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Si les Français sont loin d’être les plus gros consommateurs de gin, grâce à ses distillateurs, la France pourrait néanmoins s’imposer comme le pays du gin. Séduits par la liberté offerte par l’élaboration de l’eau-de-vie de genièvre, à l’image d’Alexandre Gabriel, ils sont de plus en plus nombreux à créer leur recette.

 

Certains affirment qu’actuellement, un nouveau gin français est lancé chaque jour. C’est certainement exagéré mais, il faut bien le reconnaître, en la matière, les producteurs hexagonaux sont devenus extrêmement prolixes. Pourtant, par rapport à ses voisins, la France a été un peu longue à la détente vis-à-vis de l’eau-de-vie aromatisée au genièvre. D’ailleurs, aujourd’hui encore, même si sa consommation ne cesse de se développer, portée par le succès du Gin Tonic et du Negroni, ses ventes restent modestes. Certes, les Britanniques, longtemps considérés comme les spécialistes du gin, ont toujours eu une longueur d’avance. Tout comme la Belgique qui était du reste davantage portée sur le genièvre. Mais l’Espagne, incontestablement à l’origine de la “gin craze” qui enflamme l’Europe ces dernières années, ne peut pas revendiquer un tel héritage. Cela dit, à y regarder de plus près, on se rend très vite compte que les Français n’étaient pas vraiment à la traîne. Bien au contraire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est un gin “made in France” qui est à l’origine du succès de la catégorie de l’autre côté des Pyrénées. Un gin né en Charente il y a vingt ans… Ce gin résolument avant-gardiste, c’est bien sûr Citadelle. Une création signée Alexandre Gabriel, le rebelle à la tête de la maison de cognac Ferrand. Un véritable révolutionnaire des spiritueux qui se plaît à bousculer les mœurs charentaises. Mais n’allez pas vous imaginer que notre distillateur est un as du marketing ou qu’il a un petit côté punk. Ce serait plutôt l’inverse. C’est dans l’histoire que ce passionné, respectueux des traditions, puise son inspiration. Et dans le goût !

 

Citadelle, le gin précurseur

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«J’ai eu envie de créer un gin à une époque où son marché était le plus déclinant, raconte-t-il en rigolant. Je n’ai pas le talent d’anticiper : l’inconscience a toujours été mon guide. En revanche, j’aime les spiritueux qui ont du goût et de l’intensité. Et j’ai été séduit par le fait que le genever soit le premier spiritueux plaisir. Je me suis donc lancé dans des recherches.» Au cours de ses lectures, Alexandre Gabriel finira par découvrir qu’en 1775, le roi Louis XVI a accordé à deux Français, Carpeau et Stival, le droit d’ouvrir une distillerie de gin dans la Citadelle de Dunkerque. Une distillerie, la plus ancienne de genièvre de France, qui exportait la majorité de sa production en Angleterre en contrebande. De quoi nourrir son imaginaire. Seulement, côté recette, il ne retrouve pas grand-chose. Pas de quoi le décourager : il partira d’une feuille blanche. «Nous avons travaillé pendant quatre ans sur notre recette. Il a fallu aussi convaincre les douanes, d’autant que je voulais distiller mon gin dans mes alambics traditionnels charentais en cuivre chauffés à feu nu. À l’époque, la Charente n’était pas encore surnommée la spirit valley.»

