Pour fêter son 200e anniversaire, Johnnie Walker annonce de nouveaux blends commémoratifs. L’occasion pour Whisky Magazine de revenir sur l’histoire de cette marque légendaire.
En 1820, les guerres napoléoniennes venaient à peine de prendre fin. Le retour de l’empereur Napoléon et l’épisode de la campagne malheureuse des Cent-Jours s’étaient achevés sur la victoire écrasante des armées coalisées d’Autriche, de Prusse, de Russie et du Royaume-Uni, le petit Caporal étant désormais reclus dans son dernier exil, dans la lointaine île de Sainte-Hélène. Autant d’événements qui devaient paraître bien éloignés des fermes de l’ouest de l’Écosse. Mais nous verrons qu’il peut s’en passer des choses en deux siècles ! Commençons donc par le commencement. En 1819, en Écosse, dans une ferme familiale sise non loin de Kilmarnock dans l’Ayrshire, le jeune John Walker, quatorze ans, apprend la triste nouvelle du décès de son père. Ses tuteurs, probablement peu convaincus qu’il s’épanouirait dans l’agriculture, emploient son héritage (d’un montant de 417 livres sterling) à l’achat en ville d’un “magasin italien”. La vente est définitivement conclue l’année suivante. Tels furent les modestes débuts de Johnnie Walker, l’actuel géant mondial du scotch whisky. Par “magasin italien”, les contemporains de Walker entendaient toute entreprise d’alimentation générale doublée d’un négoce en vins et spiritueux, comme il en existait des milliers d’autres à travers le pays. Mais celle-ci prospéra. Tirant parti de réformes fiscales favorables au whisky, Walker développa la branche whisky de son commerce et lança son Walker’s Kilmarnock Whisky quelques années avant sa mort en 1857. Mais quelque considérable que fût le développement de son affaire, l’entreprise atteint de nouveaux niveaux de croissance sous la direction de son fils Alexander “Alec” Walker puis de son petit-fils Alexander Walker II. Ceux-ci instaurent la caractéristique bouteille quadrangulaire, l’étiquette diagonale et deux marques qui deviendront emblématiques, Johnnie Walker Red Label et Black Label, tout en développant résolument leurs ventes à l’exportation.
1925 : la firme qui deviendra Diageo prend le contrôle
À la date de son centenaire, l’entreprise est toujours indépendante, s’étant développée durant tout le XIXe siècle parallèlement à l’expansion de l’Empire britannique. Elle prospère à l’époque où les vignobles d’Europe sont ravagés par le phylloxéra qui provoque par voie de conséquence l’effondrement des ventes de cognac et autres brandies, tire profit des évolutions réglementaires qui dynamisent la croissance des blends écossais et, plus tard, survit à la vague de faillites qui frappe l’industrie du scotch whisky à la suite du grand essor des années 1890. Vers la fin de cette période, elle est en mesure d’acquérir la distillerie Cardhu dans le Speyside et traverse le traumatisme de la Grande Guerre. Mais des temps plus difficiles l’attendent.
En 1925, le marché intérieur britannique est en pleine récession ; la forte pression fiscale, la limitation des heures d’ouverture des pubs et la prohibition en vigueur aux États-Unis depuis 1920 engendrent de nouvelles difficultés auxquelles sont confrontés les distillateurs. Aux fermetures s’ajoutent des faillites et des fusions, certaines amicales, d’autres plus agressives. C’est alors que sous la direction de l’énergique William Ross, la Distillers Company Ltd (DCL) ‒ le plus puissant moteur de l’industrie du whisky écossais ‒, décide de tout mettre en œuvre pour consolider la branche afin d’assurer sa survie. À cette époque, les firmes John Dewar and Sons et Buchanan’s ainsi que d’autres entreprises plus modestes rejoignent la DCL dont le fonctionnement est celui d’une holding semi-autonome fournisseur de whiskies de grain.
