Entre nous
Alejandro Bolivar
Chef barman du Floridita à La Havane
Avec Alejandro Bolivar, chef barman du Floridita, on ne parle pas de mixologie mais bien de transmission de tradition. Le mythique bar où il officie vient de célébrer ses deux cents ans (dont un siècle sous le nom de Piña de Plata). Malgré les difficultés inhérentes à Cuba, lui et son équipe essaient de maintenir en vie l’esprit de Constantino Ribalaigua, maître des lieux lors des belles années d’un établissement qui refuse obstinément de se transformer en piège à touristes.
Par François Monti
Ingénieur de formation, comme beaucoup de Cubains, vous vous êtes reconverti à l’hôtellerie au début des années 90. Comment êtes-vous arrivés au Floridita ?
Je parlais anglais et russe et je voulais suivre un cours de gestion hôtelière, mais je n’ai pas obtenu de place. On m’a proposé un cours pour devenir cantinero (barman : ndlr) et, en 1993, j’ai fait un stage non rémunéré au Floridita. Malheureusement, il n’y avait pas de place. J’ai obtenu des postes dans des hôtels et des cabarets et puis en 1998, un des barmen du Floridita a pris sa retraite. Il était là depuis quarante ans, c’était une opportunité unique…
Cela va faire vingt ans que vous y êtes, et vous n’êtes même pas le vétéran de l’équipe. C’est ça le secret pour maintenir vivante la tradition ?
Nous sommes conscients que nous travaillons dans une institution. Quand j’ai commencé ici, j’ai eu la chance de travailler avec Antonio Meilán, le dernier cantinero à avoir été sous les ordres de Constantino Ribailagua (le légendaire propriétaire du Floridita et inventeur, entre autres, du Daiquiri #4 : ndlr). Quand il a pris sa retraite, la succession a été assurée par des barmen qui travaillaient ici depuis quarante ans. Et maintenant, c’est à notre tour de transmettre la tradition. Les jeunes générations viennent nous voir et c’est notre devoir de démontrer le même amour pour le travail bien fait et la même passion que nos prédécesseurs.
La clientèle vient aussi pour la légende, pour faire une photo avec Hemingway…
C’est vrai, mais nous avons beaucoup de clients qui viennent chaque année. Ils veulent boire leur Daiquiri, et certains passent même ici avant d’aller prendre le vol du retour. Ils font partie de la famille. Et puis si un client est venu il y a vingt ans, il sait qu’il trouvera le même Daiquiri. El Floridita, c’est un bar où le temps s’est arrêté.
En parlant d’arrêt, j’imagine que vous ne pensez pas travailler ailleurs ?
Si ma santé me le permet, je prendrai ma retraite ici. Même quand je suis à l’étranger ou les jours où je ne travaille pas, dans ma tête je suis toujours au Floridita. C’est ma vie. Les gens viennent ici pour découvrir la cubanité. Ils aiment l’ambiance, les boissons ; ils dansent, ils chantent, et c’est ce qui me rend le plus heureux. J’en oublie les longues heures de travail.
Et votre moment préféré de la journée ?
23 heures, quand les touristes commencent à partir mais qu’il y a toujours suffisamment de monde pour passer un bon moment. C’est l’heure parfaite pour un Mulata.