Pas moins de dix-neuf botaniques entrent dans la recette de Citadelle. Genièvre bien sûr mais aussi zestes de citron et d’orange, cardamome, angélique, coriandre, anis étoilé, graines de paradis ou encore poivre Cubèbe. Alexandre Gabriel tente tout d’abord de les distiller séparément puis de les assembler mais le résultat manque de fondu. Il se rend aussi très vite compte qu’en fonction des ingrédients, du degré de l’alcool neutre et des temps d’infusion, les résultats sont très différents. «J’ai finalement opté pour une infusion progressive à température ambiante et à un degré régressif, explique-t-il. La violette, par exemple, est mise à infuser dès le départ alors que l’anis étoilé doit être rajouté vers la fin. Puis, avant de lancer la distillation, nous rajoutons des baies de genièvre dans l’alambic. Finalement, c’est un travail similaire à celui d’un parfumeur.» «Un gin, c’est un peu comme un thème de jazz, rajoute-t-il. On peut bien sûr improviser mais il faut rester dans le thème. En clair, il ne faut pas oublier que le genièvre doit être bien présent. S’il disparaît, est-ce qu’il s’agit toujours d’un gin ou plutôt d’une vodka aromatisée ? À mes yeux, un gin, c’est une trilogie entre le genièvre, les notes de citrus que j’aime bien un peu forcer car elles offrent une belle fraîcheur, et les notes exotiques comme la noix de muscade ou la cannelle. Ces dernières apportent du relief mais doivent rester subliminales.»

 

La Charente, l’autre pays du gin

 

En matière d’élaboration, vous l’aurez compris, notre homme maîtrise son sujet. Citadelle est un superbe London Dry gin produit dans les règles de l’art, qui plus est dans des alambics charentais chauffés à feu nu. Pourtant, il y a vingt ans, les Français se moquaient totalement du gin. Les Américains ont bien été sensibilisés grâce à un article dithyrambique paru dans le New York Times au même titre que les Anglais lorsque Citadelle a raflé le premier prix d’un prestigieux concours. Mais de là à commercialiser un gin artisanal français, le chemin sera encore long. C’est finalement un chef espagnol qui est à l’origine du succès de Citadelle : le très médiatique Ferran Adrià. Un ambassadeur inattendu ! Inspiré par le gin artisanal français, il crée un Gin Tonic gastronomique. En Espagne, la révolution du gin est en marche et Citadelle s’impose comme son chef de file.

Depuis, les États-Unis sont devenus le premier marché du gin charentais, la Grande-Bretagne les suit de près et, en France, la croissance est – enfin – significative. Quant à Alexandre Gabriel, il ne s’est évidemment pas arrêté en si bon chemin. Il a étoffé la collection Citadelle avec le Réserve, un gin vieilli en ex-fût de cognac, qui a remis au goût du jour les yellow gin un temps oublié. Il s’amuse aussi à élever son gin dans différents types de fûts, acacia, merisier ou encore châtaignier, sans oublier de lancer des “expressions extrêmes” comme il aime les appeler, à l’image du Old Tom, un style plus doux et très populaire au XIXe siècle. Il vient également de dévoiler la nouvelle bouteille de Citadelle. Un nouveau flacon bleu sur lequel son gin revendique fièrement ses origines françaises. Son nouveau pari ? Planter du genièvre autour de son château de Bonbonnet histoire de maîtriser parfaitement la qualité de sa matière première.

Si Alexandre Gabriel a ouvert la voie, la Charente s’impose comme un extraordinaire terrain de jeu pour les distillateurs-créateurs. Ce n’est pas Jean-Sébastien Robicquet qui va nous contredire. À la tête de Maison Villevert, l’œnologue qui s’est fait connaître avec la création de la vodka Cîroc, a également marqué les esprits avec sa gamme de vermouths La Quintinye. Des vermouths inédits, élaborés à partir de Pineau des Charentes. Ses gins G’Vine, qui viennent de fêter leur dixième anniversaire, ont également bousculé les codes. «Il y a dix ans, j’ai créé G’Vine souhaitant apporter de nouvelles émotions à la catégorie des gins super premium avec un gin élégant et soyeux, affirme Jean-Sébastien Robicquet. Le raisin anoblissant les spiritueux, j’ai remplacé le traditionnel grain de céréales par le raisin et la fleur de vigne. C’était, à l’époque, assez peu conventionnel.» En 2007, ses deux créations, G’Vine Floraison et G’Vine Nouaison, se sont en effet imposées comme deux véritables innovations qui ont offert de nouvelles perspectives au monde du gin. Aujourd’hui, G’Vine, qui a lui aussi révélé sa nouvelle bouteille reconnaissable à ses tons vert dégradé et son bouchon doseur, n’est autre que le n°3 de sa catégorie.

