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La sacro-sainte Appellation d’Origine Contrôlée Rhum Martinique est rentrée dans sa 20e année. Deux décennies consommées et révolues qui auront précédé une vingtaine d’années de luttes et de patience. De ses prémices en 1974 en passant par le décret de 1996 jusqu’à aujourd’hui, flash-back historique et héroïque de la filière rhum martiniquaise.

De la création du syndicat agricole de la Martinique en 1895, née de la nécessité de lutter contre la fraude et promouvoir un produit de qualité, à celle d’un syndicat spécifique qui propose des rhums agricoles en bouteille durant l’entre-deux-guerres, les producteurs ont très rapidement compris l’importance de se démarquer et de garantir la qualité et l’origine de leur production. Déjà nous assistons à la création de certificats d’origine et à la mise en place de contrôle par une commission de dégustation, montrant l’esprit visionnaire et audacieux de nos aïeux qui construisent sans le savoir les bases durables de la future AOC, qui n’arrivera qu’un siècle plus tard…

En 1960, des producteurs se regroupent autour du Coderum (Comité martiniquais d’organisation et de défense du marché du rhum) pour régulariser le marché, favoriser l’écoulement des productions et lancent les toutes premières campagnes publicitaires collectives pour développer l’image de marque du rhum martiniquais. De l’union naît la force et de cette force, les envies de démarcation. Il existe alors déjà dans les départements d’outre-mer une Appellation d’Origine Simple (AOS), mais rien de suffisamment robuste pour les producteurs martiniquais qui manifestent rapidement leur envie de voir plus loin et de se démarquer encore plus. Une première étape est franchie en 1973 avec la mention Rhum Agricole Martinique, plus protectionniste, mais pas encore suffisante pour la profession. C’est ainsi qu’en 1974 est déposée la première demande officielle pour l’obtention de l’AOC Rhum Agricole Martinique. Une offensive conduite par Jean-Pierre Bourdillon, de son vivant P.-D.G. des rhums La Mauny, alors président du syndicat des producteurs de rhum de la Martinique et qui fut en son temps président du Coderum et de la Fédération nationale du rhum (Fenarum).

Une quête de vingt-deux ans

Homme infatigable et défenseur hors norme qui se battra toute sa vie pour l’obtention de l’AOC, il sera soutenu dans cette quête de vingt-deux ans par d’autres pionniers parmi lesquels Jean-Claude Benoît, directeur général des rhums Saint James, Jean Bally, André Depaz, Yves Bernus, Yves Chêne (rhums Trois Rivières) et Jean Neisson.

Deux décennies d’efforts, d’actions concertées et de patience auront été nécessaires pour que le 5 novembre 1996, cette mention soit officiellement autorisée. Une première mondiale dans le domaine du rhum et une « grande victoire pour les rhums de Martinique » clame Jean-Claude Benoît, alors président du Syndicat de défense de l’appellation d’origine rhum agricole Martinique (SDAORAM). Une victoire qui vient récompenser une démarche volontariste et collective de longue haleine, et qui reconnaît enfin le savoir-faire des rhumiers, un lien fort au terroir et défend une vraie typicité. Les producteurs peuvent ainsi se démarquer des autres rhums et valoriser leurs critères de qualité et de fabrication. À l’heure actuelle, le rhum de Martinique est le seul au monde à bénéficier d’une AOC, récompense suprême d’excellence reconnue mondialement comme signe de qualité et de traçabilité. C’est aussi la seule AOC à mettre en place un contrôle de qualité par une commission de dégustation.

Il aura fallu tout de même lever des barrières juridiques importantes et composer avec l’évolution des normes européennes, mais aussi – et surtout – rendre compétent l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine) sur les territoires de l’outre-mer, qui n’avait encore jamais accordé l’appellation AOC à une eau-de-vie blanche. Après moult péripéties et tractations, le rhum agricole martiniquais est donc officiellement distingué. L’AOC va stimuler la production de canne à sucre qui s’impose aujourd’hui comme la richesse de toute une île et aura grandement aidé toute la filière rhum à se maintenir et se développer.

En vingt ans, l’AOC aura permis d’imposer le rhum comme un produit patrimonial qui relie la Martinique à son passé et qui lui aura permis, à force de luttes intenses, de transcender une histoire éprouvante en transformant un lourd héritage en réelle fierté. De la résilience à l’excellence, des champs de cannes aux tables les plus cosmopolites, des chais les plus reclus aux pays les plus éloignés, le rhum agricole AOC n’en a pas fini de briller. Il est à la fois une force et une chance, et nous rappelle féeriquement à chaque gorgée ce formidable esprit de résistance et cette vision sans cesse renouvelés et tournés vers l’avenir. Comme l’a rappelé Claudine Neisson-Vernant lors de son discours prononcé le soir de la cérémonie des 20 ans de l’AOC : « Quand on aime, on a toujours vingt ans ». Souhaitons ici à son successeur d’aimer avec la même passion, et inconditionnellement.

Par Cyril Weglarz

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