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Il s’habille de blanc, de rosé ou de rouge et ça lui va bien. Il est né d’une légende et d’un mariage heureux au pays du cognac, là où un talent peut en cacher un autre. De ses terres de vignes gorgées de soleil à ses îles de Ré et d’Oléron, le Pineau des Charentes vous invite au voyage. Allez, on y va !

En route pour l’océan ! Je vous emmène pour une nouvelle déambulation au milieu des vignes charentaises. Cette journée de fin de printemps, chaude et lumineuse, me donne des envies de sable blanc, de fraîcheur et de découverte. Ma route serpente entre les petits chemins blancs avec le vignoble pour seul décor. Ici la lumière baigne tout : la pierre calcaire des maisons et des églises romanes, les champs de blé, les grains de raisin et les hommes dans la vigne. Au détour des villages, quelques pancartes souvent désuètes, invitent discrètement le promeneur à pousser la porte d’une exploitation viticole, le mot domaine à lui seul semble déjà trop ostentatoire… Le pays du cognac n’est pas racoleur, le Pineau des Charentes non plus. Il a pourtant tout d’un grand vin de liqueur dont l’élaboration se fait sagement à l’ombre des grands murs des propriétés charentaises. Le Pineau a le succès modeste, lui dont la notoriété n’est plus à faire. Plus de onze millions de bouteilles de Pineau des Charentes sont vendues chaque année à travers le monde. Une belle réussite pour ce mistel né d’une heureuse maladresse.

L’apéritif au goût de légende

Quelle belle récolte que cette vendange de 1589 ! Tellement abondante qu’un vigneron charentais ne sait plus où mettre son jus de raisin. Il verse alors par mégarde du moût dans une barrique contenant de l’eau-de-vie de cognac. Pas très heureux de sa maladresse, il remise son fût au fond d’un chai, bien contrarié d’avoir “gâché” sa précieuse marchandise. Quelques années plus tard, il redécouvre ce fût oublié et son merveilleux breuvage. Le Pineau des Charentes est né. Sa consommation va rester longtemps confidentielle, familiale et régionale jusqu’à ce que des vignerons se penchent à nouveau sur son berceau. Aujourd’hui, la renommée du premier vin de liqueur d’appellation d’origine contrôlée français dépasse largement les frontières de l’Hexagone. On l’apprécie en France bien sûr (8,6 millions de bouteilles vendues) mais la Belgique est de loin son premier marché export, devant la Canada, les États-Unis, l’Allemagne et la Chine.

