De Grazie à Herbarium en passant par Gocce, Oscar Quagliarini continue de tracer une voie singulière dans l’univers du bar. Entre parfums et cocktails, la créativité du plus français des bartenders italiens n’a de cesse d’explorer de nouveaux territoires de plus en plus liés à l’émotion. Ou comment l’enfant terrible de la scène cocktail parisienne distance une nouvelle fois la concurrence.
Par Gaylor Olivier
Un jour peut-être l’Histoire du renouveau de la scène cocktail parisienne rendra hommage et justice à Oscar Quagliarini, bartender milanais exilé à Paris il y a quelques années pour ouvrir le bar du Grazie, pizzeria chic & bar à cocktails du 3e arrondissement parisien. Car Grazie fut pendant un temps la place forte du cocktail parisien, un lieu terriblement prescripteur. Le throwing, les Tiki drinks… on a tendance à l’oublier mais Oscar Quagliarini les avait déjà remis en jeu ici et ce avant tout le monde. Cultivé, ouvert, technique, le cocktail chez Quagliarini était racé comme nul autre et se rencontrait au Grazie comme nulle part ailleurs dans la capitale. Le bartender italien avait alors une ou deux longueurs d’avance sur toute la scène parisienne. Et ceci avant même de s’intéresser à la parfumerie. Aujourd’hui, Oscar Quagliarini est donc loin, très loin. Un véritable ovni dans le monde du bar dont la créativité, à mille lieues de la branlette intellectuelle de certains, n’a de cesse de s’interroger sur l’émotion. Avec Herbarium, il signe une proposition rare et élégante dans un milieu qui peine à créer des passerelles véritablement pertinentes.
Gaylor Olivier : Tu es revenu à Paris pour travailler à l’ouverture d’un nouveau bar d’hôtel. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
Oscar Quagliarini : Le projet est énorme, avec trois bars. L’Herbarium est le bar principal mais il y aura aussi un Cicchetti bar, un bar à tapas à l’italienne, avec quatre variations de Spritz et six variations d’Americano, et un rooftop où l’on ne va faire que quinze classiques avec des spiritueux premiums. Le menu du bar de l’hôtel c’est un livre, comme un herbier ancien. Il y aura trois volumes, écrits en trois langues : français, anglais et italien. À l’intérieur, il y a une introduction sur le premier parfum au monde, le kyphi d’Égypte. Il y a ensuite une petite introduction sur Brillat-Savarin et l’olfaction rétronasale, la différence avec la neurogastronomie de Gordon M. Shepherd (la différence de respiration entre les humains et les chiens). Il y a dix-neuf cocktails et chaque cocktail est accompagné d’une citation très connue, son numéro, ses ingrédients, sa technique, sa déco, le parfum qui va être mis à côté du verre et les plantes à l’étude.
G. O. : On dirait la continuité de ce que tu as commencé à Grazie puis à Gocce il y a quelques années mais avec le support livre en plus.
O. Q. : Oui mais ce qu’on va faire là c’est une trilogie. Ce n’est pas un livre et basta. Le premier est fait comme cela. Le deuxième sera la suite de l’histoire de la parfumerie après le kyphi jusqu’à nos jours. Il y aura une rapide étude de toutes les plantes utilisées dans la parfumerie, juste les noms, les parfums et la sensation qu’ils donnent. Ensuite je prends douze nez à l’analyse, à l’étude. Des nez très connus comme Olivia Giacobetti, Laura Tonatto, Roudnitska, Jean Claude Ellena… Je prends les douze plus importants ainsi que les douze fragrances qui les ont rendus célèbres. Je fais une petite histoire du nez en analyse comme Roudnitska et je prends le parfum le plus célèbre qu’il a fait pour Frédéric Malle. Je l’explique et puis je fais un cocktail qui te remémore son parfum ou sa philosophie. Ce sera le deuxième volume, Le Voyage Immeuble. Le troisième, ce sera La Route du Thé. J’explique un peu l’histoire du thé et son service. Je prends ensuite douze thés à l’étude, les explique et les combine avec des épices, des fruits séchés. Je vais les utiliser en sirops, en bitters, en macérations dans des alcools forts. Le troisième volume, ce sera ça.
G. O. : Tu penses que toutes les philosophies de parfumeurs sont transposables en version liquide ?
O. Q. : Oui, absolument. En fait l’objectif est d’arriver à l’automne avec quatre fragrances, des vrais parfums, pour la marque Q, la même marque que le bitter et les vermouths (récemment lancée par Oscar Quagliarini, ndlr). Les quatre parfums sont toujours un peu en liaison avec le monde du bar. Technoverilla, c’est un parfum pour ceux qui travaillent dans des clubs avec musique techno, mais une bonne carte cocktails. Spksy, c’est un parfum pour les whiskies bars ou les bars cachés, avec des notes de fond de cuir, de tabac, de santal, de bois. On va également faire un parfum pour les lieux spécialisés dans l’univers du gin. Je vais aussi faire le premier parfum pour un chef étoilé Michelin et son resto, Matias Perdomo. Je l’ai étudié par rapport aux matériaux présents à l’intérieur du restaurant, les plantes qu’ils utilisent dans la cuisine et celles du jardin. C’est un parfum qui se développe sur 3h30, le temps du dîner. Cela veut dire qu’il change. Au début, avec les entrées, tu commences par les notes de tête, ensuite les notes de cœur et quand tu arrives au dessert, à la fin, ce sont les notes de fond.
