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Près de huit cents kilomètres les séparent mais le lien entre les producteurs d’armagnac et de calvados semble évident. Fiers de leur terroir et de leurs traditions, les Gascons et les Normands sont en effet restés attachés à leurs eaux-de-vie et à leurs modèles de production hérités de leurs ancêtres.

Vous ne trouvez pas qu’il y a pas mal de similitudes entre l’armagnac et le calvados ? Nous, si. Les producteurs normands et gascons aussi. Rassurez-vous, on a bien noté que l’armagnac était élaboré à partir de raisins et que le calvados était produit à base de pommes et parfois de poires. Certes, ce n’est pas le même, mais il est bien question de fruit, non ? Et, hormis cette différence notable, ces deux spiritueux français donnent le sentiment de faire partie de la même famille. «Nous sommes cousins», affirme même Guillaume Drouin, qui dirige la maison Christian Drouin basée à Coudray-Rabut. La famille, d’ailleurs, parlons-en ! Que ce soit en Gascogne ou en Normandie, la famille est en effet au cœur du sujet. Les domaines, souvent de taille modeste, se transmettent de génération en génération. Si bien que, dans ces deux régions, les grands groupes se font rares. Même si aujourd’hui, il s’agit le plus souvent de l’activité principale, y produire de l’eau-de-vie a longtemps été un “complément” pour ces familles. Une tradition qui permettait tout autant de se faire plaisir avec l’eau-de-vie “home made” que de se constituer un bas de laine. Une tradition très ancienne. Le calvados peut en effet revendiquer plus de 400 ans d’histoire : l’écrit le plus ancien relatant de la distillation du cidre en vue d’obtenir une eau-de-vie date de 1553. L’armagnac, de son côté, avec plus de 700 ans d’histoire, n’est autre que la plus ancienne eau-de-vie française. Le premier témoignage de son existence remonte ainsi à l’an 1310.

Deux appellations cousines

L’armagnac tout comme le calvados bénéficient d’une appellation d’origine contrôlée mais, en la matière, les Gascons ont une longueur d’avance. Le décret mettant en place un cahier des charges sur les conditions d’élaboration et délimitant la zone de production de l’armagnac, qui compte trois régions (Bas-Armagnac, Ténarèze et Haut-Armagnac), date du 25 mai 1909. En Normandie, il a fallu attendre 1942 pour que l’AOC calvados du Pays d’Auge et une appellation d’origine réglementée pour les calvados élaborés dans les autres zones de production, ne voient le jour. Il fallait bien trouver une solution pour échapper aux réquisitions de stocks pendant la Seconde Guerre mondiale ! Il faudra encore patienter jusqu’en septembre 1984 pour que l’appellation d’origine réglementée calvados devienne AOC et décembre 1997 pour que le calvados Domfrontais obtienne la sienne. En armagnac, depuis 2005, la Blanche Armagnac bénéficie elle aussi d’une AOC. En revanche, en Normandie, l’eau-de-vie blanche, n’ayant pas flirté avec le bois, n’est toujours pas reconnue par l’AOC. Ce qui est regrettable et oblige les producteurs à mentionner “eau-de-vie de cidre” sur les étiquettes de leurs bouteilles.

Intéressons-nous maintenant de plus près à la physionomie de ces deux appellations d’origine contrôlée. En Armagnac, on compte 728 producteurs et 154 négociants. Dans le calvados, il y a environ 350 producteurs. Puisqu’on parle de chiffres, parlons volumes de production. En Gascogne, l’an passé, il s’est produit 19 037 hectolitres d’alcool pur. En Normandie, 15 775 hectolitres d’alcool pur. Des chiffres très proches. Si les ventes de calvados ont été supérieures à celles d’armagnac (5 827 500 contre 3 millions), on constate que les balances entre les ventes en France et à l’export sont toutes les deux très équilibrées : 50 %/50% pour l’armagnac et 45 % France/55 % export pour le calvados. Des résultats qui doivent faire rêver les cognaçais : même si leurs chiffres de production et de ventes sont bien supérieurs, ils ne réalisent que 5 % de leurs ventes sur le marché français, et ce dans le meilleur des cas.

