Construite en 2007 par Ichiro Akuto, la distillerie Chichibu est très vite devenue une petite star du whisky japonais. Avec Stefan Van Eycken, le point sur les collectors d'une maison d'exception.
Reprise du Whisky Magazine n°82
Quand Ichiro Akuto décida de créer une petite distillerie artisanale dans les collines de Chichibu, sa ville natale située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Tokyo, on fut unanime, dans le petit monde des spiritueux, à penser qu’il avait perdu la tête. C’était en 2007. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la consommation de whisky au Japon n’avait jamais été aussi basse. La distillerie Hanyu, fondée par son grand-père, avait été mise en sommeil après la faillite de sa société mère en 2000 et, depuis, Ichiro vendait à grand-peine le stock restant, une bouteille, voire une caisse à la fois, ici ou là. C’est dire à quel point la situation était catastrophique à l’époque où Ichiro s’est mis dans la tête que le moment était venu de fonder sa propre distillerie. Il est facile, avec le recul, d’oublier à quel point il était courageux, d’aucuns diraient téméraire, d’ouvrir dans ces circonstances une nouvelle distillerie de malt. Mais l’histoire a donné raison à Ichiro. Il semble difficile qu’une autre distillerie fondée au XXIe siècle puisse bénéficier d’un cercle d’amateurs composé d’un aussi grand nombre de féroces fanatiques. Ce qui est certain, c’est que nulle autre “jeune” distillerie ne voit ses embouteillages atteindre sur le marché secondaire des prix aussi stratosphériques que ceux qu’affiche Chichibu, au grand dam, d’ailleurs, d’Ichiro, car celui-ci souhaite que ses whiskies soient avant tout appréciés pour eux-mêmes, sans le fétichisme qui les entoure. Mais telle est la rançon du succès…
Une distillerie en édition limitée
Treize ans après la mise en production de la distillerie, celle-ci ne propose toujours pas de cœur de gamme, et il ne semble pas qu’il soit prévu d’en commercialiser un dans un avenir proche. Les volumes de production sont tout simplement trop faibles et la demande trop forte. Tout, par définition chez Chichibu, est en édition limitée, et certaines expressions le sont davantage que d’autres. Les embouteillages sur lesquels il est relativement plus “facile” de mettre la main sont les éditions annuelles (plusieurs sont parfois proposées une même année) qui représentent quelques milliers de flacons : On The Way, The Peated, IPA Finish, The First Ten, etc. Mais même ces éditions s’assèchent comme neige au soleil. On pense également aux éditions régionales annuelles qu’Ichiro commercialise depuis 2018 (The Paris Edition, The London Edition, The U.S. Edition, etc.) et qui visent le grand public.
Tout le reste, c’est du single cask et il est quasi impossible d’en trouver. Mais même dans cette atmosphère raréfiée, certains sont encore plus recherchés que d’autres. Les embouteillages dits Malt Dream Casks [“rêve de malt”] sont parmi les plus prisés. Ils ont été réalisés par des particuliers ou des bars/détaillants en spiritueux qui, par prévoyance, avaient acquis un fût de distillat à l’époque où Ichiro démarrait la production de Chichibu. Si le nombre exact de fûts ainsi proposés au cours des premières années d’exploitation de la distillerie demeure inconnu, la rumeur qui circule parmi les amateurs, « pas plus d’une centaine », semble fondée. Ces fûts représentent en majorité les deux premiers millésimes (2008-2009), mais un petit nombre date de 2010 et 2012. Le programme Malt Dream Casks préconisait une durée de maturation maximale de 10 ans ; nous sommes donc arrivés à l’époque où la plupart de ces fûts devrait avoir été embouteillés. Les autres embouteillages Chichibu single cask très recherchés sont ceux qui forment une série continue d’expressions Chichibu, ou qui s’inscrivent dans de prestigieuses séries continues de whisky japonais. La première catégorie regroupe les embouteillages Chichibu Whisky Matsuri réalisés depuis 2015 pour le matsuri (“fête annuelle des moissons”) de Chichibu, la série Endangered Animals (pour la foire annuelle Whisky Talk de Fukuoka), les embouteillages commercialisés au début de chaque année par le grand magasin Takashimaya, dont l’étiquette figure le signe du zodiaque de l’année, ainsi que la série Intergalactic. La seconde catégorie se compose des embouteillages Chichibu de la série The Game pour le caviste et embouteilleur Shinanoya, et ceux de la série Ghost. Les étiquettes particulièrement séduisantes tendent également à attirer davantage l’attention et donc à atteindre des prix plus élevés sur le marché secondaire. D’aucuns se désespèrent de constater que Chichibu n’est plus à la portée de l’amateur lambda de whisky, tant en raison de sa rareté que de ses prix à la revente, ou des deux. Ichiro’s Malt, qui arbore une étiquette en forme de feuille verte, est souvent négligé, or ce whisky, techniquement un vatted malt [assemblage de malts] de Hanyu et de Chichibu, est composé à plus de 90 % de malt Chichibu. Voilà, pour l’instant, ce qui se ressemble le plus à un single malt Chichibu vendu à prix raisonnable et relativement facile à dénicher pour une dégustation au jour le jour.
