Le nouvel opus de Bruichladdich, élaboré avec des orges locales, continue à ancrer puissamment ce whisky dans son sol, dans son histoire, et à faire d’Islay non pas un simple profil gustatif mais une origine véritable.
«We believe terroir matters. We believe in barley. On croit que le terroir est important. On croit en l’orge, en ses origines, en sa provenance.» Bruichladdich a fait de cette phrase bien plus qu’un slogan habile : un véritable manifeste. Depuis son réveil en 2001, la distillerie d’Islay explore inlassablement les possibilités de la matière première céréalière, dégoupillant au passage le mot le plus explosif du whisky. Terroir. Et son nouvel opus, le Port Charlotte (“PC” pour les intimes) Islay Barley 2011, vient à son tour enfoncer ce clou dans le flanc de l’industrie. «L’orge de ce millésime a été récoltée sur trois fermes locales, et le whisky n’a rien de semblable avec - au hasard - le PC 2008, pour lequel six parcelles avaient été cultivées, s’anime Adam Hannett, qui a repris le flambeau de la production à la suite de Jim McEwan. L’orge, c’est l’ADN de Bruichladdich. L’industrie se contente d’y voir une source d’amidon, de sucre à convertir en alcool : nous, nous pensons que c’est le cœur aromatique du whisky.»
À vrai dire, la rebelle d’Islay est de moins en moins seule à le penser. Partout à travers le monde, une nouvelle génération de distilleries défriche les possibilités du grain - les Hautes Glaces en France, Westland aux États-Unis, pour rester dans le groupe Rémy Martin qui semble en faire un tropisme cohérent. Ne nous y trompons pas, l’immense majorité de l’industrie continue à tourner avec les trois ou quatre mêmes variétés d’orge, Concerto et Odyssey en tête, fournis par les importants céréaliers et malteries, avec un unique objectif : le rendement alcoolique, c’est-à-dire le nombre de litres d’alcool pur extrait par tonne d’orge - au-delà de 400 l/t ces derniers temps. Parler de terroir dans ces conditions suscite au mieux sourires et moqueries. Mais on sent le vent tourner, pas seulement dans les champs. Les amateurs deviennent très réceptifs à l’idée de retour à la terre, à la proximité, à la traçabilité, au cousu main. Et l’idée que la matière première, le microclimat, le sol, l’environnement et la patte des hommes impriment leur breuvage touche une corde sensible. «Deux variétés d’orges ont été cultivées pour ce millésime 2011, Oxbridge et Publican, reprend Adam Hannett. Elles ont été tourbées à 40 ppm. La distillation est lente, et ne retient qu’un tiers des phénols à l’arrivée. On l’a embouteillé jeune, à 6 ans, pour que l’impact des fûts n’ait pas le temps d’écraser l’orge, et à 50%, un degré assez élevé pour délivrer les notes maltées avec puissance, dans les meilleures conditions. Quand je le hume, je sens les mouettes voler au-dessus de la mer.»
Avant le concert de battements d’ailes, on retiendra que l’élevage s’est fait aux trois-quarts en fûts de bourbon de premier remplissage, et pour le reste en tonneaux de second remplissage de vin rouge français - tout comme le chêne -, ensuite assemblés. Mais ce sens du terroir, c’est aussi l’ancrage d’une distillerie qui a fait le choix de sa communauté, embauchant quatre-vingt employés sur son île, travaillant en étroite coopération avec dix-neufs petits producteurs fermiers. «Un tiers de l’orge que nous utilisons est désormais locale, poursuit Hannett. L’orge cultivée sur les parcelles côtières, presque les pieds dans l’eau, ne délivre pas les mêmes arômes que celle qui pousse au centre de l’île. Et celle qu’arrose un été pluvieux ne se comparera pas avec la récolte de cette année, où nous avons connu une longue sécheresse. Ce sont ces subtiles différences que concentre Port Charlotte.» Prochaine étape ? Malter sur place. Et si vous voulez tout savoir, c’est pour bientôt.
Par Christine Lambert
Notes de dégustation
Robe : gold
Nez : Tout en délicatesse. Jeunes pousses d’orge tendre et sucrée, enveloppées de tourbe goudronneuse, citronnée. Chêne, chocolat vanillé adouci d’abricot, de pêche, taquiné de cendre.
Bouche : Quelle douceur ! La fumée iodée, citronnée, caresse le fruit pincé de poivre, l’orge délicate frôlée de chêne, d’amande amère.
Finale : Tourbée, fumée, iodée tout en sécheresse. Où sont les mouettes ?
Commentaire
Aucun commentaire