C’est en 1925, confrontée à ces difficultés et reconnaissant que nombre de ses rivaux avaient rejoint la DCL, que John Walker & Sons doit se résoudre à l’inéluctable : la famille perd le contrôle de son entreprise qui passe sous le giron de la firme qui deviendra Diageo. On accordera à cette dernière le mérite de l’avoir gérée en propriétaire responsable et développée sur le long terme en investissant dans le marketing et la distribution pour faire de Johnnie Walker l’une des très rares marques de whisky qui soit véritablement mondiale. Au cours du dernier exercice annuel, avant la pandémie du coronavirus, les ventes cumulées de l’ensemble des expressions Johnnie Walker avoisinaient les 20 millions de caisses de 9 litres. À titre de comparaison, Glenfiddich, le numéro un mondial du single malt, a vendu un peu plus d’un million de caisses. Si certaines marques phares de « whisky » indien commercialisent plus de 30 millions de caisses, leur diffusion demeure très largement circonscrite au marché indien et elles n’approchent ni de près ni de loin le prestige ou l’attractivité mondiale de Johnnie Walker.
200e anniversaire : un bicentenaire dûment célébré
La marque connaît un succès retentissant sous la houlette de Diageo qui parvient à surmonter le contrecoup en Écosse de la fermeture des installations de Kilmarnock en 2012, laquelle se solde par la perte de quelque 700 emplois. Même les critiques militantes exprimées à l’encontre de la maladroite édition limitée Jane Walker commercialisée aux États-Unis en 2018 et qui s’était attiré le mépris des féministes pour sa frivolité, ne semblent pas avoir nui à la marque sur le long terme. Ses concurrents distillateurs reconnaissent en toute équité l’exceptionnelle constance de ses arômes et saveurs, et les milieux du marketing la cohérence de sa communication résolument tournée vers les marchés mondiaux ‒ élémentaire en apparence, mais très difficile à concrétiser.
Avec un tel arrière-plan historique, on s’attend à ce que le 200e anniversaire soit dûment célébré. Mais le coronavirus constitue un défi sans précédent. Au cours du siècle dernier, Johnnie Walker a traversé des récessions et des crises énergétiques, une guerre mondiale, des reculs et reprises de la consommation de scotch whisky, mais rien de tout cela n’est comparable aux nouveaux enjeux et exigences posés par la pandémie. De nombreux événements seront sans doute annulés, mais non la publication de l’ouvrage signé par Nicholas Morgan, responsable des relations publiques pour le whisky chez Diageo. A Long Stride ‒ 336 pages consacrées à l’histoire de la famille, de l’entreprise et de la marque Walker ‒ doit paraître en octobre chez le prestigieux éditeur édimbourgeois Canongate. Par ailleurs, les travaux se poursuivent dans le bâtiment particulièrement imposant du siège de la marque qui doit être inauguré dans la capitale écossaise au début de l’année 2021.
Les flacons (disponibles ICI) bénéficient eux aussi de changements temporaires : trois nouvelles éditions limitées des variantes Red Label, Black Label et Gold Label Reserve ont été lancées à l’occasion des célébrations du bicentenaire. Recouverts d’un étonnant habillage opaque et de couleur unie, ils constituent autant d’interprétations saisissantes de la classique bouteille en verre et de sa célèbre étiquette oblique. Toutefois, l’important, c’est le whisky. Diageo commémore ces deux siècles d’histoire et le legs Walker avec une passionnante série de nouveautés bientôt disponibles à l’international : quatre whiskies inédits, tous élaborés par Jim Beveridge, officier de l’Empire britannique et maître-assembleur chez Johnnie Walker.