G. O. : Tu t’es donc vraiment passionné pour le parfum.
O. Q. : Oui, mon objectif est de sortir de l’industrie des spiritueux. C’est fini pour moi. Au niveau des bars, je suis presque à la fin. Tout le monde galère pour faire quelque chose de nouveau mais tout le monde fait toujours la même chose. Marian Beke a été le premier à ramener des choses de l’univers de la cuisine. Il avait son style de travail, avec un peu de flair dedans, mais maintenant tout le monde bosse comme lui, c’est la copie de la copie de la copie… Là, on a essayé de faire quelque chose de nouveau. Le nom des cocktails ce n’est plus Champagne Cocktail, Winter Old Fashioned ou Gimlet machin. Parfois cela ressemble à la cuisine comme Sparkling Rose Velvet. La Forêt du Lac, c’est plutôt un nom de parfum. L’Enfleurage de Florence, Pomme et Tabac, Sud Sud Sud… Avec Herbarium, on essaie de faire quelque chose de différent. Chaque cocktail a son parfum comestible avec un double côté : le nez et la bouche. Derrière le bar, il n’y aura pas cinq cents bouteilles. Ça, c’est fini. On met quatre gins, trois mezcals, cinq rhums, six whiskies, deux cognacs et basta. Pas beaucoup de bouteilles, pas de verrerie pour faire du spectacle… J’ai choisi des verres très simples, très élégants. Pas de déco, pas de throwing, pas de hard shake… Non, non, non ! On n’arrête ça ! C’est une façon de dire qu’on est concentré sur le goût et sur le nez. On n’a pas de cocktails très fort comme le Manhattan, le Martini. Pas de trucs costauds, la plupart sont très faciles à boire. Aujourd’hui les barmen sont concentrés sur des cocktails à boire uniquement pour eux ou pour des clients qui ne sont que des barmen. Sur une carte avec douze cocktails, il y en a huit qu’une fille n’arrive pas à boire. Ils font tous des cocktails à base de mezcal, alors que tout le monde n’aime pas. On va faire du Spritz mais, autrement, sans Aperol. Personne n’a jamais pensé qu’il fallait étudier un produit premium similaire à l’Aperol mais meilleur, avec une matière première plus recherchée. On fera un Spritz premium mais à 14/15 euros le cocktail pas à 30 euros. Il faut que tout le monde puisse profiter d’un bar d’hôtel. 30 euros un cocktail, ce n’est pas normal.
G. O. : Qu’est-ce qui t’intéresse davantage dans la parfumerie ?
O. Q. : Tout. Tous les ingrédients que tu peux utiliser. Il y en a beaucoup plus que dans la cocktailerie. Et il y a un côté vraiment important : un parfum peut te donner des émotions. Moi, un cocktail ne m’a jamais donné d’émotions. Tu peux dire : «C’est un bon Martini que tu as fait» mais il ne me donne pas d’émotions. Avec un parfum, il y a beaucoup de choses qui t’emmènent ailleurs. Un lieu, une fille, ton ex-copine… C’est vraiment une chose qui reste et autour du parfum tu peux créer des choses incroyables. Il y a le graphisme, la bouteille, la pub. Ma créativité, elle est dans l’univers de la parfumerie et non dans l’industrie de l’alcool. Avec l’herboristerie et la parfumerie, j’ai eu plus de créativité dans les cocktails que j’en ai eue avec les alcools.
G. O. : Quel sera le prochain slogan d’Oscar Quagliarini, après “Cocktail first, questions later” ?
O. Q. : Le premier qui m’est venu, c’est “Stir is the new shake”. Avec l’expérience, j’avais constaté qu’il y avait beaucoup plus de cocktails en stir & strain que shakés. Donc “Stir is the new shake” mais maintenant avec la parfumerie on va voir. Avec ma trilogie de livres, je vais terminer mon côté bar même si je vais toujours bosser derrière le comptoir. J’aime trop bosser au bar : c’est ma vie, c’est mon adrénaline. Le premier livre que j’ai fait n’était pas destiné qu’aux barmen. Il pouvait intéresser autant les herboristes que ceux qui bossent dans la parfumerie, dans l’illustration ou la bande dessinée. Avec cette trilogie, tu as trois univers différents associés à un livre, plus l’univers graphique avec les dessins.
G. O. : C’est important le support livre dans le processus ?
O. Q. : C’est important de faire un livre parce que cela fixe des choses. Cela permet également de faire arriver des recettes correctes à d’autres barmen. Si tu viens chez moi et que tu commandes un cocktail, si tu n’as pas la recette, quand tu le refais chez toi la plupart du temps le cocktail ne sort pas comme il devrait sortir. Avec un livre, tu fixes tes recettes et le mec peut refaire ces recettes. C’est bien, c’est quelque chose qui reste. Écrire un livre, c’est un peu comme devenir immortel, non ? Tu as quelque chose qui reste.
Pour les phrases en exergue :
« Ma créativité, elle est dans l’univers de la parfumerie et non dans l’industrie de l’alcool. »
« Un parfum peut te donner des émotions. Moi, un cocktail ne m’a jamais donné d’émotions »
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