Quatre ans de négociations, entre avancées et reculades, un accord acquis aux forceps… mais cette fois, le divorce est consommé. Depuis le 1er janvier 2021, fin de la période de transition, le droit de l’Union Européenne ne s’applique plus au Royaume-Uni. Un mois après le début de la séparation, quelles conséquences sur les échanges de spiritueux ? Nous avons posé la question à Jean-François Briand, Directeur Général de La Maison Du Whisky. En clair, le scotch whisky, on va le payer plus cher ?
Entre le Covid et le Brexit, c’est tout de même une période mouvementée sur le terrain du business ?
A ce stade, le Covid a plus d’impact que le Brexit. Nous avons rencontré des problèmes de ruptures dans certaines distilleries qui ont fermé pendant le premier confinement, sans oublier la fermeture totale de certains secteurs d’activité (CHR). Les conséquences du Covid ont pris l’ascendant dans nos préoccupations et ont évacué l’inquiétude du brexit, voté en juin 2016. Nous avons travaillé sur plusieurs scenarios de Brexit, connu plusieurs stop-and-go. Nous nous étions particulièrement préparé le vrai-faux Brexit d’Octobre 2019. Mais à ce moment-là, on n’imaginait pas une crise comme celle du Covid.
Quel était l’état d’esprit qui gouvernait alors ?
Les distilleries qui travaillent avec nous craignaient avant tout la rupture, les problématiques de transport. On voyait passer des simulations imaginant des kilomètres d’embouteillage à Douvres. Certaines distilleries, parmi les plus importantes, s’en inquiétaient et demandaient à ce qu’on augmente fortement nos stocks de sécurité.
Mais on a évité le pire ?
Complètement ! Le pire eut été l’instauration de taxes supplémentaires. Or il n’y a pas de taxe supplémentaire. Les droits d’accises, la TVA restent les mêmes, pas de taxe supplémentaire ni à l’import, ni à l’export.
Autre facteur important, le timing a été plutôt favorable ?
Effectivement, la date de début janvier est également plus favorable que lorsque qu’on envisageait un Brexit en octobre 2019. Notre niveau de stocks le plus important, c’est juste à cette période-là : en octobre, nous préparons les ventes de fin d’année. Quand on ajoute des stocks de sécurité supplémentaires, vous pouvez imaginer l’importance des engagements financiers. Le mois de janvier est donc une période plus favorable : les stocks ont diminué, et de ce fait, gérer des stocks de sécurité supplémentaires, c’est moins impactant à ce moment-là.
On annonçait le Chaos après le Brexit sur le front des transports. Selon la WSTA (organisation professionnelle des vins et spiritueux), la situation est plutôt calme pour le moment. Est-ce qu’il est encore un peu tôt pour se prononcer sur les difficultés d’approvisionnement ?
Nous constatons des retards d’approvisionnement qui proviennent principalement, des complexités liées aux contrôles sanitaires (les tests PCR pour les chauffeurs routiers) et depuis peu de la crainte du variant anglais du virus. Autre conséquence du Covid, moins de ferries de tourisme transmanche, donc moins de créneaux pour le fret qui transite via ces bateaux. Les ralentissements provoqués par les nouveaux documents douaniers à présenter sont plus marginaux et se résorbent peu à peu, après les premières semaines de tâtonnement. On a au final constaté en Janvier un rallongement des délais d’importation, jusqu’à deux semaines pour les retards les plus importants.
Quels sont les enjeux de cette sortie de l’Union ?
Désormais le Royaume-Uni est un pays hors Union Européenne. De ce fait, il y a désormais les mêmes obligations réglementaires que si on exporte vers les États-Unis ou le Japon. Ce sont des formulaires supplémentaires, mais comme pour n’importe quel pays hors Union européenne. Pour LMDW, ce n’est pas un challenge technique, nous sommes rodés. Deux personnes s’occupent dans l’équipe de la gestion douanière import/export Nous ne sommes pas cantonnés à l’UE et donc pas de savoir-faire nouveau à acquérir.
