Le whisky s’écrit souvent dans les rires, et parfois aussi dans les larmes. Hubert Grallet nous a quittés, et une grande figure des spiritueux français disparaît soudain. Whisky Magazine présente ses plus sincères condoléances à sa famille. Mais souvenons-nous…
Je me souviens qu’il était venu me chercher à la gare. « Trois quarts d’heure de route depuis Nancy, une petite ville située dans la banlieue de Rozelieures », avait-il plaisanté. Mais quand on y pense, il n’avait pas tout à fait tort : Nancy n’existe pas sur la carte du whisky, alors qu’il avait fait de son village natal de Rozelieures une étape incontournable aux yeux des amateurs de single malts.
Hubert Grallet nous a quittés dimanche 27 mars, et le malt français est en deuil.
Je me souviens que, pendant le trajet en voiture, on avait oublié de parler whisky, justement. Mais en quarante-cinq minutes, j’étais devenue incollable sur la mirabelle. Intarissable, Hubert, quand il se lâchait sur la petite prune jaune. Vous saviez, vous, que la Lorraine fournit 70% de la production mondiale de ce fruit d’or qui se cultive uniquement dans l’hémisphère nord ? Moi non plus, mais je n’ai jamais pu l’oublier depuis.
Cinq générations et plus de 150 ans que les Grallet distillaient la mirabelle, mais quand il reprend à son tour l’exploitation familiale, en 1973, Hubert n’a qu’une hâte : replanter les vergers, intensifier la production fruitière à côté de l’activité céréalière et… sacrifier l’élevage. Adieu veaux, vaches, gardons ce qui se distille. Je me souviens qu’on s’était dit que les eaux-de-vie de fruits allaient revenir au goût du jour, forcément, tu verras.
Je me souviens qu’il parlait de coopérative, de fédération, de vision collective parce qu’à plusieurs on est toujours plus forts, et il est bien dommage qu’on l’oublie trop souvent. Son grand sourire cachait à peine une détermination d’airain, qu’il eut l’occasion d’exercer dans les organisations céréalières, dans l’AOC mirabelle de Lorraine ou dans le whisky français.
Je me souviens qu’on avait goûté le distillat de whisky à la sortie des alambics, le « jus blanc », disait-il, et c’était tellement bon. Il disait aussi : « Ça nous a pris 20 ans, mais on y est arrivés, on fabrique un whisky du champ au verre. » Le dernier boulon, la malterie, venait parachever l’œuvre dont sa fille, Sabine, et son gendre, Christophe, avaient depuis des années repris le flambeau. « C’est à eux que le whisky Rozelieures doit tout », disait-il trop modestement.
Je me souviens qu’au Whisky Live Paris, en septembre dernier, il se marrait en voyant le stand Rozelieures pris d’assaut. Douce revanche sur ces années lointaines où les amateurs lui trouvaient « un goût de mirabelle » à ce single malt qui fait aujourd’hui l’unanimité. Oui, je me souviens. Car ceux qui nous ont quittés ne meurent jamais tout à fait tant qu'ils vivent dans nos souvenirs. Ce soir je lèverai un verre à la mémoire d’Hubert Grallet. Et je sais que nous serons nombreux à nous souvenir.
Christine Lambert
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