La Distillerie des Menhirs, à Plomelin dans le Finistère, présente le plus vieux whisky français jamais embouteillé : Eddu Graal, 21 ans. Un whisky de blé noir qui raconte une histoire, une aventure, un défi. Une quête.
C’est le plus vieux whisky français jamais sorti sur le marché. Graal, 21 ans, un exploit, un miracle dont on mesure mal la fragilité dans la jeune histoire de ce breuvage sous nos frontières. Coulé de l’alambic en mars 2001 – alambic au singulier car, à l’époque, la Distillerie des Menhirs n’avait pas encore ajouté le second, et produisait une bonne chauffe par semaine en suant des ronds de chapeau.
C’est d’abord une histoire de femme. Celle de Francès Le Lay, l’aïeule, qui en 1921 racheta d’occase un alambic monté sur roues capable de pisser en une heure 300 l de cidre réduits en lambig, le calva du cru, en divaguant de ferme en ferme. Cent ans de distillation, nom de Zeus, ça vous pose.
C’est la quête d’un homme, Guy Le Lay, rattrapé par l’atavisme familial. Prof de maths, le premier dans la lignée à échapper à la condition de bouilleur itinérant… et pourtant celui qui engagera tous les développements qui mèneront au Graal. A la mort de son père, il quitte l’enseignement, sédentarise l’alambic et lui construit une distillerie à Plomelin, près de Quimper, là où les terres se finissent dans un fondu de ciel et d’océan. Mauvaise idée, prophétise son entourage. « Préparez-vous à lui apporter des oranges en prison », conseille l’employé des Douanes à son épouse Anne-Marie. Comme si cette tête de pioche était du genre à renoncer à ses intuitions une fois qu’elles lui trottaient dans la calebasse.
C’est la genèse d’un whisky pas comme les autres. Hors normes. Inclassable. Un défi aux lois des probabilités, un saut dans l’inconnu, une aventure qui vous emporte toutes voiles dehors. Quand, en visitant Dalwhinnie, Guy Le Lay pige que l’hiver n’empêche pas la distillerie de tourner alors que la fabrication des eaux-de-vie de pomme reste saisonnière, l’idée commence à germer. Mais quel intérêt de copier les Ecossais ? Il choisit pour matière première le sarrasin, le blé noir local, ce « blé du pauvre » qui pousse sur les sols arides, se passe d’engrais ou de pesticides et permit aux Bretons de résister aux famines du passé. Une pseudo-céréale à la croissance rapide, aux rendements médiocres – 4 fois inférieurs à l’orge pour un prix à la tonne 3 à 4 fois supérieur. Une pure vacherie à malter, mais dont les notes uniques méritaient bien qu’on se donnât la peine de l’apprivoiser.
C’est donc Eddu tout simplement. « Blé noir », en breton. On adore ou on déteste, et finalement, cela aussi plaît bien à Guy Le Lay : « Mon whisky est différent, et comme avec les gens et les cultures, c’est ce qui le rend intéressant. Eddu, c’est la fierté de Plomelin, et sûrement de la France un jour », prédisait-il il y a des années. Et on n’a pas idée, en observant le succès actuel du whisky français, à quel point cette génération de pionniers a dû abattre les murs et renverser les doutes pour ouvrir la voie.
C’est une barrique numérotée 35, une ancienne pièce de cognac planquée en mezzanine dans le chai cathédrale de la Distillerie de Menhirs. Planquée ? Pas si bien cachée que cela, quand on y pense : « Je ne l’ai pas goûtée si souvent, se défend Kévin Le Lay. Mais mon père et ses proches, je les ai souvent retrouvés autour ! » « Ce fût a été un marqueur important pour mon père, renchérit son frère Loig. Quand il avait à peine 10 ans, il en parlait déjà comme du Graal. Après une journée de boulot, il aimait bien taper dedans. »
Mais le Graal reste dans son coin, les 3 frangins Le Lay, auxquels le paternel a passé le flambeau en 2008, n’osent pas y toucher. Sacrilège. Mais dans la spirale du temps, les degrés descendaient, et il ne restait plus que 200 l dans la barrique. Inutile de blâmer les séraphins : « Les copains ont plus souvent tapé dedans que les anges », s’amuse Loig.
C’est un message d’amour. Celui de 3 fils à leur père, dont la santé s’enfuit en effaçant les souvenirs. Dans les familles de grandes gueules et de forts caractères, on n’ouvre pas son cœur avec des mots, question de pudeur. On laisse parler les actes. Graal a l’élégance des sentiments qu’on murmure en silence, les arômes concentrés qu’on ne pourra pas démêler, fruits cuits, notes exotiques, chocolat peut-être, épices douces, rancio posés sur un boisé précieux.
La belle carafe ronde au bouchon de granit se loge dans un sobre coffret de bois noir mat édité à 302 exemplaires. Un liquide rare, précieux, une borne sur la route du whisky français. En discrètes lettres d’or, le nom de Guy Le Lay, gravé en hommage sur la ligne de flottaison. Cette bouteille, ce calice, dit merci. Merci d’y avoir cru, merci de nous avoir montré que la quête commence une fois qu’on a trouvé le Graal.
Par Christine Lambert
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