Il s’agit tout d’abord d’un 200th Anniversary Blue Label (une édition limitée qui ne devrait pas manquer de séduire les nombreux collectionneurs de Johnnie Walker) et d’un Blue Label Legendary Eight, un blend rassemblant la production de huit distilleries légendaires qui étaient toutes déjà en activité à l’époque où John Walker fonde son “magasin italien”, et comportant notamment certaines expressions très rares provenant de distilleries “fantômes” depuis longtemps fermées. Viennent ensuite deux nouvelles expressions John Walker & Sons : un Celebratory Blend et le suprême Bicentenary Blend. Inspirés du travail de pionnier de John Walker, ces assemblages exceptionnels font exclusivement appel à des whiskies à la fois très âgés et très rares. Ceux qui composent le Bicentenary Blend affichent tous un âge minimum de 28 ans ; ce blend est présenté dans le flacon de style carafe réservé aux expressions premium de la gamme John Walker.
Des expressions exclusives très attendues
«Chacune de ces exclusivités met en perspective l’histoire de notre bicentenaire et commémore de manière idéale cet événement considérable pour Johnnie Walker», précise Jim Beveridge, maître assembleur chez Johnnie Walker. Bien qu’annoncés pour célébrer l’anniversaire de John Walker en juillet, ces whiskies ne seront pas disponibles avant octobre sur l’ensemble des marchés. Pour ce qui est des prix et de la diffusion, la firme demeure pour l’heure discrète. S’il y a lieu de penser que les expressions les moins onéreuses seront disponibles en volumes plus abondants, ces éditions sont toutes strictement limitées en quantité et ne sauraient constituer un ajout permanent à la gamme Johnnie Walker : l’amateur intéressé devra se décider rapidement, car il est à prévoir que la demande sera forte, en particulier en Extrême-Orient et aux États-Unis où la marque Johnnie Walker s’est depuis longtemps imposée comme très populaire. Malheureusement, aucune note de dégustation officielle n’a été publiée et, au moment de la rédaction de ces lignes, aucun échantillon n’était disponible. Il est donc malheureusement impossible de dire grand-chose sur ces whiskies, même s’ils devraient être d’une qualité insigne et s’inscrire dans le droit fil du style Johnnie Walker, avec des notes caractéristiques de tourbe côtière tempérées par le fruité du Speyside. Bicentenary Blend, en particulier, est en soi un whisky remarquable qui sera sans aucun doute très recherché.
On peut affirmer sans grand risque d’erreur que d’autres activités promotionnelles seront assurées pour célébrer cet anniversaire historique. Même si la Covid-19 aura perturbé les projets les mieux préparés de l’entreprise, l’histoire nous apprend que d’autres difficultés ont pu être surmontées. Pareille occasion ne saurait donc pas passer inaperçue. Les blends Johnnie Walker jouissent d’une réputation internationale et sont tenus en très haute estime par la profession, tant pour leur qualité que pour leur cohérence, c’est pourquoi un moment aussi important dans l’histoire du scotch whisky se doit d’être dûment célébré. Mais la firme ne saurait s’arrêter là : outre l’inauguration du somptueux siège de la marque prévue pour l’année prochaine, Johnnie Walker Black Label sera proposé également début 2021 dans une bouteille en papier, ce qui constituera une première mondiale. Fabriqué à partir de cellulose et de pâte à papier respectant les normes du développement durable, ce sera le premier flacon de l’industrie des spiritueux entièrement sans plastique et recyclable. Une innovation remarquable qui s’inscrit bien dans l’air du temps.
C’est donc avec impatience que l’on attend la venue, sur les étagères des cavistes du coin, de quatre remarquables nouvelles expressions de Johnnie Walker ainsi que d’une singulière bouteille en papier, en levant notre verre pour saluer le savoir-faire entrepreneurial et la détermination d’un adolescent remarquable et de ses successeurs. Même si les liens familiaux se sont depuis longtemps distendus, l’esprit d’entreprise et d’innovation demeure. Un héritage qui frapperait d’étonnement John Walker, mais dont il tirerait assurément grande fierté. En dépit de tout ce que l’année 2020 a fait subir au monde, Walker n’en continue pas moins d’avancer à grandes enjambées.
Par Ian Buxton