Début décembre 2022, Joy Spence et Luca Gargano dévoilaient les 2 nouveaux millésimes bruts de fûts 100% pot still de la plus ancienne distillerie jamaïcaine. Et on n’imaginait pas meilleure nouvelle sous le soleil de Jamaïque. Sauf que si : les voici à présents disponibles sur le marché. A vos marques, prêts…
Soudain un sourire lumineux fend son visage, et jamais prénom ne fut aussi bien porté. Joy Spence, master blender des rhums Appleton, s’apprête à dévoiler les deux nouveaux bottlings de la Hearts Collection initiée en 2020 en collaboration avec Velier. Un Evénement, e majuscule s’il vous plaît. La grappe de journalistes s’installe dans la salle de dégustation à son nom, au terme d’un parcours de visite historico-technique qui porte également son nom, la Joy Spence Appleton Estate Rum Experience.
Car la septuagénaire est une star. Entrée comme chimiste chez Wray & Nephew (la maison mère d’Appleton, aujourd’hui dans le giron de Campari) il y a plus de quarante ans, elle fut la première femme master blender nommée dans l’industrie du rhum, en 1997. Une prouesse, dans un univers où les chromosomes XX se comptaient jusqu’à il y a peu sur les doigts d’une moufle, et au sein d’une société jamaïcaine restée terriblement machiste à bien des égards.
« Cela faisait très longtemps que je voulais créer un rhum Appleton 100% pot still », souffle-t-elle à voix basse. Car la vieille distillerie jamaïcaine assemble pour composer sa gamme des jus distillés en colonne à d’autres concentrés en alambics, des pot stills de cuivre à double retort qui crachent en une passe une gnôle à 85% environ.
Finalement, le coup de pousse de Luca Gargano – lui parle de coup de foudre amical –, va déclencher l’aventure dont Joy Spence rêvait : des Appleton sauvages et rugissants, des Appleton bruts de fût purs pot still. Si Velier embouteille la Hearts Collection, dans ses célèbres bouteilles noires qui affolent les maisons d’enchères et transforment les collectionneurs en zombies mous du bulbe, les flacons sont bel et bien des versions officielles.
On déguste ? La 3e salve de la Hearts Collection se compose d’un binôme 1993 (13 fûts assemblés) et 2002 (20 fûts). Avec ses notes de fleur d’oranger, de café fraîchement torréfié, de mélasse onctueusement réglissée, de caramel fondant sur le chêne livré à pleine patate, le millésime 2002 s’acoquinera avec une bouchée de kiwi tout juste pelé, sur les conseils de Joy Spence. « L’apport de la distillation en pot still, ce sont ces notes d’orange qui signent tous les rhums Appleton »,révèle la master blender. Chaque assemblage en contient une proportion, plus ou moins grande selon les expressions.
Le millésime 1993, un superbe spécimen vieilli 29 ans, lâche les épices, la menthe et les zestes d’orange sur une structure boisée (of course), le caramel vanillé s’invitant en finale, encore, encore, encore – la finale. Une merveille à siroter en croquant un chocolat noir, insiste Joy, en pied de nez aux puristes qui voudront le déguster religieusement sec. Mais en 2020, en révélant les premiers bottlings Hearts Collection, ne conseillait-elle pas de servir le rare 1995 en Old Fashioned sucré à la mélasse ? Une tuerie, soit dit en passant, because, oui, forcément, j’ai essayé.