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Avec toutes ces distilleries qui ouvrent un peu partout, il vous aura peut-être échappé que les États-Unis comptent aujourd’hui plus de 170 distilleries produisant du single malt. Ces établissements travaillent dans une catégorie de whiskey plus générale, qui enregistre depuis deux décennies une croissance exponentielle. Et si une réglementation encadre étroitement le bourbon et les whiskeys américains au sens large (de seigle, de blé, de maïs), le single malt américain bénéficie d’une bien plus grande liberté, ce qui, pour certains producteurs, fait précisément tout son intérêt.

 

«Nous avons été parmi les premiers à produire un single malt dans ce pays», retrace Lance Winters, maître distillateur et président de la distillerie californienne St. George, pionnière en ce domaine. Celle-ci a commercialisé il y a vingt ans déjà son premier single malt. «Nous n’avons jamais vraiment ressenti la nécessité d’une réglementation définissant une nouvelle classe et un nouveau type. D’après moi (pour ce que vaut mon avis), c’est une catégorie encore jeune qui gagnerait à faire l’objet d’expérimentations et d’explorations plus approfondies avant qu’on ne vienne planter une clôture autour d’elle et qu’on dresse un mât et un drapeau en plein milieu.»

La mise en place d’une définition

 

Cependant, un tel point de vue va désormais à contre-courant. Il y a cinq ans, une réunion de distillateurs s’est tenue à Chicago pour constituer l’American Single Malt Whiskey Commission (ASMWC). Ce comité a élaboré les cinq règles suivantes : le whiskey single malt américain est intégralement produit avec de l’orge maltée ; brassé, distillé et élevé aux États-Unis ; élevé en fûts de chêne dont la capacité n’excède pas 700 litres ; distillé au titre alcoométrique maximum de 80% et embouteillé au titre alcoométrique minimum de 40%.

Il existait déjà une définition du whiskey de malt, qui se conformait au modèle appliqué aux bourbons ou au rye whiskeys. Les Standards of Identity (les AOC version américaine) prescrivent que le « “whisky de malt” [on notera l’orthographe !] est une eau-de-vie dont le titre alcoolique est inférieur à 80%, élaborée sur la base d’un moût fermenté composé d’un minimum de 51 % d’orge maltée et enfûtée à la teneur maximale de 62,5% dans des récipients en chêne neuf bousinés. »

Une définition commune contribuerait à ce que les uns et les autres utilisent un même langage pour désigner les mêmes choses.

 

Selon Jared Himstedt, cofondateur et maître distillateur de la distillerie Balcones, une telle définition ne peut que désorienter davantage les consommateurs et les cavistes : «On peut aujourd’hui acheter un flacon étiqueté “American Single Malt” qui correspondra, ou non, à ce qu’on pourrait en attendre. En l’absence de norme admise par tous, le consommateur ne pourra préciser sa demande de manière significative.»

«Nous avons le sentiment que l’American Single Malt a fait l’objet d’une attention suffisante (ce que nous voulions, bien entendu !), car nous étions sinon confrontés à l’alternative suivante : soit cette appellation allait être de toute façon réglementée, soit nous risquions d’être confrontés à l’interdiction de l’utiliser.
Nous avons pensé qu’il serait plus intelligent de piloter nous-mêmes le processus de normalisation, pour élaborer une définition qui réponde à la vision globale de ce qu’est un single malt, tout en préservant l’esprit d’innovation et la créativité des distillateurs américains.»

 

« notre force principale, c’est l’innovation »

«Entraver l’innovation ?, s’exclame Steve Hawley, directeur marketing de Westland et président en titre de l’ASMW. Grands dieux non ! S’il y a une chose que l’on peut dire de l’ASMW, c’est que notre force principale, c’est l’innovation. Ce qui pose problème, c’est quand quelqu’un commercialise une “innovation” qui va au-delà des attentes du consommateur vis-à-vis de telle ou telle catégorie, par exemple, un producteur proposant un soi-disant whiskey single malt élaboré à partir de blé malté, ou résultant de l’assemblage des distillats provenant de deux distilleries différentes.

Ces deux cas de figure sont bien réels et en complète contradiction avec ce qu’est un single malt, d’où l’importance de créer une structure offrant un cadre dans lequel il est envisageable d’innover dans des proportions tout à fait remarquables.»

 

Un frein à la créativité ?

