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La mode du vermouth favorise également d’autres vins aromatisés. Parmi ceux-ci, les quinquinas, et singulièrement les quinquinas français, se détachent. De Dubonnet au Cap Corse Mattei, ils pourraient bien marquer votre année 2017.

 

Peut-être car leur crédibilité médicale était autre que celle des vermouths, les quinquinas ont marqué le long siècle français de l’apéritif – grosso modo, de 1850 à 1970 -, plus encore que leur cousin à l’absinthe. L’histoire est connue : aux alentours de 1630, des jésuites espagnols présents dans les colonies sud-américaines de l’Espagne, remarquèrent que les indigènes mastiquaient une écorce d’arbre lorsqu’ils avaient de la fièvre. La malaria, inexistante au Pérou, faisait alors des ravages en Europe et n’avait aucun remède connu. Miracle : ramenée en occident, cette écorce fonctionne. Malgré une lente adoption – les jésuites n’étant pas en odeur de sainteté partout en Europe – le quinquina devint, d’un point de vue économique, l’un des biens les plus précieux de l’empire espagnol, devant même les bois précieux.

Vaincre la malaria

Sans surprise, l’écorce moulue n’étant pas très agréable, elle finit rapidement mêlée à du sucre et du vin. Si c’est encore une fois un jésuite qui fit cette recommandation, la recette la plus populaire de l’époque était anglaise, signée d’un certain Robert Talbor, qui agrémentait en sus le mélange de feuilles de rose et de jus de citron. Puisque la quinine, le principe actif contenu dans l’écorce de quinquina, était le seul remède naturel contre la malaria (on n’est parvenu à la synthétiser qu’à partir des années 40) et que cette maladie, on a tendance à l’oublier, fit des ravages dans toute l’Europe du sud jusque dans les premières décennies du XXe siècle, le succès constant des boissons au quinquina était assuré.

Celles-ci sortirent du monde pharmaceutique dans la première moitié du XIXe siècle. En France, l’un des premiers à se faire remarquer était un négociant en vin savoyard, installé à Paris, qui commercialisa en 1846 le fameux vin au quinquina portant son nom : Dubonnet. St-Raphaël commence à se faire un nom à la même époque, même si la marque que l’on connaît encore aujourd’hui ne naît pas avant les années 1880. Suivent Byrrh en 1870 et Lillet en 1872, pour ne citer que les plus fameux. Tous sont construits sur la même base qu’un vermouth : un vin fortifié et aromatisé avec de nombreuses épices, racines, plantes, etc. Mais si le vermouth se caractérisait par la présence d’absinthe, elle est remplacée ici par le quinquina. Il ne faut donc pas confondre ces deux produits, assez semblables, mais aux profils distincts et nullement interchangeables.

Sauvé de la Prohibition

Si on peut se demander si ces marques s’élaboraient vraiment avec la si chère écorce de quinquina plutôt qu’avec un des nombreux succédanés qui circulaient alors – ce n’est que dans les années 1880, lorsque les Anglais et surtout les Néerlandais parviennent enfin à planter ces arbres en dehors d’Amérique latine que les cours s’écroulent -, il est indéniable que tous les quinquinas ont bénéficié pendant des années d’une réputation hygiénique qui les mit à l’abri des pulsions prohibitionnistes qui finirent par mettre à mort l’absinthe et menacèrent même le vermouth.

Mais c’est surtout leur qualité apéritive et le génie commercial de ses marques, toutes pionnières en matière de publicité, qui en garantit le succès jusque dans les années 50. À cette époque, Byrrh produisit jusqu’à 40 millions de litres par an dans ces installions partiellement conçues par l’atelier Eiffel. Voilà qui permet de se faire une idée de la chute : aujourd’hui, le volume annuel ne correspond qu’à 1 % de celui d’alors.

La production de quinquina ne se limitait bien sûr pas à la France. L’Italie en ajoutait à certains vermouths (Punt e Mes) et à d’autres vins (Barolo Chinato et l’Americano, qui l’associe à l’armoise). L’Espagne, le Portugal et même l’Afrique du sud (voire page XX sujet Caperitif qui viendra ou pas en fonction de la pub) ne furent pas non plus en reste. Après un demi-siècle de sommeil, un retour s’amorce. Byrrh, soutenu par Pernod Ricard, ouvre le chemin, singulièrement depuis le lancement du Grand Quinquina, et l’effort se porte surtout sur le monde de la mixologie, où, à quelques exceptions près, les quinquinas historiques ne s’étaient pas réellement introduits.

Retour au Cap Corse

Ce (modeste) retour en grâce donne des idées. La dernière en date nous vient de Corse, terre du Cap Corse Mattei, un quinquina au pedigree aussi noble que bon nombre de ses concurrents. Lancé en 1872 comme un amer et renommé Cap Corse en 1884, il a connu un succès notable, notamment dans les colonies peuplées de nombreux Corses et où la malaria et autres maladies “exotiques” faisaient rage.

Si le Cap Corse n’a jamais cessé d’être commercialisé, il est passé entre de nombreuses mains et son image de marque s’est diluée. Depuis janvier 2016, il a été repris par plusieurs acteurs locaux, actifs dans les domaines de la bière, du vin et des spiritueux. Bien décidés à lui donner un coup de jeune (ou, si vous me permettez, un coup de vieux puisqu’il s’agit de récupérer les valeurs historiques de la marque), ils sont retournés aux recettes de l’époque où la famille Mattei contrôlait encore l’entreprise. D’un profil plus intense que le produit des dernières décennies, la recette a été réinterprétée afin de souligner l’ancrage local. Les mistelles, véritables marques de fabrique des vins aromatisés et singulièrement des quinquinas français, proviennent exclusivement de Corse et le cédrat, que Louis Napoléon Mattei distillait déjà pour produire son Cédratine, est un des agrumes utilisés pour parfumer le Grand Réserve Quinquina blanc de la gamme (qui compte un blanc et un rouge en mode Grand Réserve et en version Apéritif).

L’initiative est d’autant plus sympathique que la France n’est pas un pays qui se caractérise par son amour pour ses apéritifs et liqueurs traditionnelles. Reste à voir si, au-delà des adeptes au cocktail, le Cap Corse Mattei, le Byrrh et les autres parviendront à de nouveau séduire un public guère plus adepte des saveurs amères de ces formules historiques.

Par François Monti

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