Quand on croise John Glaser, un sentiment de sérénité se dégage du bonhomme et pourtant. Le fondateur de Compass Box continue de creuser son sillon sur les terres du scotch, proposant régulièrement des séries limitées aussi délicieuses gustativement que visuellement. Ses collaborations avec l'agence de Design écossaise Stranger & Stranger élèvent le packaging et le design des bouteilles au rang d'un véritable art en soi. Jonglant entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni, whiskymag.fr rencontre quelques minutes celui qui demeure l'une des personnalités les plus influentes du secteur. À l'occasion de la prochain sortie de son nouveau Flaming Heart, il se livre sur ses passions : le scotch avec Compass Box, le vin, la Bourgogne et les livres sur...la céramique.
Whiskymag.fr : Cela fait 3 ans d’absence dans l’hexagone… Que ressens-tu ?
John Glaser : J’adore ce pays depuis ma première venue en 1986. J’avais 23 ans. Je suis venu pour essayer d'apprendre le français et cueillir des raisins en Bourgogne. Et je suis tombé amoureux à ce moment-là, et je le suis resté depuis.
Wmag.fr : Penses-tu que la relation entre Compass Box et la France ait quelque chose de spécial ?
JG : J'ai commencé ma vie professionnelle en voulant être vigneron, quand j'ai quitté l'université. C'était mon truc. Je suis tombé amoureux du vin. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis venu ici : apprendre le français pour cueillir des raisins et parler aux viticulteurs bourguignons. J'ai donc suivi la voie du vin pendant un certain temps et j'étais sur le point de retourner à l'école pour étudier la viticulture et l'œnologie aux États-Unis.
Je travaillais dans un magasin de vin dans le Connecticut, et mon patron de l'époque m'a dit : "John, tu ne peux pas grossir les rangs de ceux qui essaient de devenir vignerons dans la Napa Valley. Tu devrais devenir commercial.”
C'est ce que j'ai fait. Je suis retourné à l'école, j'ai fait du commerce, je n'ai pas pu trouver de travail dans le vin et j'ai trouvé un emploi chez Johnny Walker à New York. Puis ils ont déménagé à Londres, et ensuite j'ai lancé Compass Box.
Wmag.fr: Chaque fois que je te rencontre, John, tu présentes de nouvelles références, toujours en mouvement, comment t’organises-tu ?
JG : Le truc chez Compass Box, c’est que nous avons trop d’idées… on est désormais une équipe de 20 personnes dans la boîte. Je travaille avec James Saxon sur la fabrication du whisky. On se nourrit les uns et les autres. On est toujours à se demander quelles idées choisir et lesquelles concrétiser. Le problème ce n’est pas de trouver des idées. Il s'agit de décider quelles sont celles qui valent la peine d'être mises au monde et sur lesquelles il faut passer du temps.
Wmag.fr : Justement, parle-nous un peu des nouveautés à sortir ?
JG : Nous avons fait de nombreuses éditions limitées de Flaming Heart au fil des ans et nous les rééditons régulièrement, ce n’est pas le cas avec les autres éditions limitées.
Mais avec Flaming Heart, il faut savoir qu’il y a des adeptes dans le monde entier, des fans qui aiment le style et l'idée. On travaille un style différent avec Flaming Heart, il combine un whisky fumé avec des whiskies plus mous, assez riches, que nous finissons en chêne français procurant un caractère riche et profond.
Depuis plus de 15 ans, nous nous approvisionnons directement auprès de vignerons. On ramène les fûts en Ecosse. On travaille avec des artisans tonneliers pour les façonner et produire un résultat sur mesure.
En fait, ce sont d’abord des Spice Tree, que nous laissons vieillir plus longtemps et qui deviennent du Flaming Heart. Nous les combinons avec des whiskies fortement caramélisés, puis le troisième composant est constitué de malts non tourbés, généralement des Highlands (Clynelish par exemple).
Wmag.fr : La transparence reste-t-elle un moteur pour toi ?
