N.R. Jagdale, PDG d’Amrut, père du premier Single Malt indien, vient de disparaître à l’âge de 66 ans.
Nous apprenons aujourd’hui avec énormément de tristesse la mort de Neelakanta Rao Jagdale, le PDG d’Amrut, le 9 mai au matin, à l’âge de 66 ans. Aux yeux des amateurs de whisky du monde entier, il restera le père du premier single malt indien. Mais dans son pays, ce nageur émérite a marqué l’histoire de l’Etat du Karnataka en tant qu’inlassable promoteur de la natation, directeur pendant 35 ans de la plus puissante fédération indienne de ce sport et fondateur d’un club d’entraînement aquatique qui envoya 5 athlètes aux jeux Olympiques – sa grande fierté.
Personne ne s’étonnait de le voir aux premières lueurs du matin dans la piscine, sa silhouette longiligne lancée pour quelques longueurs avant d’attaquer la journée : «S’il est une chose que ce sport m’a apprise, c’est qu’il ne faut pas hésiter à nager à contre-courant»,disait-il. Plus que ses mots, sa carrière en fournit la preuve pendant plus de quatre décennies.
Il rejoint en 1972, à tout juste 20 ans, l’entreprise fondée en 1948 par son père, Radhakrishna N. Jagdale. Amrut est à l’époque un groupe pharmaceutique mais, en 1947, au lendemain de l’indépendance, il se double d’une activité de blender, afin de rentabiliser la chaîne d’embouteillage des flacons de médicaments. Le décès prématuré de son père va obliger le jeune Neelakanta à plonger dans le grand bain plus vite que prévu ; il a alors 24 ans, et va se révéler un homme d’affaire talentueux et inspiré.
Sous sa houlette, Amrut prend son envol et s’impose comme l’un des producteurs de spiritueux les plus reconnus d’Inde. Il fallait le voir s’animer en racontant la genèse du whisky indien, sans langue de bois, grand sourire fendant le visage sous sa moustache, regard d’une intelligence vive derrière les binocles. (Lire notre reportage sur Amrut,paru dans Whisky Magazine il y a presque trois ans.)
Au début des années 1980, Amrut commence à distiller du malt, d’abord pour aromatiser ses blends locaux élaborés à base d’alcool de canne à sucre. «Jusqu’à la “grain revolution” d’Indira Gandhi dans les années 1970,rappelait-il, les céréales servaient – à peine – à nourrir la population du pays, l’Inde connaissait le fléau des famines. Il était impossible de distiller du grain.»
En 1998, «M-di» (MD pour «managing director», prononcé à l’anglaise), comme le surnomment ses troupes, entame sa plus belle longueur de bassin à contre-courant. Depuis quelques années, sous la mode des whiskies légers dont se pique l’Inde, il laisse vieillir patiemment ses single malts de caractère. Et commence à réfléchir à la production de «vrais whiskies» susceptibles de s’exporter en Europe – et donc conformes à la législation de l’Union européenne. Rakshit, son fils, est chargé en 2002 de plancher sur une étude de marché et, deux ans plus tard, c’est à Glasgow, dans un restaurant indien, qu’est lancé le premier single malt produit dans le sous-continent. Père et fils souriaient jusqu’aux oreilles en racontant la dégustation à l’aveugle qui bluffa les plus grands dégustateurs occidentaux. La légende d’Amrut était dès lors lancée.
Son dernier projet, la nouvelle distillerie construite à quelques kilomètres de Bangalore, juste à côté du site actuel, et équipée à l’identique pour tripler la capacité de production, devrait être inaugurée d’ici l’été. Nul doute que N.R. Jagdale veillera dessus depuis ses bureaux du centre-ville, siège de la distillerie d’origine. Là où tout commença. Là où son portrait va rejoindre au mur celui de ses ancêtres. Amrut, dans la mythologie indienne, ne désigne-t-il pas l’élixir qui confère l’immortalité ?
Christine Lambert