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Au cœur de certaines forêts de l’hexagone, se cache un trésor très convoité : le chêne français, la plus réputée des essences, la plus rare aussi. Droits comme un “i”, fier comme Artaban, le vénérable géant jusqu’à trois fois centenaires va inévitablement finir en barrique, ce génial contenant microporeux à l’air et étanche au liquide. Une ballade en forêt s’impose, là où tout commence.

Un miracle pour les vins dont seulement 2 % de la production passent en barrique. Un très grand miracle pour le cognac et l’armagnac dont 100 % de la production est vieillie en fûts de chêne. C’est à Cognac que l’on trouve la plus grande concentration de tonneliers et de barriques au monde. Merci à Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV qui, dès 1650, a fait planter les forêts de grands chênes du centre de la France pour les besoins de l’industrie maritime. Cet effort de reconstitution de la forêt française a fait la réputation des chênes du Tronçais et du Limousin, entre autres. Ils sont devenus, d’abord par proximité puis par tradition, les chênes français majoritairement utilisés pour la fabrication des fûts destinés au cognac.

Des supers pouvoirs

Dégustation après dégustation, étude après étude, le chêne français a fait la preuve de son influence sur les qualités organoleptiques des meilleurs vins et eaux-de-vie du monde. Même si au départ, les atouts de la barrique résidaient dans sa capacité à faciliter le transport de liquide, il suffisait de la faire rouler. Des supers pouvoirs, à commencer par celui d’offrir une supériorité nette, constante et reproductible aux vins et spiritueux élevés en fûts de chêne neufs. Du choix de l’origine et de l’essence du bois, du temps de vieillissement naîtront des profils aromatiques différents. C’est ainsi que dans les forêts françaises cohabitent plusieurs types de chênes. Principalement du chêne sessile au grain fin, à la croissance plus lente et moins riche en tanins, et le chêne pédonculé au grain plus grossier et plus tannique mais moins riche en composés aromatiques. Bottes aux pieds, mètre à la main, carnet dans la poche, les acheteurs de bois envoyés par les tonnelleries arpentent les chénaies françaises en quête des plus beaux spécimen. C’est un travail d’expert, rien ne leur échappe. Ils sont là pour vérifier la qualité et estimer le prix du bois sur pied, car dans les forêts françaises, les chênes sont vendus par lot et sur catalogue. Ils savent que si dans un arbre tout est bon, tout n’est pas bon pour faire un fût. Le regard affûté, ils évaluent la droiture d’un tronc comme un gage espéré d’étanchéité, ils mesurent la circonférence d’un autre, repèrent les défauts, imaginent ceux qui se cachent derrière l’écorce. « Il faut aussi évaluer le volume de merrains (les planches brutes utilisées ensuite pour la fabrication des fûts, ndlr) que nous pouvons obtenir de chaque chêne », précise Boris Chanteloup, responsable des achats pour la tonnellerie charentaise Doreau. Le rendement ! Un sacré nerf dans la guerre du chêne toujours vendu aux enchères et souvent au compte-gouttes par l’Office National des Forêts. L’ONF est chargé de l’entretien et de la valorisation des forêts publiques. Si l’institution ne gère que 25 % de la forêt française, elle fournit aujourd’hui 65 % des bois de tonnellerie, le reste venant d’exploitations privées. « Le fût de chêne est réservé à des élites, aux plus grandes appellations », confirme Jean-Luc Sylvain président de la Fédération des Tonneliers de France, une organisation qui regroupe 90 % de la production. « C’est une matière première chère qui compte pour 1/3 dans le prix d’une barrique vendue entre 700 et 800 euros la pièce. Les cours sont à la hausse car l’ONF est entré depuis quelques années dans une démarche de rentabilité et de contrôle des volumes mis en marché ». Les acheteurs de bois se retrouvent pour les grandes ventes d’automne et de printemps. En vingt secondes l’affaire est conclue. Parfois on gagne, parfois on perd. Les plus beaux lots coupés en janvier, reviendront au plus offrant au cours d’enchères à bulletin secret.