Des eaux-de-vie 100 % craft

De par leur histoire et leur physionomie, l’armagnac et le calvados sont restés extrêmement authentiques. « L’esprit de famille, la force du terroir et le respect des traditions sont toujours très présents que ce soit en Gascogne ou en Normandie, affirme Jérôme Delord, à la tête de la maison Delord, l’un des fers de lance de l’armagnac. Nous sommes avant tout des agriculteurs. » C’est en effet dans les vignes et dans les vergers que tout commence et dans des distilleries, à taille humaine, puis dans les chais que s’écrit la suite de l’histoire. Quand le domaine est équipé d’un alambic ! En effet, toutes les maisons ne possèdent pas leur propre installation de distillation, en particulier dans l’armagnacais. Si bien que les distillateurs ambulants, de moins en moins nombreux il faut bien le reconnaître, sillonnent toujours les routes des deux appellations pendant les campagnes de distillation. « Nous sommes attachés à nos racines, renchérit Guillaume Drouin. Nous avons une culture régionale très forte et nous nous attachons à sauvegarder nos modèles de production. »

Pour l’AOC armagnac, toutes les opérations de distillation doivent être terminées au plus tard le 31 mars qui suit la récolte. Pour le calvados, la date limite est le 30 juin. Si, en pays d’Auge, la distillation s’effectue obligatoirement à repasse dans des alambics dont la charge ne peut pas dépasser 2 500 litres, au sein de l’AOC Domfrontais, le calvados est obtenu par simple distillation dans un alambic à colonne. Dans l’armagnac, 95 % des eaux-de-vie sont distillées avec l’alambic continu armagnacais mais l’alambic double-chauffe est également toléré par le cahier des charges. Quant au volume journalier d’alcool pur produit, il ne doit pas excéder 40 hectolitres par alambic. Vous l’aurez compris, chez les Gascons et les Normands, la notion de craft, quelque peu galvaudée de nos jours, retrouve tout son sens. Un état d’esprit qui crée naturellement du lien. « Nous partageons la même philosophie et nous sommes solidaires par rapport à des catégories puissantes comme le whisky ou le cognac, affirme Jean-Roger Groult qui dirige les Calvados Roger Groult. D’ailleurs, on se connaît bien et on est nombreux à travailler avec les mêmes importateurs. Et, que ce soit dans le calvados ou dans l’armagnac, il y a une nouvelle génération fière de reprendre des distilleries familiales anciennes. Ce rajeunissement est synonyme de dynamisme. »

Entre tradition et modernité

Les jeunes qui débarquent, ça tombe bien ! Parce qu’en matière de marketing et de communication, les cousins n’ont jamais été super doués. Et, de nos jours, savoir-faire, c’est bien mais faire savoir, c’est essentiel. Certes, les Normands, tout comme les Gascons, ont longtemps eu des complexes par rapport à “l’ogre cognaçais” mais ils ont fini par réaliser qu’être petit, ça avait du bon. C’est même très tendance. Et puis, au regard de la taille des domaines, on comprend bien que les producteurs de calvados et d’armagnac peuvent difficilement se lancer dans des campagnes de publicité ambitieuses ou développer leur force de vente mais cette nouvelle génération, décomplexée donc, a bien compris qu’il fallait se bouger. Guillaume Drouin et Jean-Roger Groult, par exemple, en Normandie ou encore Benoît Hillion, à la tête de la maison Dartigalongue, et Sandra Lemaréchal, la nouvelle directrice commerciale du domaine Laguille, en Armagnac, ont ainsi pris les choses en main.

Au programme : changement de look avec des packagings plus contemporains tout en restant fidèles à l’ADN de leurs appellations et de leurs maisons, et des gammes revisitées pour répondre aux attentes des consommateurs. Sans tourner le dos aux comptes d’âge classiques et aux cuvées millésimées, très nombreuses dans l’armagnacais, il est désormais question de single cask, de brut de fût et de finish même si les histoires de double-maturation ne font pas toujours l’unanimité, surtout du côté de la Gascogne. Guillaume Drouin a même eu l’audace de lancer un gin. « L’idée n’est pas de tout remettre en question ou de corrompre d’identité de l’armagnac, précise Sandra Lemaréchal, mais d’apporter un peu de modernité et de faire parler de l’appellation. »

Les consommateurs ne sont pas insensibles à cette petite révolution, tout comme les bartenders qui redécouvrent les spiritueux français et sont particulièrement attirés par le côté craft de l’armagnac et du calvados. D’autant que grâce à leurs personnalités, ces eaux-de-vie fonctionnent particulièrement bien en cocktails. Et aujourd’hui, les cavistes ne sont plus les seuls prescripteurs : l’influence des professionnels du monde du bar ne cesse de prendre de l’ampleur. Pas uniquement en France d’ailleurs. Alors, ne tardez pas à mettre la main sur quelques jolies cuvées de calvados et d’armagnac. En plus, même lorsqu’elles sont âgées, voire très âgées, contrairement à d’autres catégories victimes d’une inflation galopante, leurs prix restent extrêmement sages. Et ça, contrairement aux traditions, on ne peut pas vous garantir que ça va durer.

Par Cécile Fortis

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