Technique
Le profil aromatique
Comment évolue et interagit la palette des arômes et des saveurs qu’offre un whisky de malt ? Les explications de Ian Wisniewski.
Par Ian Wisniewski
Si l’on a déjà pu identifier dans le whisky de malt quelque deux cents composés aromatiques distincts, dont beaucoup jouent un rôle désormais bien défini, tels les esters qui sont à l’origine du fruité, d’autres demeurent toujours inconnus et leur fonction, par conséquent, incertaine. La teneur des composés aromatiques se mesure en parties par million (ppm), 1 ppm étant l’équivalent de 1 milligramme dans 1 litre de whisky de malt. Mais certains de ces composés se mesurent en parties par milliard, voire par milliers de milliard, des quantités infimes mais susceptibles même à ce niveau d’exercer une influence.
«Nous comprenons beaucoup de choses en ce qui concerne les processus scientifiques qui interviennent dans la production de whisky, mais il reste encore beaucoup d’inconnues s’agissant des arômes et des saveurs, de leur expression et de leur interaction. C’est un domaine qui est aussi éminemment subjectif. Ce qui est dans le verre, c’est une chose, mais sa perception en est une autre, car si telle personne est capable de déceler certains arômes et saveurs, une autre en sera incapable, de sorte qu’il est difficile de se prononcer de manière définitive», explique Bill Lumsden, docteur en biochimie et directeur de la distillation, de la création de whisky et de la gestion des stocks chez Glenmorangie.
Un processus et ses inconnues
La première phase au cours de laquelle sont créés les arômes et saveurs, c’est la production du distillat dont les étapes essentielles sont la fermentation et la distillation.
«Le profil aromatique du distillat, ce que nous désignons par “caractère de la distillerie”, représente près de 40 % des arômes et saveurs d’un whisky embouteillé. Les notes classiques de The Balvenie, sa douceur intrinsèque et la note de miel sont déjà présentes dans le distillat, de même qu’un caractère de céréale, biscuité, et toutes ces caractéristiques sont magnifiées et rehaussés en cours de maturation», indique Brian Kinsman, maître assembleur chez William Grant & Sons.
Au cours du vieillissement, l’alcool acquiert des arômes et saveurs qui proviennent du fût (de bourbon ou de xérès, habituellement), mais il évolue également sous l’action de l’évaporation et de l’oxydation.
On entend par oxydation les réactions provoquées par l’entrée et la sortie d’air dans le fût car le chêne est poreux sous l’action de l’oxygène, qui se dissout dans l’alcool et amorce différents processus chimiques à même de favoriser une intensification du bouquet, du fruité et de la complexité. L’évaporation annuelle du fût représente environ 2 % du volume du liquide contenu. La diminution du volume se traduit par une certaine “concentration” des arômes et saveurs.
Évaporation et oxydation contribuent également à réduire la teneur en composés soufrés. Formés essentiellement au cours de la fermentation, ces derniers rassemblent notamment les notes végétales, charnues et caoutchouteuses. Bien que leur présence se mesure en parties par milliard, voire milliers de milliard, ils sont suffisamment péremptoires pour “masquer” certains composés plus subtils. Par conséquent, en abaissant la teneur en composés soufrés, on favorise une expression plus précise de notes et caractéristiques plus légères comme le fruité, la vanille et la douceur, qui altèrent sensiblement le profil aromatique.
La vanille est un composant aromatique clé : les petites quantités qui peuvent être perçues dans le distillat proviennent de l’orge, mais la source principale de vanille, c’est le fût. La vanille interagit de manière significative avec d’autres arômes et saveurs, conférant aux notes fruitées, par exemple, un aspect plus riche et plus rond.
Les notes de fruit sont l’apport des esters. Ceux-ci sont principalement créés durant la fermentation, phase au cours de laquelle de complexes interactions chimiques entre l’alcool et des molécules d’acide produisent des esters de différentes sortes.
«Les esters sont à l’origine de l’ensemble de la palette aromatique de fruits frais ou secs, des notes les plus vives d’agrumes à la succulente douceur des baies. Et je ne crois pas que nous ayons déjà identifié la totalité des esters présents dans un whisky de malt», poursuit Brian Kinsman.
La douceur et la sécheresse ne sont certes pas considérées comme des flaveurs en tant que telles, mais elles jouent un rôle qui n’en est pas moins important.
«La douceur confère au fruité son caractère mûr et succulent, mais elle doit être équilibrée par la sécheresse, qui apporte ampleur et complexité. D’autre part, la sécheresse met également en valeur certaines catégories de notes, comme les composés phénoliques dans un malt tourbé», précise Bill Lumsden.
La sécheresse est souvent attribuée aux tanins. Ceux-ci proviennent du fût et sont typiquement présentés comme responsables de la structure et du corps du whisky. Mais il est difficile de quantifier exactement dans quelle mesure ils contribuent à ces caractéristiques.
«Les tanins déterminent sans aucun doute la structure et le corps, et apportent un toucher en bouche soyeux, mais ces caractéristiques sont incontestablement le fait de tout un ensemble de composés où figurent notamment les esters», poursuit Brian Kinsman.
Et voilà la clé : la manière dont interagissent les arômes et saveurs en fonction de leurs teneurs respectives.
«Le profil aromatique d’un malt n’est pas simplement le résultat d’un jeu de chiffres, de calculs des proportions respectives de chaque composé aromatique. C’est un équilibre complexe d’arômes et de saveurs dont certains se caractérisent par des teneurs infimes (telle la note de fruit tropical de Bowmore), sans commune mesure avec leur impact sensoriel qui est considérable. En outre, les flaveurs peuvent se comporter différemment les uns par rapport aux autres : les notes d’agrumes ont par exemple une intensité comparable au nez et en bouche, tandis que les notes tourbées sont en général significativement amplifiées sur la langue. Tout cela fait des arômes et saveurs du whisky un sujet passionnant», explique Rachel Barrie, maître assembleur de scotch whisky chez Beam Suntory.
ENCADRÉ :
Le rôle joué par le fût
Les barrels de bourbon cèdent des notes de vanille, de miel, de fruits et d’épices, de même qu’une douceur discrète et sèche. Les butts de xérès apportent une douceur plus intense ainsi que des notes de vanille et de fruits secs, notamment de raisin sec et de pruneau. Une différence qui s’explique principalement par le fait que les fûts de bourbon sont fabriqués en chêne d’Amérique (quercus alba), tandis que les fûts de xérès sont habituellement (mais pas systématiquement) en chêne d’Europe (quercus robur).
La fabrication des fûts de bourbon implique le brûlage à la flamme de la paroi interne du fût, qui s’enflamme brièvement (avant d’être éteinte au jet d’eau). Ce procédé provoque l’apparition d’une couche carbonisée superficielle, de deux millimètres d’épaisseur, la chaleur faisant également griller le bois sur une couche sous-jacente profonde de deux à trois millimètres. Une flamme est aussi utilisée pour chauffer (sans l’enflammer) l’intérieur des fûts de xérès et créer ainsi une couche toastée de deux à trois millimètres. Ce bousinage est à l’origine de l’apparition dans les cellules du bois de différents composés aromatiques.
Au cours de l’été écossais, avec l’élévation des températures ambiantes, le volume du contenu du fût s’accroît (l’alcool pénètre alors dans la couche carbonisée du fût de bourbon ainsi que dans la couche toastée). En hiver, avec le refroidissement des températures, le volume d’alcool se contracte : le liquide se retire des couches carbonisées ou grillées, emportant avec lui les composés aromatiques du bois dans la “masse” du contenu.
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