Laissons derrière nous l’épicentre du vignoble, les coteaux de Grande-Champagne, les vallons et les collines, les rives du fleuve Charente. Autour de moi, le vignoble se déploie à perte de vue. Partout la vigne profite de ce climat tempéré par la proximité de l’océan. À 95 %, le vin va être distillé et finir dans les assemblages des historiques maisons de cognac mais, là où nous allons, Raymond Bossis en a décidé autrement. À 86 ans, ce producteur de Pineau convaincu taille encore quelques rangs de vigne. Il se réserve les plus anciens, ceux plantés par son père, il y a au moins cent ans. « Ils sont parfaits pour la concentration en sucre et la fabrication du Pineau ». À ses côtés, son fils Jean-Marie voudrait bien reprendre la main sur le rythme de la visite. Seulement Raymond, il a une vie entière de vigneron à raconter. Les crises, la surproduction, les crus du cognac et ses limites géographiques et “politiques”, le Pineau des Charentes bien sûr. « Quand tout le monde a commencé à arracher de la vigne, j’ai continué à planter et j’ai développé mes ventes de Pineau des Charentes. J’ai été un des premiers à commercialiser le Pineau en bouteilles sous mon nom ». Cet homme, descendant d’ouvriers agricoles vendéens venus chercher une vie meilleure en Charente au début XVIIIe siècle, a l’optimisme chevillé au corps. « C’est vrai que nous avons toujours voulu garder une part de liberté », ajoute Jean-Marie, dont la production de cognac et de Pineau vendue sous la marque Raymond Bossis revendique le label des Vignerons Indépendants. « C’est une façon de s’engager, de garantir au consommateur un produit élaboré uniquement à partir des raisins de notre vignoble ». Pour le Pineau le choix s’impose. Le jus de raisin et le cognac doivent impérativement venir de la même exploitation viticole. AOC depuis 1945, le vin de liqueur charentais est un assemblage de moût de raisin et d’eau-de-vie de cognac titrant au moins 60 % et âgée d’un an minimum. « On appelle cette phase le mutage », précise Jean-Marie en rappelant à son père, incorrigible et charmant bavard, que je n’ai pas toute une journée à leur consacrer. À bien y réfléchir, avec l’estuaire de la Gironde tout près, ce microclimat qui booste la température moyenne de 2 à 3° C, les terres de groies de cette enclave argilo-calcaire qui évoquent à s’y méprendre le fameux terroir de Petite Champagne, il y a dans l’air comme une promesse de saveurs qui donne envie de rester plus longtemps. « La masse d’eau de l’estuaire s’évapore et crée une barrière climatologique naturelle. Nos moûts de raisin sont plus fruités et plus sucrés que dans le reste de l’appellation, c’est l’idéal pour la production du Pineau », rappelle Jean-Marie Bossis. Car du Pineau, on en élabore seulement quand la teneur en sucre du raisin est suffisante, cahier des charges oblige.

Le Pineau blanc, l’originel

« À l’origine, le Pineau est blanc. Il est élaboré principalement avec l’ugni blanc, le cépage roi du cognac naturellement acide. Quand j’étais gamin on triait le raisin à la main, pour ne garder que les grains à maturité ». Une pratique oubliée, de nouvelles méthodes de travail et le réchauffement climatique sont passés par là. Le Pineau des Charentes va profiter de la crise des années 1970, de la mévente du cognac et de l’explosion du tourisme sur les côtes charentaises. On se met à planter de nouveaux cépages, exclusivement réservés à la production de Pineau et de vin de pays. Du merlot noir, des cabernets et du malbec dont les jus après macération donneront leur couleur et leur fruité au Pineau rouge et rosé. « Le mutage se fait pendant les vendanges. Le mariage avec le cognac venant interrompre le cycle de fermentation des moûts », reprend le spécialiste. En fin d’élaboration, le Pineau des Charentes affichera un titre alcoolique de 16 % à 22 %. Et ce n’est pas fini. Reste au moût et au cognac à faire intimement connaissance, et pour cela rien de mieux qu’un vieillissement d’au moins dix-huit mois en fût de chêne pour les blancs, douze mois dont huit en fût pour les rouges et rosés. D’autres règles s’appliquent au Pineau vieux et très vieux (voir encadré).

Par Bacchus Dieu du vin, par St Vincent Patron des vignerons, voilà que sonne l’heure de la dégustation. J’ai du soleil dans mon verre. La robe dorée de ce Pineau blanc est teintée de reflets profonds. Le nez est intense, fruité et frais tout à la fois. La fleur de vigne est toujours là avec une pointe de fruit à noyau et de miel. En bouche, ce Pineau est presque à croquer tant il est intense et généreux. Raymond s’était éclipsé un moment. Il revient, un énorme panier de cerises à la main. « Tenez, c’est pour vous, je viens de les cueillir chez ma sœur Simone. Elle a 96 ans, elle conduit encore sa voiture et sans lunettes ». Je vais partir. Déjà… Pour mieux revenir. Cet été pour l’océan, les carrelets et les vignes sur l’estuaire. En début d’automne pour les vendanges. Cet hiver pour la distillation. Et à toutes les saisons pour de nouvelles rencontres. Les Charentes donnent des idées de vacances et une irrésistible envie de Pineau.

Par Christine Croizet

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