La métamorphose

Pousser lentement, haut et droit ne suffit pas pour devenir le compagnon de choix d’un vin ou d’un spiritueux haut de gamme. La tonnellerie est un métier de terroir et d’hommes. Le plus beau chêne est inutilisable sans le séchage et la maturation de son bois. Dans la merranderie où les billes de bois (les grumes) sont transformées en merrains, on garde le meilleur pour la fabrication des tonneaux (entre 5 et 30 % de l’arbre selon les espèces). Une quarantaine de merranderies françaises assurent cette étape. Elles sont pour la plupart intégrée aux tonnelleries dans un souci de traçabilité, de qualité et d’approvisionnement. « Dans un chêne rien ne se perd ! Ce qui n’est pas utilisé pour fabriquer les fûts est valorisé par d’autres filières de l’industrie du bois », précise Nicolas Moreau, directeur technique chez Doreau. « Les merrains passent ensuite entre 18 et 36 mois de séchage sur nos parcs à bois. C’est une condition nécessaire pour débarrasser le chêne de son humidité et de l’amertume naturelle de ses tanins afin d’obtenir les qualités aromatiques et organoleptiques que nous recherchons », précise le spécialiste. L’action de la pluie, de l’air, l’alternance des périodes humides et sèches influent sur l’évolution des constituants du bois et lessivent les composés indésirables. Plus tard, dans son berceau de chêne, le cognac y gagnera en souplesse et en rondeur. Il puisera dans le fût sa couleur dorée et l’expression de ses arômes complexes allant de la vanille jusqu’aux épices. « Dans le parc à bois, nous stockons les merrains sur palettes à claire voix afin de faciliter la circulation de l’eau de pluie et de l’air. Ensuite ils passent par la cellule de stabilisation », reprend Nicolas Moreau. « Quels que soient les aléas climatiques, cette étape permet de travailler le bois idéalement entre 12 et 19 % d’humidité et de limiter la casse de cette matière première précieuse. »

Le goût du bois

Véritable signature, le fût de chêne doit pouvoir répondre aux exigences des clients vignerons et négociants et aux tendances des marchés. Pour Alban Petiteaux, fondateur d’Oenowood International et ancien de la tonnellerie Seguin Moreau, le vieillissement en fût de chêne est un outil d’innovation et de différentiation encore trop peu exploré. « Son origine, ses grains différents d’une espèce à l’autre, les conditions de séchage du merrain et plus tard son usinage et sa chauffe impactent directement le goût et les arômes des vins et spiritueux. On peut jouer sur tous ces éléments pour donner une identité au liquide ». Chacun y va de son argument. La maison Martell revendique le grain fin et des chauffes légères pour ses eaux-de-vie délicates et fleuries distillées sans lie pendant que le gros grain et des chauffes plus fortes ont la faveur de Rémy Martin pour ses eaux-de-vie de Fine Champagne distillées sur lies et riche en esters d’acide gras. Côté vin, si les années 90 ont glorifié en critère de qualité le boisé – un élément gustatif facilement reconnaissable – l’expérience du terroir et du fruit est venue plus tard dans les années 2000. Une tendance qui s’affirme aussi pour les spiritueux vieillis, en quête de l’équilibre sacré fruit/bois/épices. De nouvelles recettes font la part belle à l’expression de notes aromatiques plus fruitées sans apport de tanin. Certains repoussent les frontières de la tradition comme le dernier né de la maison Bache Gabrielsen avec un vieillissement en chêne américain.

Il y aurait tant à dire encore. De la fabrication d’un fût, de la durée du vieillissement, de la température et de l’hygrométrie des chais, des caractéristiques de l’eau-de-vie de cognac et de ses quatre cents molécules, du temps long, très long. Véritable pilier des arômes, ce bois au service du vin et des eaux-de-vie est un artisan discret de mariages réussis. « N’oublions jamais que le bois est un outil au service du vin et des spiritueux. Il faut savoir s’en servir. Au fil du temps, nos clients n’ont plus seulement vu la tonnellerie comme un fournisseur mais comme un partenaire. Aujourd’hui, le plus beau compliment à faire à une barrique, c’est de ne pas en parler », me confiait récemment Michel Bonhomme, l’artisan du développement commercial de la tonnellerie Taransaud pendant quarante ans. Moi, ce que j’en retiens, c’est qu’on ne fait décidément pas du cognac comme on fait de la vodka ! À bon entendeur…

En 2016, les entreprises adhérentes à la Fédération des Tonneliers de France ont produit plus de 600 000 fûts pour un chiffre d’affaires de 409 millions d’euros soit une augmentation de 2,2 % en volume et 4,6 % en valeur. Les Tonneliers Français demeurent leaders mondiaux et continuent de tirer leur épingle du jeu à l’export avec 66 % de leur production vendus à l’étranger. L’élevage sous chêne des vins et des spiritueux est concentré autour de cinq pays qui représentent 80 % du marché mondial. Pour la deuxième année consécutive, la France se détache des États-Unis en tant que premier marché, tandis que l’Italie et l’Espagne se placent aux 3e et 4e rangs devant l’Australie.

© Yoshi – Doreau Tonneliers

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