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Afin d’obtenir des eaux-de-vie soyeuses et raffinées, quelques distilleries dans le monde ont recours à la triple distillation. Explications.

«La seule façon de se le rentrer dans la tête, c’est de suivre le circuit d’un alambic à l’autre.» Tel est le conseil que donnait Daryl McNally, alors maître distillateur de Bushmills, à qui souhaitait connaître ce procédé de distillation, simple d’apparence, mais en réalité fort complexe. Tout en étudiant la configuration des innombrables conduites enchevêtrées autour de la salle des alambics de Bushmills, et discutant de points de coupe, de températures et de teneurs en alcool, la triple distillation commençait à prendre forme dans mon esprit. Elle a pour principal objectif d’épurer l’eau-de-vie, de lisser les impuretés résiduelles de la double distillation, en vue d’obtenir un alcool soyeux et relativement raffiné.

Le berceau irlandais

On reconnaîtra sans peine à l’Irlande son statut de berceau de la triple distillation. Ce pays possède en effet la plus grande concentration de distilleries ayant recours au procédé, de Tullamore DEW à Walsh, des salles des alambics de Bushmills à celles de Midleton, en passant par bien d’autres établissements. Mais d’autres exemples existent à travers le monde, à commencer par les distilleries de whisky de malt Auchentoshan et Hazelburn en Écosse, un bourbon aux États-Unis, Woodford Reserve, et désormais une maison australienne, Shene Distillery, en Tasmanie, qui produit un whisky de triple distillation de style irlandais. Les questions qui se posent immanquablement sont celles de savoir pourquoi investir dans cette phase supplémentaire, avec tous ses coûts associés, et quelles perspectives offre la triple distillation en termes d’influence sur le caractère du distillat.

La triple distillation consiste à recourir à un ensemble d’alambics qui sont chacun dédiés à une distillation particulière : le wash still [alambic de première distillation, celle du brassin], le feints still [alambic intermédiaire, distillation des têtes et queues de distillation] et le spirit still [distillation de l’eau-de-vie]. Le wash [brassin], dont la teneur en alcool avoisine les 8 à 10%, est chargé dans le wash still. Les bas vins qui résultent de cette première distillation titrent 25% environ, voire davantage. La distillation des bas vins dans le feints still se décompose en trois phases distinctes. Les première et dernière phases, dites têtes et queues de distillation, au caractère et à la qualité inappropriés, sont collectées pour être redistillées lors de la passe de distillation suivante dans ce même feints still. La phase intermédiaire de la passe de distillation, appelée cœur de chauffe, est recueillie séparément. Elle titre habituellement 70% environ.

«Le caractère de ce distillat est plutôt corsé, marqué par des notes fruitées, céréalées et épicées, explique David Quinn, maître ès whiskey chez Irish Distillers, propriétaire de la distillerie Midleton. Comparée à la double distillation, la triple distillation implique un allongement du calendrier de production et un renchérissement des coûts, mais c’est elle qui est à l’origine du style d’eau-de-vie que nous recherchons.»

La troisième distillation répète les mêmes phases que la deuxième, les têtes et les queues étant collectées séparément pour être redistillées dans le spirit still lors de la passe suivante. La phase intermédiaire de la distillation produit un autre cœur de chauffe, recueilli séparément : c’est un distillat qui titre 80%, voire davantage. S’agissant concrètement d’un cœur de chauffe issu de la distillation d’un précédent cœur de chauffe, il offre au distillateur la possibilité d’affiner le profil aromatique du distillat final, en conservant certaines caractéristiques, en réduisant ou supprimant d’autres.

«La troisième distillation produit un distillat au caractère de fruits d’été, de pêche et de poire. Ces notes fruitées sont présentes tout du long, mais elles demeurent masquées par des notes plus lourdes jusqu’à ce que la troisième distillation les sépare et laisse derrière elle le caractère plus lourd», ajoute Colum Egan, maître distillateur de Bushmills.

Plus de souplesse et d’élégance

Relativement nouveaux venus dans le domaine de la distillation, les propriétaires de la Walsh Whiskey Distillery ont choisi précisément cette voie pour se démarquer des autres distillateurs. «Après avoir connu un “siècle” paisible, indique Bernard Walsh, le marché du whiskey irlandais est littéralement sur le chemin du retour, et il se trouve bien moins fréquenté que ses principaux concurrents. La triple distillation est bien sûr la méthode de production traditionnelle du whiskey irlandais dont le profil aromatique est dicté par elle. C’est une eau-de-vie très savoureuse, à la finale moelleuse que les consommateurs, y compris les jeunes adultes, jugent très accessible, qu’elle soit dégustée “sec” ou en cocktail. La triple distillation offre autant de souplesse que la distillation à repasse. Nous avons la possibilité de tirer notre épingle du jeu en distillant différents types de céréales et en recherchant l’innovation en termes d’affinage, avec une grande diversité de bois et de fûts.»

Aux États-Unis, la maison Woodford Reserve considère elle aussi que la réduction de quelques-unes des notes céréalées les plus lourdes est une caractéristique essentielle de son bourbon distillé à partir d’un mash bill [recette de céréales] comportant maïs, seigle et orge maltée. «C’est lors de la deuxième distillation que nous supprimons les notes de maïs, précise Chris Morris, maître distillateur de Woodford Reserve. Ces dernières étant assez terreuses, avec une note de cour de ferme, cela revient à démasquer des notes plus légères, tandis que dans la troisième distillation, nous obtenons des arômes floraux stupéfiants qui, sinon, ne se manifesteraient pas dans l’eau-de-vie, mais aussi un merveilleux caractère épicé et des notes fruitées comme le pamplemousse et le citron.»

Plus le titre alcoométrique du distillat est élevé, plus la proportion des notes plus légères est importante, notamment le fruité d’agrumes, et plus élégante est par conséquent l’eau-de-vie. Inversement, plus le titre alcoométrique est faible, plus importante est la proportion de caractères plus riches et plus lourds, telles que les notes de céréales, et plus le distillat est charpenté.

«Une différence ne serait-ce que de 2-3% dans la teneur en alcool du distillat est susceptible de modifier considérablement le caractère, de sorte que le titre alcoométrique est un paramètre dont la variation nous donne la possibilité de produire des styles différents de distillat, soit plus élégants, soit plus charpentés, en utilisant le même ensemble d’alambics», ajoute David Quinn.

Si la triple distillation offre certaines possibilités, il convient toutefois de la replacer dans un contexte plus général. «On ne peut cependant pas attribuer tout le mérite au nombre de distillations, car il nous serait impossible d’obtenir les résultats recherchés sans tenir compte du rôle que jouent également les autres aspects de la production, ajoute Chris Morris. Le choix de la levure, par exemple, contribue à favoriser une gamme particulière de caractéristiques au cours de la fermentation. Elles créent une vaste palette d’arômes dans laquelle nous pouvons choisir ce qui nous intéresse lors de la distillation.»

Par Rob Allanson et Ian Wisniewski

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