 

GIN CITADELLE
GIN VINE
NOUAISON
GIN DROUIN
AUDEMUS_PINK_PEPPER
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Entre innovation et terroir

 

Ces très beaux succès ont naturellement encouragé les Charentais à se lancer dans la production de gin et même de nouveaux venus à s’installer dans la région comme Miko Abouaf. Après avoir fait le tour des distilleries françaises à vélo, il y a trois ans, ce jeune franco-australien a installé sa micro-distillerie, Audemus Spirits, non loin de Cognac, pour créer Pink Pepper, un gin atypique, avec son rotovapor grand format. La Charente a également vu naître le très gourmand Generous Gin lancé il y a deux ans et plus récemment les gins de la famille Naud ainsi que Osmoz Classic et Citrus du château Montifaud ou encore les gins Thompson’s et Moon distillés à quelques kilomètres de là, à Bordeaux. Certains sont d’ailleurs élaborés sur une base d’alcool de raisins. Mais ce coin du Sud-Ouest n’est pas la seule région française à pouvoir revendiquer des distillateurs de talent inspirés par l’eau-de-vie aromatisée au genièvre.

Le nombre de gins français disponibles sur le marché hexagonal ainsi qu’à l’export le prouve aisément. D’ailleurs, les gins “made in France” ont du succès bien au-delà de nos frontières. Même s’il ne s’agit pas d’une spécialité hexagonale, la réputation de nos distillateurs n’est plus à faire et leurs créations plaisent d’autant qu’ils sont nombreux à prendre des libertés à travers leurs recettes sans oublier de revendiquer leurs terroirs. En Occitanie, par exemple, deux nouveaux gins viennent de voir le jour : celui de la distillerie Bows récemment fondée à Montauban par Benoît Garcia et celui de la distillerie Louis Roques basée à Souillac. Le gin de cette dernière, connue pour sa Vieille Prune, baptisé Ttotta Ona, c’est-à-dire « la bonne petite goutte » en Basque, met à l’honneur le piment d’Espelette, une plante typique du Pays Basque. Toujours dans le Sud, Guillaume Ferroni, le fondateur de Bariana, installé non loin de Marseille, produit un gin également inspiré par son terroir et l’été. La recette de Juillet, qui est distillé dans un petit alambic datant de 1800, a la particularité de compter de nombreux fruits comme le melon, les abricots ou encore les pêches.

En Normandie, Guillaume Drouin, à la tête de la maison de calvados Christian Drouin, a également misé sur le terroir mais aussi sur l’innovation puisque Le Gin de Christian Drouin est élaboré sur une base d’alcool de grain et de distillat de cidre. Une grande première. Il vient également de dévoiler un nouveau batch de son gin normand élevé en ex-fûts de calvados. Dans l’Allier, David Faverot, aux manettes de la distillerie Monsieur Balthazar, qui s’est fait connaître avec son whisky Hedgehog a sélectionné exclusivement des botaniques d’Auvergne dénichés chez une botaniste du coin pour produire ses deux cuvées Balthazar, dont un overproof de toute beauté. Quant à la Distillerie de Paris, fondée dans le 10e arrondissement par Nicolas et Sébastien Julhès, elle a construit sa réputation sur sa créativité. Pour preuve, dans la catégorie gin, une dizaine de cuvées ont déjà vu le jour dont un magnifique Tonik fort en quinine à déguster simplement allongé d’eau pétillante ou le Tiki, un ovni élaboré sur une base de rhum. La liste est encore longue : pour vous présenter tous les gins “made in France”, il faudrait leur consacrer un numéro spécial. Mais une chose est sûre, talentueux et décomplexés, séduits par la liberté offerte par le gin, les distillateurs français semblent bien partis pour s’imposer dans le monde de l’eau-de-vie de genièvre.

 

Par Cécile Fortis – article initialement édité le 13 SEPTEMBRE 2017

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