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Le 21 octobre, comme chaque année depuis 2020, la Distillerie Bertrand embouteille son nouveau St Wendelin. Du coup, on va beaucoup parler d’eau, de moine, d’un drôle de paroissien. Et d’une maison historique du whisky alsacien, qui a su se renouveler sans jamais rien perdre de l’originalité impulsée par son créateur, l’inclassable Jean Metzger. Amen !

L’offre spiritueuse (à défaut de spirituelle) serait sans doute moins abondante si les moines, au cours de l’histoire, avaient consacré plus de temps à la prière qu’ils n’en ont dévolu à la confection de gnôles diverses et variées. Mais Uberach, le village star du whisky alsacien, s’est pourtant entiché du seul bénédictin ayant voué sa vie… à l’eau.

Depuis 2020, chaque année le 21 octobre, la distillerie Bertrand  embouteille son St Wendelin. Prince écossais du haut Moyen Age, Wendelin renonça à un royal destin tout tracé pour empoigner un bâton de berger et guider les troupeaux, avant d’endosser finalement le froc de moine.

On lui prêtait le don de faire jaillir l’eau douce de sa houlette, et Uberach lui voue un étonnant culte pour un village qui s’est plutôt taillé la réputation de laisser couler le whisky – 2 distilleries de malt, bientôt une 3e, pour à peine plus d’un millier d’habitants ! Uberach, à vrai dire, signifie « au-delà du ruisseau, de l’eau » (dérivé de l’allemand über bach), mais bon, on ne va pas se fader une chronique sur H2O.

D’ailleurs le 21 octobre, jour où l’on fête le saint cureton aquaphile, c’est plutôt une topette de whisky que Jean Metzger ira déposer en se marrant sur la fontaine Saint-Wendelin qui trône en plein bourg, histoire de pimper le purgatoire.

Loués soient les dieux du malt, il reste encore une poignée de perchés magnifiques dans le whisky ! De ceux à qui on a envie de laisser les clés de l’asile, des fêlés dont Audiard disait qu’ils laissent mieux que les autres passer la lumière. Au milieu d’un univers qui se standardise tristement, ces drôles de paroissiens soufflent en biais sur la planète Malt un vent de folie bienvenu. Jean Metzger en fait partie.

Ce jour-là, il dévale la Grand-Rue sur une planche et, ma foi, je n’avais encore jamais vu un maître de chai débouler en skate-board de son chai. Ce fondu de glisse, maître nageur à ses heures, grand amateur de vins, dégustateur hors pair, fou de musique et de single malts concilie ses multiples passions à Uberach, où il veille sur les whiskies de la distillerie Bertrand.

Fondée en 1874, Bertrand a imposé son nom sur les eaux-de-vie de fruits qui ont taillé une flatteuse réputation à l’Alsace. La maison a gardé trace dans ses archives d’une lettre manuscrite de l’acteur Fernandel, datée de 1964. En bref : laissez-moi vous envoyer mon chauffeur pour récupérer ma caisse de gnôle, votre livreur risque de galérer pour se garer dans mon quartier résidentiel. Un excès de prudence révélateur, en des temps où se parquer en double file n’était pas moins encouragé qu’aujourd’hui.

Au fil des décennies cependant, les eaux-de-vie de fruits tombent en disgrâce. Début des années 2000, Metzger finit par convaincre sa direction de se risquer sur le bizarre. De se diversifier dans le malt. Lui-même s’attellera à l’élevage et à l’assemblage. Le premier whisky, coulé en 2003, sort trois ans plus tard.

Comme souvent dans les distilleries alsaciennes reconverties au malt, brassage et fermentation sont sous-traitées. C’est donc la bière fournie par la Brasserie Uberach voisine et Météor qui a longtemps alimenté les 3 alambics Holstein, avant que Wolfberger, maison-mère de la distillerie Bertrand, ne prenne le relai en janvier dernier.

La production reste très modeste, et terriblement artisanale : 100.000 litres de bière avalés chaque année par la triplette de cuivre, dont il ne restera que 6% à la sortie des Holstein. C’est avec ce distillat que Jean Metzger unit dans son chai l’amour du whisky à celui du vin, puisqu’il sélectionne avant tout pour ses vieillissements des fûts de domaines viticoles frappés au sceau des amitiés. Le chai… Comment dire ?

Bon, tant qu’à confesser mon ignorance, je n’avais jamais vu non plus un chai équipé de platines et d’enceintes crachant Frank Zappa et Neil Young en alternance avec Led Zep’ et Sweet Smoke. « Certains fûts ont leur bande-son, leur inspiration », remarque Metzger parce que, bien sûr, n’est-il pas. Les pochettes de 33 t seventies qui s’accrochent ici et là sur les têtes des barriques en témoignent, semées façon jeu de piste. Manquerait plus qu’une volée d’anges se déboite les hanches et se secoue les ailes sur les riffs au cul des tonneaux. Mais mon dieu, sur quelle musique est né le Biersky, medley barré d’eau-de-vie de bière et de malt ?

Parfois, l’inspiration se puise dans le whisky, tout simplement. Le millésime 2004 embouteillé pour Version Française, qui a fait sensation au dernier Whisky Live, « je l’ai pensé comme les premiers Karuizawa qu’on a goûtés en France. Epais, des cerises noires, du café, presque goudronneux », s’emballe Jean Metzger.

En marge des éditions limitées qui vous font dangereusement de l’œil dans la très chouette boutique de la distillerie (qui se visite), trois gammes rassemblent les whiskies de Bertrand. Le single malt Uberach, élevé 5 ans sous chêne vierge et en fûts banyuls, la collection des Cask Couleurs Jaune (mûris en fûts de vins du Jura), Bleu (vins du Rhône) et Vert (Bourgogne). Et les St Wendelin : Le Principal, décuvé le 21 octobre donc, qui se double d’une édition Le Souffle de 10 ans.

Car on l’oublie parfois, mais Uberach est l’un des rarissimes whiskies français à proposer des comptes d’âge de 10 ans, chaque année depuis 2013. Sous forme de single cask le plus souvent, certes, mais ne minimisons pas l’exploit. Ni la bénédiction d’un saint moinillon qui, dans la béatitude éternelle, a fini par transformer l’eau en whisky. Un miracle.

Par Christine Lambert

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