Les affaires de famille font légion dans le monde des spiritueux. Le whisky français n'y échappe pas et à ce titre, la distillerie des Menhirs incarne l'un des exemples les plus parlants d'un héritage transmis de génération en génération. Un siècle après l'achat du premier alambic et trente-cinq ans après sa création, la distillerie des Menhirs s'apprête à fêter les vingt ans du whisky made in Finistère : Eddu. A la veille des festivités, whiskymag.fr, a croisé Loig Le Lay, l'un des trois fils du fondateur Guy, qui imagina puis distilla les premières gouttes de ce qui allait devenir le premier whisky de blé noir au monde.
Kevin, Erwan et Loig Le Lay
Quelque part entre les Monts d'Arrée, le Pays bigouden et la capitale de la Cornouaille bretonne Quimper, Plomelin n'est plus seulement la "terre promise pour les pommiers". Sur ces terres se distille en effet, le premier whisky de blé noir au monde depuis maintenant deux décennies.
Un Family bussiness finistérien
Originaire d'une famille de bouilleur ambulant, la famille Le Lay est reconnue pour son art de la distillation depuis des générations dans la région. Au début des années 1980, Guy Le Lay professionnalise l'activité familiale et pose les premières pierres de la distillerie des Menhirs. Engagé, passionné par la culture bretonne, l'homme résume alors son travail dans un entretien au Ouest -France datant de 2015 : "tout le monde a ses vibrations bretonnes, on peut l'exprimer à travers la littérature, la peinture ou la musique. Moi j'ai choisi la fabrication de l'alcool."
Au tournant des années 1990, les connexions celtes guident les pas de la famille Le Lay vers le Speyside écossais. L'idée de produire du whisky à Plomelin infuse petit à petit dans le clan. Mais au détour d'une balade, Guy tombe nez à nez avec une parcelle de blé noir. La pseudo-céréale incarne par excellence la culture bretonne et donc celtique. Un défi technique autant qu'économique, qui mène en 2002 au lancement du Eddu.
Un moment vécu à l'époque par le jeune Loig.
Whiskymag.fr : Eddu fête donc ses 20 ans ces jours-ci, quel regard portes-tu aujourd'hui sur ces deux décennies ? Quelles ont été les étapes importantes ?
Loig Le Lay : Mon père a été un des pionniers à faire du whisky en France. Après plusieurs années de recherches, de détermination, le Whisky EDDU sort en 2002. À une époque où l’amateur de whisky ne jurait que par le whisky écossais et des whiskies âgés. Il fallait avoir du courage. Le succès a rapidement été au rendez-vous. En 2006, la distillerie s’agrandit avec un nouveau chai et un nouvel appareil alambic (repasse de 20hl). En 2008, la cinquième génération prend les manettes de la distillerie. Au début des années 2010, nous sortons nos éditions vieillies en fût de Brocéliande.
Guy Le Lay, le fondateur de la distillerie
Ces dernières années, nous nous sommes concentrés sur le développement de la distillerie en construisant un nouveau chai en 2018 et en employant plus de personnel afin d’accompagner le désir de croissance.
Quand je regarde dans le rétroviseur, je m’aperçois que c’est passé hyper vite. Mon père a été un visionnaire à une époque où internet était à ses balbutiements. Tel un breton, têtu, il est resté fidèle à ses valeurs avec 20 ans d’avance sur son temps. Approvisionnement local, circuit court, céréale locale, économie durable étaient déjà au centre des intérêts de la Distillerie des Menhirs.
Aujourd’hui, les 3 frères Le Lay essayons de pérenniser l’activité en tentant de nous réinventer sans trahir nos valeurs, le but étant de transmettre la distillerie à la 6ème génération.
"Aujourd’hui il faut absolument connaître son produit sur le bout des doigts. Il faut le faire savoir en communiquant sur et en dehors du terrain."
Whiskymag.fr : Selon toi, en quoi l'identité d'Eddu se conjugue-t-elle à la culture bretonne ?
Loig Le Lay : Pour moi, c’est une évidence, on ne fait pratiquement qu’un avec la culture bretonne. Mon père a mis ses trois enfants à l’école Diwan, il s’est impliqué dans le combat pour le breton. Personnellement, je fais de la cornemuse dans un bagad depuis 26 ans et nous collaborons avec des artistes bretons dans des éditions limitées. Donc oui, on peut dire que les racines de la distillerie sont intimement liées avec celles de la culture bretonne.
Et il ne faut pas oublier que Eddu est élaboré avec la céréale bretonne par excellence (blé noir).
Whiskymag.fr : À l'heure où le whisky français trouve jour après jour son public, qu'est-ce qui singularise Eddu sur la scène hexagonale ?
