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Que les choses soient claires, aujourd’hui, pour réussir, une eau-de-vie nouvellement commercialisée doit se conformer à quatre critères : une qualité irréprochable, bien évidemment, un packaging original, un storytelling irrésistible et une conscience sociale. Le rhum haïtien Boukman répond à tous.

Ce rhum arrangé artisanal traditionnel, qualifié de “botanique”, est demeuré pour l’essentiel inchangé durant des siècles. Mais par l’effet d’un marketing expert et d’un conditionnement sophistiqué, il se trouve dorénavant propulsé à marche forcée dans le XXIe siècle par un entrepreneur fort d’une vaste expérience dans le développement de nouveaux spiritueux. Avec son packaging plutôt cool, Boukman Rhum pourrait facilement passer pour le tout dernier gin artisanal produit en petite série. Ajoutez à cet étiquetage “botanique”, un flacon frappant un grand coup et le fait que les végétaux ayant infusé dans le distillat sont des bois haïtiens, écorces, zestes d’orange amère, quatre-épices, clous de girofle, vanille, amandes amères et cannelle, alors la ressemblance avec le gin sera presque parfaite.

Mais elle s’arrête là. Sa saveur est en effet celle d’un authentique rhum agricole arrangé, un clairin trempè comme l’on dit en Haïti, à savoir un distillat de jus de canne à sucre frais, aromatisé avec des plantes lui apportant des saveurs inédites. L’eau-de-vie provient de deux des meilleurs terroirs de rhum de l’île, les riches champs de cannes à sucre de Croix-des-Bouquets au sud et les champs de cannes du nord autour de Cap-Haïtien, où eut lieu la révolte de Dutty Boukman contre les propriétaires coloniaux français.

Un vent de révolte

Qui donc ?, seriez-vous en droit de demander. Pour aller vite, Boukman était un esclave et prêtre vaudou qui prit en 1791 la tête du soulèvement général des esclaves de cette région de l’ancienne Saint-Domingue. Sa mort au combat face aux troupes françaises ne mit pas un terme à la révolte qui aboutira à l’indépendance de Haïti et à la création du premier État nation libéré de l’esclavagisme, dirigé, fait remarquable pour l’époque, par des non-Blancs et d’anciens esclaves. Sur l’étiquette figurent des mots de la harangue de Boukman.

Ces derniers temps, les choses n’ont pas été pour le mieux à Haïti, mais des produits comme Boukman Rhum expriment une véritable conscience sociale. Adrian Keogh, le fondateur de l’entreprise, ancien cadre de Pernod Ricard aujourd’hui basé à Paris, a pour objectif de reverser une part des bénéfices à des programmes caritatifs qui contribuent à faire progresser la dignité et l’équité dans les communes sucrières, ainsi qu’à l’association Haïti Futur qui ambitionne de développer une éducation de qualité en Haïti grâce aux technologies modernes.

Pour résumer : un packaging dernier cri, un storytelling remarquable, un engagement social et un produit singulier. Mais est-il bon ? Oui, incontestablement. J’irais même jusqu’à dire que c’est le spiritueux récent le plus intéressant que j’ai bu depuis longtemps. Dégusté sec, sur un peu de glace, il est authentiquement très agréable, offrant à chaque tournant des arômes et saveurs aussi mystérieux que singuliers. La seule critique – mineure – que je pourrais faire, c’est la présence de colorant E150, ce qui n’est ni authentique ni artisanal et, à mon avis, plutôt inapproprié pour un produit que les amateurs avertis auront aisément reconnu comme artisanal et de petite série, où une certaine variabilité est inhérente à l’attrait qu’il suscite. Cependant, même si l’entreprise envisagerait de laisser tomber cet additif indésirable, que celui-ci ne vous empêche pas de vous emparer sur le champ d’une bouteille.

Par Ian Buxton

Boukman Rhum haïtien botanique

(70 cl, 45 %) : env. 35 €

Notes de dégustation

Couleur : Paille fanée.

Nez : Étonnamment mûr compte tenu de son âge et de sa force. Sec, épicé et complexe de toute évidence.

Bouche : Sèche sans être amère, bien équilibrée. Notes élégantes de cardamome, cannelle, écorce d’orange, estragon, massepain, myrtilles… et quelques autres plus mystérieuses dont j’ignorais tout auparavant.

Finale : Soutenue, consistante, d’une complexité évolutive.

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