Arrière-petit-fils du fondateur d’une distillerie guadeloupéenne qui se transmet en lignée patriarcale, François Longueteau a pris la main sur les chais en 2011, encourageant un virage vers la production de rhums vieux. Surtout, ne pas se fier à son air sage de premier de la classe. Qu’on le lance sur le vieillissement ou l’assemblage, et le voilà qui desserre la cravate et tombe la veste pour s’enflammer dans la discussion. Ça tombe bien, il en a des choses à raconter. Et ça tombe bien (bis) : il m’avait servi un Old Fashioned rhum, je n’avais plus qu’à écouter sans interrompre – ou presque.
“NOTRE CULTURE, notre savoir-faire, notre éducation, c’est le rhum blanc. Mes parents, aujourd’hui encore, ne boivent jamais de rhum vieux. A l’apéritif ou en digestif, ils se serviront toujours du blanc ! Mon grand-père ne mettait rien en vieillissement. Quand mon père lui succède en 2005, il y avait 80 pauvres fûts dans le chai.
”LONGUETEAU a la plus petite production de rhums vieux des Antilles. Mais on a investi lourdement pour construire des chais. Pour l’instant, on y loge 500 fûts, rejoints par 250 de plus à la fin de l’année. Objectif : 2.000 fûts en phase 1 puis 1.500 de plus à horizon 2027-2028.
“JE N’AIME PAS les choses trop boisées, trop tanniques, râpeuses. Chez nous, un rhum de plus de 12 ans n’a pas de sens : on a fait le tour de l’extraction aromatique, on prend du bois, la part des anges augmente… Quel intérêt ?
“EN 1928, L’ALAMBIC CHARENTAIS a été remplacé par une colonne en cuivre. Puis dans les années 1980, mon grand-père a fait venir une autre colonne. Le rhum a perdu très vite en qualité, les ventes ont dégringolé, mais rien à faire, le grand-père refusait d’entendre qu’il s’était planté quelque part. Emilien, le distillateur, a fini par s’en ouvrir à mon père. Alors pendant dix ans, jusqu’en 1996, dès que le papy quittait la distillerie le soir, tous les deux ont modifié en douce la colonne avec les plans d’une Savalle, jusqu’à pas d’heure.
“ON ENFUTE à 50%, assez bas, pour les expressions Ambré, 3 ans et XO. Mais on enfute également à 55%, 62% et en brut de colonne, selon ce que l’on veut faire en vieillissement. On n’extrait pas les mêmes composés du bois en fonction de la dilution. Et pour les rhums destinés à une maturation courte, on laisse le distillat reposer plusieurs semaines avant mise en fût.
“LES FINISHES, on se les interdit chez Longueteau. J’ai essayé les finitions avec du fût de whisky, de calvados, de sauternes… C’est bon, mais ce n’est plus vraiment du rhum, et pas du tout Longueteau. Il ne faut pas se trahir. L’ADN de la distillerie est gravé dans le marbre depuis 127 ans, pas question d’y toucher. Mais on a lancé fin 2019 la marque Papillon, et là, on pourra se permettre beaucoup de choses.
”LA DIFFERENCE ? Longueteau vieillit exclusivement en chêne français, ex-cognac mais également fûts neufs depuis 2014. Et seules les cannes du domaine entrent dans sa fabrication. Papillon, c’est une autre signature, un autre chemin aromatique, plus accessible, plus rond, élevé en chêne américain – et qui accueille ces jours-ci une nouvelle expression : un vieux de 3 ans, qu’on ne trouvait qu’en Guadeloupe. Mortel en Old Fashioned !
“LA GAMME HARMONIE REVIENT, avec un nouvel opus, Opéra, qui sort en juin. Les nouveaux batches seront révélés au Whisky Live Paris. La philosophie d’Harmonie ? Des profils, pas des comptes d’âge. Prélude est rond et pâtissier, Symphonie épicé, Concerto confit et cacaoté, Opéra empyreumatique.
”QUAND LE DISTILLAT SENT L’ANIS étoilé très fort, on sait qu’on n’est pas à l’abri d’une pépite. On isole immédiatement les lots en prévision du Genesis, le pionnier des bruts de colonne. Ces notes évolueront en rondeur et en sucrosité.
“IL EXISTE UN ENORME EFFET CYCLONE. On parle souvent de l’effet millésime et récolte dû au climat, mais l’effet cyclone c’est puissance 10. Pendant 48 heures, toutes les parcelles reçoivent des quantités de sel invraisemblables aspirées de la mer, cela « gèle » la pousse de la canne pendant un mois et demi, deux mois.
“ON COULE 250.000 LITRES d’alcool pur annuels. Cette année, on espère atteindre 350.000 l. A qualité égale et avec 3 fermenteurs supplémentaires, on pourrait viser les 500.000 l. On vend beaucoup de vrac, bien qu’on commence à réduire ces quantités. Ensuite, pour rester auto-suffisants en cannes, il faudrait acquérir des terres supplémentaires autour du domaine.
“UNE NOUVELLE COLLECTION intitulée La Forêt sortira fin 2022 si tout va bien – avec l’épidémie puis les tensions sur les matières sèches, tout est plus compliqué. Une gamme éphémère expérimentale, limitée à 300 bouteilles par expression. Le même rhum a vieilli 4 ans en fûts de cognac avant de poursuivre sa maturation pendant deux ans dans des barriques de chêne français de 225 l, à grain fin, 30 mois de séchage, provenant de 3 forêts différentes. Avec 3 critères mesurables sur le bois : l’acidité, l’humidité et l’activité biologique. Les amateurs vont pouvoir comparer les effets des types de bois sur le rhum. Les forêts ? Tronçais (dans l’Allier), Darney (en Lorraine) et Cîteaux (en Bourgogne). Bon, en réalité, on a testé une 4e forêt : Russy (entre Tours et Orléans). Mais vu la sonorité du nom et compte tenu de l’actualité… On va attendre.
Crédits photos: @spphotographe, @rhum_longueteau et DR
Par Christine Lambert
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