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Ou comment renifler les tendances et maximiser le plaisir sans même franchir la porte du bar VIP.

 

Cette année, je n’ai point mis les pieds à l’espace VIP du Whisky Live Paris*. Et pour être honnête, je n’ai pas eu l’occasion de le regretter. Certes, tu passes ce faisant à côté des plus rares nectars, des plus âgés aussi. Tu rates l’occasion de flirter avec les quilles dont le prix approche le PIB d’un pays d’Amérique centrale – et de t’en vanter sur Instagram. Mais c’est sur l’open space, entre les grandes marques et les petites distilleries, qu’on prend réellement le pouls du whisky, qu’on observe les tendances émerger et s’évanouir. C’est sur le plateau qu’on s’agace ou se réjouit bruyamment entre potes, en commentant le contenu de nos verres. C’est en ces lieux qu’on échange avec les producteurs, les amateurs, et qu’on embouteille les p’tits moments de joie à égrener délicatement. L’open space, c’est le noyau dur du whisky, le cœur battant du « Live ».

 

Les tendances ? Si l’on supprimait les mentions « finish », « double maturation » et, d’une manière générale, « sherry cask » sur les étiquettes, il ne resterait plus grand-chose pour s’humecter la glotte. Et dans la mesure où le succès des tourbés ne flanche guère (ce n’est pourtant pas faute de t’avoir expliqué comment vaincre l’addiction), un constat s’impose crument : les amateurs ont de plus en plus tendance à se diriger vers les profils aromatiques affirmés, à voter pour les extrêmes. Les jus subtils, les whiskies en pente douce s’effacent du paysage, chahutés par les flacons qui haussent le ton.

 

Question de prix

 

Et puisqu’on parle de hausse… Le prix des bouteilles, qui suit une courbe ascensionnelle inversement proportionnelle à celle des salaires, commence à faire pester les whisky lovers d’une voix univoque. « Trop cher » est sans doute le refrain que j’ai le plus entendu sur les Docks, et, fait nouveau, beaucoup de visiteurs se renseignaient sur les prix en goûtant, comme s’il devenait illusoire de déconnecter l’expérience de son coût. La course à la bonne affaire m’a donc fait avaler des kilomètres de béton ciré mais, alerte spoiler, si tu t’éloignes des grandes marques, à moins de 80€ t’as plus rien. Loués soient les 10 ans de Benromach, de Laphroaig ou Talisker, les 12 ans de Glenfiddich ou Aberlour, le Lagavulin 16 ans… Côté nouveautés : big up aux Port Charlotte 10 ans (65€) et, surtout, à son frangin Islay Barley 2011 (75€) qui cette année sort clairement du lot. Cœur avec les doigts pour le revival du GlenDronach 15 ans Revival (69€) et le Lot 40 Cask Strength (dans les mêmes eaux). Mention spéciale au Glenfiddich Fire & Cane (50€, soit 20€ de plus que le 12 ans), légèrement tourbé et achevé en fûts de rhum, jeune et un poil léger mais agréablement tourné.

 

Le whisky français confirme sa formidable montée en puissance. Une plus grande surface d’exposition a attiré la foule, aimantée en outre par la sortie du premier 10 ans officiel de la courte histoire du malt hexagonal, celui d’Armorik (en parlant de bonne affaire : 60€ la bouteille, et pour ce prix-là elle est pleine). Curieux contraste avec les stands de bourbon quelque peu délaissés, alors qu’il y a encore deux ans toute la presse hipster voyait venir d’Amérique la nouvelle vague du whisky. Laisse-moi te dire qu’on n’en est qu’au début. Tiens, par exemple, tu as vu le stand du Domaine des Hautes-Glaces, protégé par les rubans jaunes ? Non, ce n’était pas une scène de crime des Experts, mais l’annonce du chantier à venir, la construction de la nouvelle distillerie. How cool is that ? (En français s’il te plaît.)

 

Du côté du négoce

 

Là-dessus, je me suis réconciliée avec le négoce, un peu à la peine ces dernières années – note bien que ce n’est pas par manque d’effort, mais parce que les distilleries de premier plan traînent un peu la patte pour leur vendre des fûts, préférant conserver avidement leurs stocks. Chez Gordon & MacPhail, signalons un Mannochmore 18 ans 1999 à 46% (environ 90€), un Inchgower 13 ans 2005 à 55,1% (même fourchette), un Longmorn 15 ans à 43% (84€), un Glenlivet 15 ans 2003 à 56,5% pour LMDW (140€) – Glenlivet devrait toujours avoir ce goût, mais pas forcément ce prix.

 

Chez Signatory Vintage, qui fête ses 30 ans, pas réussi à dénicher la bonne affaire, mais les plus belles bouteilles étaient de sortie sur la table, et non pas réservées au bar VIP – sombrero bas pour cette délicate attention. Merci au saint Valentin qui m’a mise sur la voie : le North Port Brechin 36 ans 1981 (1.680€, cherche pas, il n’y a pas de chiffre en trop) m’a fait contempler la voie lactée en pleine journée. Un très chouette Benrinnes chez Douglas Laing (Old Particular), 15 ans en sherry butt, carné, camphré et enflaconné à 64,6% (118€) et un Highland Park 21 ans (XOP) tout en finesse, mais à 350€. Si la subtilité s’achète désormais à ce prix, je comprends que tu enfiles souvent les semelles de bois. Mais trois jours durant, en bord de Seine, en prenant la peine de les déchausser, ces sabots de bois, moi j’ai trouvé les whiskies d’une reine, et je les ai gardés**.

 

* Plus exactement, j’y suis passée 10 mn pour avoir une conversation au calme – note à ceux qui m’ont fait la bise au bar.
** D’à peu près Georges Brassens.
Par Christine Lambert
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