Ecrins somptueux ou gardiennes du temps, les carafes d’exception demeurent l’une des plus belles preuves d’incursion de l’artisanat d’art dans le monde des spiritueux. La maison Lalique fait partie de ces entreprises qui perpétuent un savoir-faire passionnant autant que passionné. Focus sur cette figure emblématique du savoir-faire français au service du luxe.
L’expérience vaut d’être vécue. Il y a quelques mois, The Macallan présentait à Paris l’une des plus belles carafes de sa collection. Avec un sens aigu de la scénographie, la célèbre distillerie du Speyside conviait dans un hôtel particulier du très chic 8e arrondissement parisien, quelques privilégiés à découvrir Tales of the Macallan. Le flacon abrité dans un étui prenait ici la forme d’un beau livre, s’inspirant du Laird John Grant of Elchie, premier propriétaire des terres agricoles où se dressent désormais les alambics. En parcourant l’objet des yeux, impossible de ne pas reconnaître la parfaite exécution des artisans impliqués dans la mise en lumière de cet honorable single malt, distillé en 1950 et mis en bouteille en 2021. De la délicatesse du cuir de la couverture, du gaufrage du papier au choix des typographies, de la richesse à la précision des illustrations, une ronde d’artisans d’art dévoile ici tour à tour leurs talents pour abriter un flacon de cristal, produit par la maison Lalique. Un flacon qui intrigue autant qu’il fascine. Mais qui se cache derrière la maison Lalique ? Comment naissent ces carafes, ultimes gardiennes des précieux nectars ? Comment travaille-t-on à bâtir un objet exclusif, capable de capter l’attention des passionnés autant que des riches consommateurs ou collectionneurs ?
René Lalique, le maître fondateur
Pour comprendre le présent, il faut nous pencher sur l’histoire et remonter la frise chronologique de cette maison. Aujourd’hui encore, le fondateur demeure au quotidien, 77 ans après sa mort, la figure du maître incontesté pour les employés de la maison. René Lalique est né dans la Marne, à la fin du XIXe siècle. Il est tout à la fois dessinateur, joaillier, maître verrier et décorateur industriel. Son intuition et son esprit d’entrepreneur le mènent d’abord sur le terrain de jeux de la joaillerie. En 1888, son poinçon “RL” sur des bijoux mêlant émail, ivoire, nacre et pierres semi-précieuses est déjà reconnu. Ses succès lui apportent la reconnaissance internationale. Le point de bascule historique a lieu lorsque René Lalique rencontre en 1912 le parfumeur François Coty, autre père fondateur de l’industrie du luxe à la française. Lalique investit dans le flaconnage et rencontre à nouveau le succès. Une usine est alors inaugurée à Wingen-sur-Moder, au cœur de cette Alsace à nouveau française au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Tout au long de sa carrière, Lalique s’inspire tout à la fois de la nature, de la femme, de l’enfant, d’un oiseau… autant de forme qui se combine à travers les nombreux ouvrages mis en chantier durant sa vie. L’univers créatif de René Lalique s’appliquera aussi bien à la cristallerie, la décoration intérieure et l’architecture, autant de disciplines qui conjuguent la pureté de la lumière aux émotions esthétiques. À sa mort en 1945, son fils Marc remplace le verre par le cristal et propulse la maison sur la scène internationale. À la fin des années 70, sa petite fille Marie-Claude perpétue la tradition et renoue avec la bijouterie et la parfumerie. Enfin, en 2008, la société suisse Art & Fragrance rachète la maison Lalique. Les premières décisions privilégient la modernisation de l’appareil de production sans perdre de vue l’immense héritage de son fondateur. «Ici on travaille à la main, on moule, on “cueille” de la matière luisante comme du miel, on presse, on souffle… Une fois refroidi, on taille, on sable et on polit, c’est le style unique des artisans Lalique, cette fameuse finition satinée repolie du cristal, entre ombres et lumières», souligne Silvio Denz, le PDG de Lalique SA.
Marc Larminaux, directeur artistique de la maison Lalique
À Wingen-sur-Moder, ils sont 250 employés dont 7 Meilleurs ouvriers de France qui, sous la houlette du jeune directeur artistique Marc Larminaux, perpétuent le rêve de René Lalique : «faire entrer le beau dans les foyers». Un rêve qu’il faut transformer en réalité et qui paraît bien plus compliqué que l’on imagine, quand il s’agit de le mettre en œuvre. «Pour une carafe en cristal, en général, il faut compter entre 12 et 18 mois entre le premier dessin et la première série finalisée, précise le jeune directeur artistique de la Maison. Tout commence par un brief qui selon les cas est plus ou moins précis et abouti selon les thèmes choisis.» Un projet se séquence en plusieurs étapes : «Il y a toujours un échange prolongé entre nos équipes et les partenaires qui souhaitent que nous créons une œuvre en verre pour eux, que ce soit pour une distillerie de whisky, une maison de cognac, de vodka, de rhum ou de tequila.»