 

Mais créer des limites, n’est-ce pas contraindre tout le monde à ne pas s’écarter du chemin tracé ? C’est du moins ce que pense Lance Winters. «Les catégories sont une arme à double tranchant, explique-t-il. Grâce à elles, les cavistes [et les propriétaires de bar] savent sur quelle étagère ranger tel spiritueux et elles aident le consommateur à le localiser, mais personnellement je considère la distillation comme une forme d’expression personnelle, c’est pourquoi, face à tous ces projets de réglementations, je préfère dire : “Ne touchez pas à ma distillerie !”»

«L’ironie de l’histoire, ajoute Dave Smith, maître distillateur de St. George, c’est que la plupart d’entre nous sommes devenus distillateurs parce que rien de bon n’est jamais sorti d’un comité et que nous voulons exprimer quelque chose qui nous appartienne en propre.»

À quoi Jared Himstedt répond que si l’expression personnelle est certes essentielle, les normes réglementaires sont là pour aider le consommateur. «Je suis convaincu, explique-t-il, que c’est dans l’intérêt de tous ceux qui participent de près ou de loin au single malt américain. Cette catégorie est de plus en plus appréciée, dans le monde entier, et pour éviter les pièges dans lesquels sont tombés d’autres pays producteurs de whisky, nous devrions en avoir une définition cohérente afin que le consommateur sache ce qu’il achète.»

Steve Hawley abonde en ce sens : Une définition officielle empêchera les brebis galeuses de tenter de faire passer pour un single malt américain un breuvage qui n’en est pas authentiquement un, et une définition formelle fournira la nomenclature et le cadre nécessaires pour justifier les modifications à apporter aux rayonnages des cavistes, aux cartes des bars, aux concours, aux critiques, etc., qui seront nécessaires pour que les producteurs demeurent compétitifs sur le marché. Enfin, elle signalera au monde entier la naissance officielle de cette catégorie émergente. Cela ouvrira la porte à une réciprocité avec les pays étrangers et nous donnera le moyen de promouvoir cette catégorie au niveau mondial.»

Ce qui est essentiel, c’est que le consommateur ne puisse douter que le contenu d’une bouteille de whiskey étiquetée “single malt américain “est réellement un single malt américain.

 

Il s’agit là d’un argument décisif que le Tax and Trade Bureau, qui supervise des questions comme celles de l’étiquetage, semble avoir repris à son compte. Les propositions de l’ASMW devraient être finalisées dans un texte de loi d’ici la fin de l’année. Il est probable que les définitions nous soient indispensables, car nous cherchons tous à nous confronter à quelque chose qui puisse nous stimuler, le défi intellectuel étant de trouver les marges de manœuvre. Même les distilleries qui prétendent ne pas tenir compte des catégories mettent en œuvre leurs propres pratiques qui leur font office de réglementation ad hoc.

 

BALCONES DISTILLERY
Lance working still_photocreditAlexZyuzikov
BALCONES WAREHOUSE
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stills_photocreditAlexZyuzikov
Westland_Distillery_Garryana_Extra_Seasoned_Stacks
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Malgré toutes ses réticences, Lance Winters n’en admet pas moins l’utilité.

«Il y avait une crainte qui n’était pas hypothétique, c’est que quelqu’un qui n’appartienne pas au milieu de la distillation cherche à définir la catégorie d’une manière qui aurait été préjudiciable à la qualité, et empoisonnerait ainsi le puits au détriment des producteurs de whiskey sérieux. C’est cette dernière inquiétude qui nous a incités à soutenir cette initiative.»

Par conséquent, la distillerie St. George va-t-elle étiqueter American Single Malt l’un de ses whiskeys ?

«Je ne crois pas !»

Comment voit-il l’avenir ? Le nombre de distillateurs produisant un single malt américain augmentera-t-il à raison de l’encadrement fourni par une définition réglementaire ?

«Cela devrait mettre le turbo à la dynamique déjà forte que nous connaissons aujourd’hui, commente Steve Hawley. Il est probable que la conséquence la plus importante sera d’inciter certains grands producteurs de bourbon à venir tremper un doigt de pied dans la catégorie dès lors qu’elle sera formalisée.»

Le single malt américain nécessite une définition réglementaire, mais ses différentes itérations résulteront de la créativité dont feront preuve les distillateurs pour interpréter les limites qu’ils auront eux-mêmes imposées. Comme toujours, l’épreuve de force porte moins sur la législation en tant que telle que sur l’état d’esprit.

Par Dave Broom – extrait du WHISKY MAGAZINE N° 81   

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