Tout n’est pas réglé pour autant…
Non, c’est plus compliqué par exemple, pour l’expédition vers les clients britanniques de notre site whisky.fr. La nouvelle réglementation impose aux vendeurs e-commerce de se conformer en tous points aux règles britanniques et considère que l’obligation de conformité fiscale repose sur le vendeur et ne peut pas être déléguée au consommateur. En clair, notre site whisky.fr doit, administrativement parlant, être à la fois exportateur vers et importateur depuis le Royaume-Uni (immatriculation, collecte et versement des droits d’accises et de la TVA qui sont facturés au client final) et agir comme s’il vendait localement au client final localisé en Royaume-Uni. Tous les sites de e-commerce sont concernés, et particulièrement les sites de vins et spiritueux qui ont doivent collecter des droits d’accises spécifiques aux boissons alcoolisées. Nous travaillons ce sujet avec nos transporteurs, dont certains ont purement et simplement arrêté de livrer le Royaume Uni depuis la première semaine de janvier.
De leur côté les sites de e-commerce britanniques ne vendent plus dans l’Union Européenne pour le moment (sauf quelques exceptions géographiques). Pour les acteurs d’Outre-Manche, ça va être plus compliqué car ils devront se mettre en conformité pays par pays, là où nous avons un sujet uniquement pour le Royaume-Uni.
En termes de logistique et de réglementation, quels sont les conséquences sur les échanges l’Union et le Royaume-Uni, dans les deux sens ?
Post Brexit, entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, il y a toujours des documents douaniers pour accompagner la marchandise (DAE / Document Administratif Électronique) et depuis le 1er janvier, des formalités douanières supplémentaires : les déclarations d’importations et/ou d’exportation. Comme pour n’importe quel pays hors UE.Les producteurs Outre-Manche doivent aussi désormais mentionner sur les étiquettes une adresse de représentation dans l’Union européenne. Car le consommateur européen doit être en mesure de savoir vers qui se tourner facilement en cas de litige. Certains producteurs ont une représentation européenne. D’autres choisissent de porter les mentions de leur importateur local. Comme c’est le cas pour Nikka avec LMDW par exemple.
Quel impact au final pour LMDW ?
L’impact est relativement limité à ce stade. On peut s’attendre à une hausse de coûts d’acheminement en raison des tâches administratives supplémentaires assumées dans la chaîne logistique, mais on parle a priori de quelques centimes par bouteille. Il est encore trop tôt pour le dire. Pour le moment, nos transporteurs ont maintenu leurs tarifications.
Ensuite, il faut relativiser l’impact à l’aune de l’importance des imports UK dans notre activité. En valeur, cela représente moins du quart de nos volumes, car nous importons depuis le monde entier, notamment le Japon, l’Inde, Taiwan, les États-Unis, les Caraïbes, sans parler des spiritueux français, quiprogressent. Il n’y a pas que le whisky dans le monde des spiritueux, et pas que l’Ecosse dans le monde du whisky.
Comment réagissent les distilleries au brexit ?
Elles ont eu le temps d’anticiper les problématiques. Juste après le vote pour la sortie de l’Union, l’épée de Damoclès qui a plané sur les distilleries du Royaume-Uni a concerné surtout leur current business. Depuis un an, cette menace est peu à peu apparue moins floue. Certains ont opté pour l’entreposage des marchandises dans l’Union Européenne, notamment aux Pays-Bas. D’autres ont décidé de maintenir les choses telles quelles. La problématique aujourd’hui reste avant tout logistique. Resticker toutes les bouteilles comme c’est exigé par l’accord pour y porter des mentions de contact dans l’Union, génère un délai de traitement supplémentaire important.
Pour compenser les contraintes dues à ces nouvelles exigences, certains ont décidé une légère augmentation des prix. Il ne devrait donc pas y avoir chez LMDW d’impact sur le prix final, au moins pendant un an. Une fois que tout sera rodé, tout sera plus simple, les producteurs ont jusque janvier 2022 pour s’adapter et se mettre aux normes, et on les aide à le faire.
Par François de Guillebon
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