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Le 19 mai 2021, la mythique distillerie des Highlands rouvrait ses portes. Mais, épidémie oblige, l’inauguration s’est déroulée en Zoom, la filtration à froid des émotions internet. Et pourtant, voir le premier fût depuis près de 40 ans se remplir de distillat avant de rouler vers les chais, eh bien, croyez-moi, ça embue légèrement les yeux.

 

Le sentiment aigu de vivre un moment unique se mesure parfois à l’aune de la déception qui jaillit dans la même fraction de seconde. Lorsque par exemple on vous invite à vivre la réouverture de Brora (arrêt respiratoire momentané). Par Zoom.

A 11 heures BST le 19 mai 2021, soumise aux contraintes engendrées par une épidémie mondiale, c’est malgré tout avec jubilation que je cliquais sur le lien transmis la veille au soir, assorti d’un « please do net share this link ». Combien étions-nous, là, dans l’anonymat sans bruit de nos lieux de vie, à guetter la lumière sur la lucarne des internet ? A retenir notre souffle pour voir « en live » la mythique distillerie des Highlands – renvoyée au silence depuis près de quarante ans – soudain revenir à la vie ? A humer l’air sec en cherchant les vapeurs de gnôle qui se frottent aux cuivres. A tendre l’oreille pour saisir les grondements, les chuintements, les sifflements, les ronflements, tous ces bruits qui ne sont pas des bruits mais le langage secret des distilleries quand elles vous parlent.

 

Mais la virtualité a la fibre prosaïque. A 11 heures BST le 19 mai 2021, un court film de 30 mn s’est soudain lancé, enchaînant trop rapidement les images et les témoignages. « Brora était une “time capsule”,raconte l’archiviste de Diageo Joanne McKerchar. Comme si les gars venaient de terminer leur service, avaient quitté les lieux – et n’étaient bien sûr jamais revenus. A quoi avaient-ils pensé au moment d’éteindre la lumière et de refermer les portes sans savoir s’ils reverraient un jour les lieux ? Et au même moment cette grande question qui vous submerge : comment allons-nous ressusciter Brora ? »

 

La salle des alambics a été restaurée bloc de pierre par bloc de pierre, telle qu’en 1819, à l’époque victorienne qui la vit naître. La paire de pot stills, retapée à neuf par Abercrombie (le chaudronnier de Diageo), a retrouvé ses condenseurs en serpentins, et un mash tun traditionnel ouvert équipé d’un râteau est venu rejoindre l’équipement. « Nous avons cherché à reproduire aussi précisément que possible les conditions de production de 1983 [date de la fermeture] afin de recréer le distillat de l’époque », insiste Stewart Bowman, le maître distillateur, sur mon écran poussiéreux (note à moi-même : penser à refermer le capot du Mac plus souvent, ou à écrire moins).

Comment retrouve-t-on le goût du passé ? A 11 heures BST et des brouettes, le 19 mai 2021, les éléments de réponse tombent. En interrogeant les anciens employés, en étudiant les registres, les notes dans les archives – mais il restait des gaps, reconnaît Joanne McKerchar. On peut reproduire le process déséquilibré de Brora, la gravité du moût, les coupes de distillation, on peut utiliser le même malt tourbé venu de Glen Ord. Mais quand on sait le nombre de paramètres microscopiques qui triturent le flot du new make, allez donc réveiller la légende sans séquelles…

« C’était un défi merveilleux, l’un des plus enrichissants de ma carrière, confesse l’immense Jim Beveridge, maître assembleur de Diageo. Je me suis souvenu d’avoir dégusté tous les stocks de Brora dans les années 1980, l’un de mes tout premiers jobs chez Diageo. » Pause. Oui, un jour, un homme a été rémunéré pour boire du Brora. Play. « En échantillonnant les vieux fûts dans les chais, en reprenant d’anciennes notes de dégustation, on a petit à petit bâti une image du new make. Et nous avons ensuite pu adapter les process de fabrication pour transformer cette vision du liquide en réalité. J’espère que nous avons réussi à rester fidèle au passé, tout en étant meilleur que par le passé. »

Brora redux crachera 800.000 litres d’alcool pur annuels en neutralité carbone, avec de l’énergie renouvelable produite sur place – les considérations de développement durable et le souci d’efficacité posant des limites encourageantes à la reproduction à l’identique. L’avenir nous dira le reste, car pris dans l’étau déformant du Zoom, avouons que le mythe a bien du mal à sortir du placard.

Pourtant, à pas loin de 11h30 BST le 19 mai 2021, devant l’écran du MacBook, voir Stewart Bowman remplir à la pompe le premier fût de Brora comme on ferait le plein de la Smart, devant le doux regard de Jim Beveridge, avant d’aller sonner la cloche… Eh bien ça m’a fait quelque chose. Ce n’est pas tous les jours qu’on ramène un fantôme à la vie sans bouche-à-bouche – puisqu’il faudra bien sûr patienter pour goûter.

Les grilles ornées d’une tête de chat sauvage en fer forgé s’ouvriront au public dès juillet, sur réservation (via le site Brora.com). Deux tours au programme, incluant déjeuner et dégustations de collectors : Brora Awakened (3 h sur la résurrection, 300£) et The Eras of Brora (4 à 5h, 600£). Vous savez maintenant ce que vous ferez cet été, avec un masque mais sans tuba.

 

Par Christine Lambert

 

 

 

 

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