JG : Absolument, j’en suis convaincu. Pour en revenir au vin, plus jeune je m’amusais à lire les étiquettes parce que j'étais un geek. Les vignobles californiens, par exemple, j’adore ! Leurs étiquettes décrivaient pleins de trucs et c'était super intéressant : l’emplacement du vignoble, du type de sol, du rendement à l’hectare, du type de fût, de la durée de fermentation, du PH… Tout était indiqué sur la contre-étiquette. Et j'adorais ça. C’est ce qui m'a inspiré lorsque j'ai lancé Compass Box : être totalement transparent sur tous les détails de nos whiskies. Nous ne mettons pas de PH, mais nous donnons beaucoup d'autres détails. (rires)
Wmag.fr : Est-il plus difficile pour toi de s'approvisionner en whisky en Ecosse en ce moment ?
JG : Certains auront du mal à le croire, mais nous avons plus que jamais accès au whisky aujourd'hui. Et c'est parce que nous le faisons depuis si longtemps. Il y a 22 ans, la plupart des grandes distilleries avaient beaucoup trop de scotch dans leurs stocks parce que le scotch était en déclin.
Nous avons donc des relations qui remontent à loin. Je pense que les gens réalisent que si vous vendez à Compass Box, nous traiterons votre whisky avec soin et intégrité. Nous avons donc la qualité, la réputation, c'est bon pour eux, je pense.
Nous avons également plus de 400 fûts de whisky qui vieillissent. Et nous avons des accords avec les distilleries pour remplir de nouveaux whiskies chaque année.
Pour quelqu’un qui voudrait lancer une entreprise comme celle-ci aujourd'hui, ce serait plus difficile. Vous pouvez le faire. Ce n'est pas impossible, n'importe qui pourrait le faire, mais c'est plus difficile aujourd'hui qu'il y a 22 ans.
Wmag.fr : En France, le nombre de distilleries ne cesse d'augmenter. Une chance d’imaginer un blend franco-britannique un jour ?
JG : Il ne faut jamais dire jamais. Il y a quelques années, on a lancé un blend de scotch whisky et de calvados, Affinity.
Nous l'avons fait d’abord parce que c'était délicieux mais aussi parce que je pense qu'il y a une véritable affinité entre les deux spiritueux. Une vraie alliance, en somme.
Wmag.fr : Tu gardes un regard neuf sur ton travail, c’est stimulant…
JG : Rester curieux…
Et comment être curieux ? Eh bien, ce que j'aime, c’est apprendre, ou parfois lire des choses que je trouve vraiment ennuyeuses. Il y a quelques années, j'ai commencé à acheter des livres sur la céramique. La céramique ? Oui. La céramique ne m'intéresse pas. Je n'ai jamais rien fait avec la céramique. Mais j'ai lu un article sur un type qui est tombé amoureux de la céramique et ça l'a tellement inspiré. Et c'est ce livre qui m'a inspiré. J'en suis à la moitié. J'ai appris quelques trucs sur la céramique et je ne sais pas, peut-être que ça m'a donné une idée, peut-être pas, et peut-être que ce sera le cas à l’avenir, mais voilà... j'aime juste apprendre constamment.
Wmag.fr : Tu es un peu un artiste, un compositeur en somme ?
JG : Cela m'a pris du temps. Quand j'ai commencé à venir ici avec Compass Box, tout était si différent. Je devais expliquer, lors des premiers Whisky Live, ce que je faisais. Très souvent en France, les amateurs écoutaient et me regardaient comme un artiste. Et au début, je pensais
: “ Oh, c'est vraiment gentil de leur part de dire ça, mais j'essaie juste de faire du whisky ». Cela s'est produit tellement de fois au fil des ans et notamment en France, que je commence à y croire (rires).
Bien que je ne mette pas « artiste » sur ma carte de visite, je pense que chez Compass Box, ensemble avec l’équipe, nous créons. C'est une forme d'art. Et je suis à l'aise avec ça maintenant.
Propos recueillis par Nicolas LE BRUN
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