Dixième opus dans la collection Private Edition de Glenmorangie, Allta est le premier scotch contemporain à utiliser une levure sauvage dans sa fermentation. Ouvrant ainsi une voie aromatique inexplorée dans le whisky écossais moderne.
Dans la chambre d’écho des amateurs de scotch résonne depuis des années une même lamentation déplorant la standardisation des single malts sur l’air du c’était-mieux-avant. Et tous de désigner le coupable : une obsession du rendement qui, au sein de l’industrie, frise la pensée unique du goût. Mais voilà qu’un des acteurs majeurs de l’industrie pose soudain une pierre blanche qui n’a pas fini de ricocher dans le whisky. Allta, le dernier opus de la Private Edition, série limitée annuelle de Glenmorangie, est vraisemblablement le premier scotch contemporain élaboré à partir de levures sauvages. Prélevée sur les épis poussés dans les champs d’orge de Cadboll, le domaine entourant la distillerie des Highlands, la souche cultivée ensuite en laboratoire a été baptisée Saccharomyces diaemath.
La démarche ouvre des brèches aromatiques, et prouve que le scotch est capable d’anticiper, fût-ce à une échelle modeste, les évolutions futures des goûts (et les larmes des connaisseurs). Car sa genèse remonte à une bonne douzaine d’années, comme l’explique Andrew McDonald, le directeur de Glenmorangie, de passage à Paris : «Le point de départ, c’est une discussion entre l’écrivain journaliste Michael Jackson, aujourd’hui disparu, et Bill Lumsden [qui dirige la création des single malts des distilleries de LVMH, Glenmorangie et Ardbeg, ndlr]. Tous deux sont demandés pourquoi personne n’explorait le potentiel des levures dans la création du scotch, et notamment des levures sauvages.» Bill Lumsden commence par explorer le terroir le plus logique : l’orge alentour. «On a aussitôt lancé la fermentation, il y a une dizaine d’années, sans tests préalables. L’assemblage d’Allta a entre 8 et 10 ans, les choses ne se font pas rapidement dans le whisky…», ajoute Andy McDonald avec un art consommé de l’understatement.
La levure, source majeure des arômes
Aux États-Unis ou au Japon, la plupart des distilleries possèdent leurs levures propriétaires jalousement conservées au coffre réfrigéré, bien que personne ne songe à communiquer sur le sujet. «Le cœur du whisky, la source majeure de ses arômes, c’est la levure. Mais le public n’est pas prêt à l’entendre, on ne l’a pas éduqué en ce sens», déplorait Don Livermore, le master blender d’Hiram Walker, dans le dernier Whisky Magazine & Fine Spirits. Loin de faire simplement l’impasse sur la com’, l’industrie du scotch, quant à elle, semblait jusqu’ici se moquer éperdument de ces organismes unicellulaires qui, lors de la fermentation, créent pourtant l’essence même des flaveurs du whisky : les Écossais utilisent majoritairement la même souche de levure de distillerie, parfois (mais de plus en plus rarement) mêlée à une levure de brasserie. «La seule question qu’on se pose dans le choix de la levure est celle du rendement alcoolique», reconnaît Andrew McDonald, avant de s’émerveiller sur la brèche ouverte par son dernier-né : «Le distillat de Glenmorangie est typiquement très frais, fruité, citronné, alors que le new make d’Allta est presque terreux, avec des notes de pain, de champignons, de truffe, et toujours la même fraîcheur. Incroyablement différent !»
Hormis le temps de fermentation, passé de 52 à 55 heures (ce qui reste très court), rien n’a été modifié dans les process pour couler le distillat d’Allta (qui signifie “sauvage” en gaélique). Même eau de source hyper minérale, mêmes temps, vitesses et coupes de distillation. Et le whisky a vieilli dans les mêmes fûts que l’Original, des barils de bourbon de premier et second remplissage exclusivement. Le résultat est splendide, l’expérience, unique. Mais sans doute cantonnée aux éditions limitées. «C’est une démarche coûteuse, le rendement est plus faible, se défend McDonald. Mais nous avons d’autres distillats issus d’autres levures sauvages qui mûrissent dans les chais. Nos concurrents s’y sont mis aussi, ce n’est que le début.»
Notes de dégustation :
La robe : Paille dorée.
Le nez : Rond, frais, pain brioché, pousses d’orge tendre, agrumes doux, vanille légère, sous-bois.
La bouche : Texture crémeuse, arômes délicats de céréale jeune roulée dans le miel, champignons, truffe, citron vanillé.
La finale : Poivrée, légèrement terreuse.
Par Christine Lambert
Allta, sorti dans la Private Edition de Glenmorangie (60 000 exemplaires environ) (70 cl, 51,2%) : env. 85 €