Le Rhum Fest Paris fêtait son grand retour le week-end dernier. Après deux ans d’absence pour raisons sanitaires, et en attendant un passage de témoins – on murmure avec insistance que le distributeur Dugas pourrait reprendre l’organisation de l’événement. Petit tour des dégustations qui méritaient un arrêt au stand, sachant que je n’ai malheureusement pu courir toutes les nouveautés.
J’avoue une énorme faiblesse pour cette distillerie martiniquaise dont le cœur de gamme est sans défaut. En septembre, c’est un brut de fût (un peu plus de 50% à la louche) qui rejoindra l’écurie, dans une bouteille noir mat : #1 est le premier volet d’un quatuor qui révélera ensuite un numéro (3.500 quilles environ) tous les 6 mois. Ô joie, ô félicité. Concentré, musclé, sur le tabac, le chêne bien sûr, les épices et la réglisse, il sera suivi de… #7 (et non pas 2), puis de #6 et enfin #5. Le quarté dans l’ordre vous donne la date à laquelle sont apparus les premiers rhums de Saint James. Photo non contractuelle, il manquait encore les étiquettes – cf pénurie de matières sèches (lire ici).
Si, comme moi, vous étiez fan de la cuvée Louis et Charles, du pur bonheur liquide, voilà qu’elle intègre sous une nouvelle apparence, dans une bouteille triangulaire, une trilogie qui accueille Alfred et Antoinette. Et c’est cette dernière qui mérite toute votre attention : un 14 ans issu de mélasse (la distillerie réunionnaise produit également des rhums de pur jus), embouteillé à 55%. Dense, du velours tissé serré, pâtissier, avec des accents de cacao boisé.
La petite distillerie martiniquaise produit des rhums blancs parmi les plus attendus, mais persiste à les présenter sur des stands riquiquis où il faut jouer des coudes et défoncer les côtes des voisins pour espérer les goûter. Ceux qui ont efficacement distribué les bleus auront posé les lèvres sur le jouissif millésime 2021 de La Digue, parcellaire monovariétal gras, herbacé mais sans excès, salin et guilleret. Comme les tourterelles et les Témoins de Jéhova, il sort en binôme à côté de la cuvée Rivière Bel Air, hyper sucrée, canne fondante et fruité débordant. Bon courage pour choisir !
La distillerie guadeloupéenne vous réserve de grands projets en rafales, mais j’ai promis de tenir ma langue (si vous êtes prêt à coller beaucoup de zéros sur le chèque, je peux revenir sur mes principes, me contacter en privé). Pour patienter, le nouveau blanc parcellaire n°11 (bio) nous arrive en récolte 2020 livrée à pleine puissance (55%), juteux, gavé d’agrumes et caressé de notes herbacées. Régal. Au passage, sachez que la gamme Harmonie revient en juin augmentée d’un Opéra vieilli en ex-fûts de cognac, mais il faudra attendre le Whisky Live pour se le coincer sur le palais. Et que chez Papillon, c’est un Vieux 3 ans qui pointe son bouchon en mai-juin, 100% chêne américain, gourmand (coco, caramel, fruit cuit très épicé), parfait pour culbuter l’Old Fashioned.
L’embouteilleur indépendant présentait entre autres un Guyana 2011 (46%) 12 ans diablement tropical, taquiné d’abricots moelleux, miel et chocolat. Distillé en colonne Savalle chez Diamond, non édulcoré, non coloré, non filtré à froid et vieilli pour l’essentiel sous climat continental selon les principes du négociant.
En juin, un Isautier small batch de 15 ans (2007-2022) enflaconné à 57% rejoindra le placard à gnôle de 991 chanceux au max. Le rhum réunionnais de mélasse a effectué un bizarre va-et-vient en fûts d’Isautier, puis de cognac, puis back dans les barriques d’Isautier. Puissant, concentré, boisé incroyablement exotique.
Un Jamaïque LPCH annoncé à 60,1%… Et là, miracle. Vous craignez l’ablation des amygdales à vif, et c’est un velours où l’alcool est merveilleusement bien intégré qui se faufile sur la langue, descend le long de la trachée. Puissamment exotique, remué de notes de solvant, d’olive, de saumure. Assemblage de Long Pond 2009, Clarendon 2001 et Hampden 2002, dispo à 566 exemplaires de 50 encarafés de blanc. Vous n’aurez pas eu le temps de le voir arriver chez les cavistes qu’il aura déjà disparu. Pssst ! Mieux qu’un lot de consolation : le MGB (Marie-Galante Bielle) réduit sur un an proposé par le même embouteilleur. Oups, dommage, va falloir faire fissa aussi.
Vous avez adoré le blanc parcellaire monovariétal Canne d’or 2016 ? Réjouissez-vous, le film a une suite : le même en ESB (élevé sous bois), bercé un peu moins d’un an en fûts de chêne américain de 3e passe – après un long repos en cuve faut-il le rappeler ? On craint toujours un peu les reboots quand on a follement aimé la première version, mais saluons ici la franche réussite : le blanc radieux n’a rien perdu de sa fraîcheur, de sa tension, de sa floralité, se parant simplement d’une discrète touche de bois. A l’arrivée, un rhum pâtissier, juteux et épicé rayonnant et très élégant. A part ça ? Ben, le millésime 2006 15 ans, cette question !
Une curiosité venue du Japon : le rhum blanc Kiyomi, produit par la distillerie Helios sur Okinawa, en colonne avec de la mélasse – issue me dit-on de cannes locales. La maison distille du rhum depuis 1961, une tradition initiée sous l’amicale pression des forces militaires de l’Oncle Sam stationnées en nombre sur l’île, laquelle fut placée sous administration américaine jusqu’en 1972. Comme souvent au Japon, nous voici face à un rhum atypique et clivant, exotique, sur l’ananas topé de champignons, de notes de sous-bois. Très rigolo.
Il était planqué sous la table, à ras de terre, mais ce Fiji 2009 100% pot still, vieilli 10 ans sous les tropiques et 3 de plus à Cognac, régale de ses notes exotiques et chocolatées, dans la lignée « abordable » de ce que produit South Pacific. Sur dérogation, car il n’était pas présenté au Rhum Fest mais dévoilé quelques jours plus tard dans la série V des Extrêmes, laissez-moi vous présenter un Barbados 1986 (55,1%) single cask (286 bouteilles) distillé en pot still qui vous fait croire en une éternité béate dans des édens luxuriants. Sublime, exotique, gorgé de fruits tropicaux, rancioté, frôlé de saumure et d’olive, de réglisse, structuré par le degré élevé et le chêne. A tomber. Mic drop, respect.
Par Christine Lambert
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