CHICHIBU, QUELQUES CHIFFRES :
02/2008
La production de la distillerie Chichibu a démarré en février 2008. Les amateurs de Chichibu qui ont grande expérience de la dégustation de ses whiskies, et qui ne se contentent pas de les conserver intacts dans un placard, ont observé un changement de caractère notable intervenu entre le millésime 2008 et ceux des années 2009 et suivantes. Le personnel de la distillerie présent depuis le début de son activité en convient : en 2008, ils étaient encore en train de chercher leurs marques, alors qu’en 2009 ils savaient très exactement dans quelle direction aller.
400 kg
C’est le poids de la quantité d’orge maltée utilisée par la distillerie Chichibu pour chaque cuvée. Chez Chichibu, le brassage se fait littéralement main à la pâte : le moût est brassé manuellement avec une palette en bois ! Chose peu courante dans les distilleries de whisky…
no 80-81-82
Le plus jeune Chichibu jamais commercialisé, ces trois fûts jumeaux (tous des ex-fûts de bourbon) ont été embouteillés individuellement sous la marque Chichibu New Born. L’eau-de-vie a été distillée en mai 2008 puis mise en bouteille en septembre 2008. Il existe six autres embouteillages New Born datant du démarrage de la production qui, avec les trois mentionnés ci-dessus, ont donné une première indication de la qualité du travail effectué par la distillerie Chichibu.
53 000 LAP
En litres d’alcool pur, c’est le volume de production de la distillerie Chichibu au cours de la dernière saison (2020-2021), ce qui explique en partie pourquoi il est si difficile de se procurer un flacon de whisky Chichibu. Cela représente une quantité annuelle équivalente à 420 fûts de bourbon remplis à la force du distillat.
LE PREMIER
Si la réglementation japonaise est muette en matière de durée minimale de maturation du whisky, les producteurs sérieux respectent la règle des trois ans en vigueur en Écosse. Ichiro a lancé son “premier whisky single malt” à l’automne 2011. Distillé au cours de la première année de production et élevé exclusivement en ex-fûts de bourbon, il a été initialement commercialisé à 7 400 flacons (titrant 61,8 %), suivis de 2 040 autres bouteilles distribuées aux États-Unis (titrant 59 %)
no 1000
Ce fût est particulièrement singulier : un Chichibu tourbé distillé en 2010 et élevé dans un fût hogshead en chêne japonais mizunara. Commercialisées en 2018 par Number One Drinks, ses 278 bouteilles en édition limitée sont rapidement devenues autant de collectors recherchés, non seulement pour la qualité de leur contenu, mais aussi pour leur étiquette figurant une œuvre du célèbre artiste de mangas Susumu Matsushita.
130.x
Le numéro d’ordre de la distillerie Chichibu dans le registre de la Scotch Malt Whisky Society. Le numéro 130.1 (Dynamic and Attractive) a été commercialisé en 2013 ; les deux versions les plus récentes (130.4 et 130.5) l’ont été en 2020. Distribués de manière éparse et disponibles uniquement par tirage au sort dans les différents “chapitres” de la société à travers le monde, ce sont quelques-uns des embouteillages Chichibu single cask les plus introuvables.
DÉBUT DE LA TRENTAINE
L’âge moyen du personnel de la distillerie Chichibu varie bien entendu d’une année sur l’autre, mais depuis de nombreuses années, il gravite autour du début de la trentaine. Comme pour tout ce qu’il entreprend, Ichiro anticipe très en amont et n’ignore pas que la seule façon de s’assurer pouvoir travailler avec une équipe solide à court et moyen termes, consiste à embaucher des jeunes pour les former à tous les aspects de la production du whisky.
ENVIRON 900 EUROS
C’est à l’heure actuelle le prix moyen d’une bouteille de Chichibu sur le marché secondaire. Lui-même convaincu que ses whiskies sont destinés à être consommés, et non thésaurisés ni à faire l’objet de spéculation, Ichiro fixe ses prix en conséquence. Si l’on repère des prix très élevés chez un détaillant ou sur le marché secondaire, c’est donc que d’autres forces sont à l’œuvre !
LE PREMIER 10 ANS
Autre jalon, le premier embouteillage officiel âgé de 10 ans a été lancé en novembre 2020. Commercialisé en édition limitée à 5 000 bouteilles (une moitié destinée au Japon, l’autre moitié au reste du monde), il s’agit d’un vatting de 26 fûts, principalement des ex-fûts de bourbon de premier remplissage, mais aussi des mizunara et des ex-fûts de xérès, ainsi qu’une petite proportion de Chichibu tourbé conférant à la saveur de l’ensemble davantage de profondeur.
Par Stefan Van Eycken
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