfois avec beaucoup de talent –, ne sont pas destinés à vieillir de longues années. Comment le pourraient-ils ? Les composés dont on les déshabille à dessein pour les rendre séduisants dans la fraîcheur de leur jeunesse sont ceux qui, précisément, ajouteraient complexité, profondeur et élégance en se modifiant sous l’action du temps long.
Loin de moins l’envie de vous pondre un éloge de la lenteur sur l’air du c’était mieux avant. Simplement, il faut savoir que cette fuite en avant destructrice, ce rapport pathologique au temps – qui sur un plan écologique et humain nous envoie dans le mur, mais restons-en aux spiritueux – finira par nous priver des très vieilles eaux-de-vie. Vous me direz, on n’a plus le temps de s’en émouvoir ni de les savourer : spéculateurs et collectionneurs se précipitent dessus pour les boucler au coffre.
L’afflux soudain de ces vénérables quilles n’est que le soubresaut d’un monde qui sombre. Un zoo des temps enfuis. Ces vestiges des années passées disparaissent. Ils ne sont pas remplacés.