Loig Le Lay : Pas plus et pas moins que ce que nous faisions il y a 20 ans, à savoir du whisky de blé noir. Depuis 2002, nous sommes encore les seuls à produire du whisky 100% blé noir. Toutefois, ce qui a changé est la façon dont tu portes le message. Aujourd’hui il faut absolument connaître son produit sur le bout des doigts. Il faut le faire savoir en communiquant sur et en dehors du terrain.
Vitrail représentant Anne de Bretagne dans le chai de la distillerie
Whiskymag.fr : Quel est le programme des réjouissances pour fêter cet anniversaire ? Des lancements à prévoir dans les prochains mois ?
Loig Le Lay : La Distillerie des Menhirs a toujours eu un savoir-faire quand il s’agissait de faire la fête. Depuis le Covid, nous n’avions rien célébré. Du coup, on met le paquet pour les 20 ans d’Eddu. Nous allons commencer par une vidéo qui retracera le parcours atypique de mon père, la remise par un ami de la première bouteille d’Eddu sortie en 2002 (nous n’en avions pas gardé un seul exemplaire), une dégustation d’un nouveau produit disponible à la distillerie et nous finirons par un concert de Nolwenn Korbell (Artiste bretonne avec laquelle nous avions fait Eddu Collection). La deuxième partie sera plus légère avec apéro et un repas dans la salle des alambics + des chants.
Whiskymag.fr : Plus jeune, tu t'imaginais parcourir les routes de Bretagne, de France et d'Europe (du monde ?) pour représenter et vendre Eddu?
Loig Le Lay : Quand j’étais adolescent, je savais que mon destin était lié à la distillerie. J’ai pris la place de commercial un peu par défaut parce que c’était ce qu’il restait et que ce n’était pas le « truc » de mes frères. J’ai donc commencé à écumer les 5 départements bretons pendant plus de 10 ans. Aujourd’hui je me suis entouré d’une super équipe, j’ai des collaborateurs qui travaillent comme s’ils appartenaient à la famille et c’est important pour l’image de celle-ci. L’export actuellement ne représente que 5 % du CA de la distillerie. Ça progresse, le Covid nous a un peu freinés il y a 2 ans mais on continue d’aller de l’avant.
Whiskymag.fr : Dans l'ouvrage paru pour les 100 ans de la distillerie, ton frère Kevin précise "il ne suffit pas de distiller du grain pour obtenir du whisky", qu'est-ce cela signifie ?
Loig Le Lay : Pour faire du whisky, un seul paramètre ne suffit pas. Ta matière première est évidemment très importante mais il faut la maîtrise de l’entièreté de la recette. À la distillerie, nous maîtrisons la partie brassicole, la distillation et le travail de cave.
La seule partie que nous ne maîtrisons pas est la récolte du blé noir. Malgré tout, nous travaillons avec une coopérative bretonne (Euredenn) qui nous garantit que le blé noir est IGP breton et qu’il est récolté dans un rayon de 50 Km autours de la distillerie.
Whiskymag.fr : Les prochaines décennies se dessinent comment pour les Menhirs ? Comment vois-tu l'avenir ?
Loig Le Lay : Plutôt optimiste, même s’il y a beaucoup d’incertitudes sur le marché des matières premières ainsi que sur les matières sèches. Les délais de livraison pour nos étiquettes, bouteilles, bouchons, cartons, ont été multipliés par 5 ou 6 et nous essayons de stocker ceux-ci afin de pouvoir vendre nos whiskies. Pour ce qui est du blé noir, le prix de la tonne à date a prévu de passer de 800 € à 1500 € au mois de septembre. Le côté positif, c’est qu’actuellement nous sommes face à un retour du consommer local. Nous communiquons donc sur nos valeurs, notre savoir-faire, nos produits, nous essayons d’être le plus transparent possible.
Whiskymag.fr : Si je te débarque sur une île, pendant 1 an avec ta cornemuse et 3 whiskies au choix, tu choisis ?
Loig Le Lay : Springbank 10 ans : J’adore et pas uniquement pour le côté familial et indépendant. C’est toute la gamme que j’emmènerais.
Hellyer’s Road : Je les ai découverts il y a une dizaine d’années lors d’un salon en Belgique, depuis je suis resté fidèle à la marque et j’ai eu la chance de visiter la distillerie en Tasmanie. Quand tu connais les gens derrière la distillerie, tu comprends mieux le produit.
Penderyn Madeira Reserve : Penderyn est une distillerie qui a démarré au même moment que nous au début des années 2000. Mon père a créé le jumelage entre une petite commune du Pays de Galles et la commune de Plomelin. Autant de références qui me font apprécier ce superbe breuvage.
Je troque ma cornemuse contre un Eddu Brocéliande.
Propos recueillis par Nicolas LE BRUN
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