Mes stratégies anti-Fête des mères ayant piteusement floppé au fil des décennies, je tiens à vous faire profiter de mon expérience. Laissez tomber le parfum, les fleurs et les chocolats. Dépassez les siècles d’injonction sociale qui ont tenu les femmes à l’écart des spiritueux. Mieux, faites-vous pardonner les colliers de nouilles, les cadres encollés de perles et les terres cuites peinturlurées par vos mains d’enfants : offrez de la gnôle à votre mère. Et surtout, rien de rose.
Si on m’avait dit qu’un jour j’écrirais un article encourageant à fêter les mères… Soupir. Je voue une sainte horreur aux fêtes gravées par les réglages usine dans le calendrier de mon smartphone, quelles qu’elles soient. Et suis allergique aux Journées, nationales ou inter-, décrétées en faveur d’une cause qu’on peut s’empresser d’oublier les 364 jours qui précèdent et suivent.
Rassurez-vous, je n’y coupe pourtant pas. Enfant, j’ai bien tenté de dégoûter ma propre mère à grand renfort de colliers de nouilles vernies, sournoisement encouragée en cela par l’institution scolaire. En vain. A l’adolescence, l’opération mains vides accompagnée d’un speech plein de bravoure pour en finir avec les fêtes pétainistes s’est heurtée à un regard maternel moins sensible qu’espéré à cette tentative de contextualisation historique du refus. Moyennant quoi, j’ai piteusement repris le chemin d’Interflora dès l’année suivante.
Aujourd’hui encore, je ne suis pas certaine de comprendre pourquoi les mères se gavent d’une « fête » qui laisse à désirer sur le plan de l’inclusion, mais bon, sur un malentendu et un coup de fil le jour J, je laisse lâchement filer ce combat. Le plus souvent. Il m’arrive encore, d’ignorer volontairement (sans toujours l’assumer) le dernier dimanche de mai, en souvenir de l’enfance qui s’est enfuie. Et ma mère, l’âge aidant et la sagesse tardivement venue, fait semblant de l’ignorer. L’époque a changé.
Ce qui ne change pas, ou du moins pas assez ni suffisamment vite, ce sont les communiqués qui s’entassent dans ma boîte mail des semaines à l’avance pour m’annoncer le retour de la date fatidique. Dans une précédente version de ce mollasson coup de gueule, publiée sur Slate en 2015, je me plaignais que ces excellents whiskies, rhums, cognacs, gins, signalés à mon attention visaient inévitablement la Fête… DES PÈRES. Maman ? Elle sifflait du parfum, à en croire les mêmes courriels envoyés par les bureaux de presse.
Il y a encore 7 ans, offrir un spiritueux à son paternel passait crème, mais enrubanner une quille pour sa mère ? Même pas en rêve, darling, à moins d’opter pour un liquide rose – pink gin, vodka aromatisée, champagne rosé – ou bien sucré et radin sur les degrés – liqueur de préférence. Les communicant·es perpétuaient insidieusement – et par paresse – des stéréotypes vieux comme la domination masculine et ses injonctions sociales.
Pendant des siècles, voyez-vous, la gente féminine n’était nullement supposée boire (du moins pas sans se planquer, la dissimulation, comme chacun·e sait, se greffant sur la paire de chromosomes double X), une fâcheuse habitude incompatible avec sa « nature » douce et fragile. Et encore moins apprécier les « alcools forts », au risque de passer pour une créature de mauvaise vie aux mœurs relâchées.
Faire évoluer les discours et les comportements demande du temps, mais un message plus égalitaire finit par imprimer, par se diffuser petit à petit dans l’univers des spiritueux. Et je m’en réjouis.
Pourtant, cette année encore, un seul communiqué de presse spiritueux m’est parvenu avec une sélection unisexe de bouteilles, « pour les fêtes des mères et des pères ». Un seul. Les autres ? Pink gin, cocktails légers et saké rose pour maman, cognac, armagnac et whisky pour papa. Au moins m’a-t-on supprimé des mailing lists de la parfumerie ! Alors dimanche, fuck la Fête des mères ! Laissez tomber les chocolats, les fleurs ou le Shalimar, et oubliez le rose : offrez de la gnôle, de la vraie, à votre daronne. Parce qu’elle le vaut bien.
Par Christine Lambert
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