Le 1eravril, producteurs et amateurs de fines gnôles vont s’en donner à cœur joie pour nous égarer. Sauf que. Quand on y songe, combien de gags et de délires, combien d’énormités passées sont devenue réalité dans nos bouteilles ? Je vous laisse méditer là-dessus en respirant par le ventre.
Demain, inutile d’espérer passer entre les gouttes et les fils de pêche : la journée commencera forcément par un poisson d’avril. Sur les réseaux sociaux, l’amateur de spiritueux risque même d’en ramener une pleine bourriche. Les origines d’April’s Fool – c’est sous ce hashtag que vous trouverez les potacheries whisky – se diluent mieux qu’un brut de fût dans la mémoire de l’histoire. L’hypothèse la plus retenue se fonde sur la nouvelle année qui, jusqu’au XVIe siècle dans la chrétienté, se fêtait parfois à Noël, mais plus souvent le 25 mars (l’Annonciation) ou à Pâques – bref, autour du 1eravril. Jusqu’à ce que qu’en 1564 le roi Charles IX mette tout le monde d’accord en calant le début du calendrier au 1erjanvier, comme l’avait fait Charles Quint dans le Saint Empire romain germanique – date que le pape généralisera par la suite. Or, la tradition de s’offrir des cadeaux va persister, transformant au fil du temps les étrennes en échange de faux présents puis de blagues.
Le poisson d’avril, quant à lui, se perd en moult conjectures. Mais il semble qu’aux temps jadis d’autrefois on s’accrochait en loucedé une vraie friture dans le dos, et non un merlan de papier qui vous nargue de son œil torve. Un hareng de préférence, excepté à Marseille où on a toujours préféré boucher le port à la sardine.
Bref. Cinq siècles plus tard, voilà pourquoi on annonce à chaque 1er avril la construction d’une distillerie sur Islay, l’arrivée d’un quadruple finish farfelu ou d’une eau-de-vie de rillette. Oh, pardon : pas un April’s Fool. Nous vivons une époque baroque où les poissons d’avril d’hier deviennent les vérités du moment. Souvenez-vous de cette distillerie qui plastronnait sur son rhum sans alcool en cette journée potache, il y a quelques années. On rit moins aujourd’hui ! Alors, anticipons.
Toujours en pointe, Guillaume Ferroni complète sa collection de spiritueux disparus en lançant un distillat gélifié, résurrection d’un baume alcoolisé à 57,3% riche en camphre qu’utilisaient les moines franciscains pour se détendre les mollets. Réservé aux plus souples, ceux qui pourront se lécher les jarrets dûment oints à l’heure de l’apéro. Hennessy se met au whisky. Encouragé par le formidable décollage du malt dans le Cognaçais et la perspective de troquer rappeurs contre hipsters, Henny craque.
Citadelle nous gâte pour le 1eravril avec un gin à base de cornichon. La faute au chat de la distillerie, Tom, qui en voulant chaparder un pickle l’a fait tomber dans un Gin-To, filant ainsi une idée à Alexandre Gabriel. Bon, le matou d’Hendricks avait au moins visé le concombre…
Le salon Cocktail Spirits lance un appel à idées pour rebaptiser le Moscow Mule, qui souffre mochement depuis l’invasion de l’Ukraine. Vodka toujours : après Stoli (lire ici), Smirnoff, Poliakov et Eristoff envisagent de changer de nom. Envoyer propositions à l’autrice qui fera suivre.
Velier s’apprête à embouteiller dans sa célèbre quille noire un Don Papa overproof. Mais attention : une édition limitée pur jus issue de cannes récoltées à dos de mulet les soirs de pleine lune sur l’île de Négros puis mâchées pour exprimer le vesou, fermenté ensuite en spontané – 3 bouteilles seulement, prix non communiqué. Foursquare a décidé d’édulcorer son prochain Exceptional Cask, Serendisweetpity : « Parfait pour les piña coladas gourmandes », insiste Richard Seale. HSE planche en secret sur son nouveau blanc parcellaire, Canne de diamant, un ESB reposé 16 longues années en cuves inox et vieilli 18 mois en foudre. Sortie en 2038. Neisson passe aux bouchons à vis sur toute sa gamme âgée : fini le stoppeur en bois qui vous claque dans les doigts !
Macallan va cesser de distiller pour devenir un parc d’attraction éducatif sur le whisky écossais. Le prochain Octomore fera péter 816 ppm au compteur, dans une édition réservée aux influenceurs – et autres publics qui ne craignent point l’ablation des papilles. Eddu abandonne définitivement le blé noir : « Ça colle dans les cuves, ça rime dans les alambics, on n’en peut plus de tout récurer à la brosse à dents », se justifie anonymement l’un des frangins Le Lay. Les Bretons envisagent à présent de distiller du tapioca. Enfin, Label 5 sort une édition NFT, minée sur la blockchain Ethereum. Disponible également en grandes surfaces, mais à condition de payer en crypto-maille et sans la garantie d’authenticité. Sur ce, je vous laisse, je dois terminer la rédaction du Guide Hachette du chouchen. Mais laissez-moi d’abord vous confier qu’au moins un de ces poissons d’avril est… 100% VRAI ! Qui a osé ?
Par Christine Lambert
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