L’inspiration vient souvent de la matière première, la culture des sols, la distillation ou la dégustation, autant de disciplines et d’étapes dans la conception. Toutes font appel au pouvoir unique de l’artisanat mêlé à celui de l’imagination, du savoir-faire et de la passion : une recherche constante entre une salle des alambics ou un chai et les ateliers alsaciens de Lalique. «Le travail d’une carafe s’approche d’un flacon de parfum, ce sont les mêmes codes, s’attarder sur la beauté et l’originalité de l’objet, c’est une façon de montrer que le contenu est très précieux…»
Une fois le concept bâti, les particularités d’une carafe sont multiples et souvent complexes. Vient le temps des allers-retours entre verriers et designers pour adapter la forme désirée en fonction de ce qu’elle peut contenir. Le dessin enfin finalisé, place à la fabrication du moule, point névralgique du projet. L’un des dangers demeure dans le démoulage de la pièce. Une fois le cristal coulé, la matière se fige et la moindre contrainte interdit le démoulage. On touche là à l’un des savoir-faire uniques de Lalique : maintenir la richesse, la complexité et les finesses des illustrations tout en permettant d’ouvrir le moule. Les carafes qui présentent des injections (ajout de cristal chaud sur du cristal chaud), leur poids et contenance (75 centilitres ni plus, ni moins) autant de contraintes avec lesquelles les équipes jonglent en permanence et qui, sans cesse, maintiennent un niveau d’exigence extrême.
L’Écosse, nouveau terrain de jeu
Un ADN unique et qui, au fur et à mesure des années, demeure l’un des principaux créateurs de carafes et autres flacons dans le monde des spiritueux et qui va au-delà de la simple exécution éphémère. À l’image de la récente reprise de la distillerie des Highlands The Glenturret en partenariat avec Hansjörg Wyss, entrepreneur, homme d’affaires et mécène suisse, par la maison Lalique. Pour The Glenturret, c’est donc une nouvelle vie qui s’ouvre ! (on en parle ICI) Considérée comme l’une des distilleries les plus artisanales d’Écosse, le moût de fermentation est ici brassé encore manuellement. Un procédé comme une relique désormais unique en Écosse tant il semble archaïque mais qui, une fois encore, résonne avec l’identité Lalique. Pour Silvio Denz, l’enjeu est d’inscrire la distillerie dans «le secteur des whiskies et particulièrement des single malt haut de gamme, le segment qui connaît la croissance la plus rapide dans l’industrie mondiale des spiritueux». Car, au-delà des capacités de production qui devraient être progressivement augmentées de 200 à 500 000 litres par an, l’acquisition de The Glenturret ouvre les portes d’un stock de plus d’1 million de litres de whiskies vieillis. Un véritable trésor de nos jours.
Précédemment détenue par le groupe Edrington (The Macallan), ses murs ont connu une cure de jouvence de 18 mois. Le destin de The Glenturret s’accorde aussi désormais à la gastronomie puisqu’un restaurant s’adosse à la salle des alambics. À noter que Lalique est propriétaire par ailleurs de plusieurs étoilés Michelin, en Alsace à Wingen-sur-Moder, à deux pas de l’usine, et au cœur du vignoble bordelais au château Lafaurie-Peyraguey (Sauternes), sans compter en Italie et en Espagne. Le restaurant de la distillerie se voit doté de l’un des plus beaux bars à whiskies au monde avec quelque 450 références à la carte. Pour la maison française, cet attrait pour l’Écosse date d’il y a plusieurs années. À la manière d’une Auld Alliance, les collaborations entre The Macallan et Lalique attirent autant la curiosité des amateurs qu’elles attisent l’appétit et les convoitises des collectionneurs. Parcourant et célébrant tour à tour les symboles de la distillerie avec la série de flacons Six Piliars ou rendant hommage aux moyens de transport des années 1930 avec les carafes Golden Age of Travel, c’est donc plus récemment avec The Tales of Macallan, que le destin des deux maisons s’entremêle.
Ce soir-là, en parcourant de plus près le design et les décorations de cette dernière, on devine bien plus qu’un simple flacon. L’ordinaire du quotidien nous aurait presque menés à l’amnésie tant, de nos jours, les bouteilles croisées dans nos backbars se ressemblent. La beauté et la précision des illustrations qui parcourent l’objet, mènent ici le single malt au pays de l’art et de l’imaginaire. Avec quelque 350 exemplaires, estimés à plus de 80 000 euros chacun, Tales of The Macallan sera l’objet de bien des convoitises un peu partout à travers le monde. L’apercevoir et s’en approcher, c’est apprécier une vision commune, un trait d’union mêlant l’artisanat, la passion et l’excellence des hommes dont le moteur reste le beau autant que le bon. Un concentré esthétique qui au final résonne de concert pour le plaisir hédoniste de quelques privilégiés, mais dont la beauté d’exécution s’offre à tout et à chacun.
Par Nicolas Le Brun
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