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Voilà ce qui arrive quand on réserve une chambre trop petite à New York. Remarquez, qui a besoin de sommeil quand les bars de Brooklyn peuvent vous tenir éveillée toute une semaine et plus si affinités ? Oubliez Manhattan, c’est ici que ça se passe.

«On t’a réservé une chambre dans un hôtel capsule : tu achètes un pass de métro et tu rentres dans une semaine avec un dossier sur la distillation à New York. Bon voyage !» Voilà pour le brief de départ – oh pardon, je me répète (lire p.xx). Je l’ignorais à ce moment-là, mais les mots qui méritaient toute mon attention dans ce pitch étaient “hôtel capsule”, alors que moi, bêtement, je faisais des bonds sur le parquet en pensant “distillation, New York”. Fly me to the moon, let me play among the stars ! Et en guise d’alunissage… Un lit queen size coincé entre le mur et la paroi vitrée de la salle de bain, un lavabo si petit qu’il faut se laver une main après l’autre, et le pommeau de douche presque à l’aplomb sur la cuvette des toilettes (écrire à la rédaction si intéressé.e par les photos). Le dressing ? Quatre crochets au mur pour suspendre ses fringues. Design, les crochets. Design aussi, l’hôtel : on est à Williamsburg, Brooklyn, quartier arty-family-hipster autoreverse, deux supermarchés bio et trois yoga centers dans un rayon de 100 mètres, un concept shop voisin qui vend uniquement des sneakers chic, du café et des lunettes. Shoes. Coffee. Eyewear. On mesure mal l’importance des synergies.

Tout ça pour dire : qui a envie de dormir à NYC ? C’était donc parti pour une nuit blanche dans les bars de la ville insomniaque. Une nuit blanche qui allait durer une semaine. «À Brooklyn, va vers Bergen Street, m’avait conseillé Kate Perry, la brand ambassadrice de La Maison & Velier, ancienne bartender aujourd’hui retranchée à New York. À Manhattan, il ne se passe pas grand-chose de neuf, pas de nouvelle énergie. Au bout d’un moment, tu vas te dire : ah, encore un bar sombre avec le même backbar ou alors : tiens, encore un qui veut entrer dans le 50 Best Bars. À Brooklyn, you just wanna have a good time.» Ça sonnait comme les paroles d’une chanson.

Good time in Brooklyn

On s’est donc retrouvés au Clover Club, avec Christophe le photographe, devant un Rye Reaper et un Mr Tangerine Man. Parfait. Juste parfait. Dans une ambiance cuivrée, sous une musique qui ne couvrait pas les conversations animées ni les rires réchauffant la vaste salle et le bar. Tiens, on peut se parler sans s’effilocher les cordes vocales dans les bars new-yorkais. La révélation.

Traverser la rue demande bien des efforts sous la neige et le blizzard de février. En face, le Leyenda, ouvert il y a deux ans, partage deux associés avec le Clover Club, mais un concept très différent : rhum et agave en premiers de cordée, dans une ambiance sans chichi, venez comme vous êtes mais sans le McBacon. La tequila et surtout le mezcal, c’est ce qui est hot à New York depuis cinq ou six temps, mais rien ne m’empêchera de commander un clairin Vaval haïtien, qui arrive dans un verre tulipe à long pied. Pas envie de descendre du tabouret haut, d’autant qu’il fait moins 12 dehors, et je ne parle pas de l’heure. Mais il y a ce truc qu’on appelle la conscience professionnelle, et on s’exfiltre dans les rues enneigées en snobant le métro. Un piège, le métro new-yorkais. Un intestin qui vous digère et vous relâche on ne sait où à la moindre seconde d’inattention : plusieurs stations portent ainsi le même nom sans partager la moindre proximité. Un peu comme si à Paris trois arrêts s’appelaient Les Halles, l’un porte de Clignancourt, l’autre à Montparnasse et le dernier, mettons… aux Halles. Il y a deux stations Bergen Street. On s’est paumés.

Mon Petit Poney ?

Boerum Hill, au Grand Army, on s’installe au long comptoir qui se termine par un bar à huîtres, en sirotant un drink avec vue sur les bivalves contre une voisine instagrammeuse qui shoote son verre à l’iPhone comme si la suite de sa vie en dépendait. Tous les bars à cocktails de Brooklyn servent des huîtres, l’équivalent de la cacahuète à New York, qui fut jusqu’au XIXe l’un des plus gros producteurs mondiaux du mollusque. L’endroit est magnifique, les cocktails de haute volée, et la cuisine qui nous passe sous le nez semble renversante – mais on a décidé de mon commun accord de miser tout le budget sur le liquide. En ouvrant, en 2015, le Grand Army entendait développer un concept gastro-cocktails, mais la clientèle a fait comprendre qu’il fallait rabaisser d’un ton, restons simples, ce qu’il nous faut c’est un bar de quartier. Et à New York, les bars écoutent les clients. Je sais, c’est révolutionnaire quand on arrive de Paris ! La carte éphémère inspirée de la série Gilmore Girls et le cocktail thème Mon Petit Poney (Je. N’invente. Rien) ont été pardonnés : tout le monde a droit à son quart d’heure de folie à New York, on n’arrêtera pas la pendule pour si peu.

À quel moment ai-je abandonné l’idée d’un papier sur les best bars new-yorkais pour rester sur Brooklyn ? «Tu as raison, c’est une bien meilleure histoire à raconter, me conforte David Wondrich devant un Martini gin au Robert, à Boerum Hill (lire p.xx). Brooklyn est devenu le gouvernement en exil de Manhattan : plus personne ne peut s’offrir Manhattan, tout le monde a déménagé ici.» Par la suite, lors de chaque interview, invariablement mon interlocuteur me demandera : «Oh, tu as vu Dave ? Il t’a emmenée où ? Il t’a recommandé quels bars ? He knows all the places.» «Dave» conseille le Clover Club (check), le Leyenda (check), le Grand Army (so far, so good), le Sweet Polly, le Long Island et le Brooklyn Inn – pas un bar à cocktail, celui-là, mais un dive bar, le plus ancien de Brooklyn. Dernier métro avant la fin du monde. Tous les soirs à 22h45 et le dimanche, Brooklyn redevient la pointe ouest d’une île, Long Island, reliée au reste de la Pomme par ses ponts, mais plus par ses tunnels. Le subway s’arrête alors, et dans le ventre de Métropolis les ouvriers turbinent. Sandy, l’ouragan qui a ravagé la côte est en 2012, a salement amoché le réseau sous les inondations et New York panse encore ses plaies la nuit.

Bar de quartier

Vu l’heure avancée, le Long Island fait le plein, plus une place pour s’accouder au long bar qui, sous les lampions, traverse toute la salle devant les booths aux tables en formica. Ambiance dinner, bar de quartier, décontracté, drinks pointus, un Gimlet s’il vous plaît. Une institution, le Long Island, depuis plus d’une soixantaine d’années, repris en 2013 par Toby Cecchini, créateur du Cosmopolitan qui vient d’ouvrir le Rockwell 31 sur Rockwell Place (pas de nom sur la porte, juste une sonnerie et une trompette qui se balance en enseigne). Et tiens, qui aperçois-je ? Toute l’équipe de Nikka, venue du Japon pour la soirée 50 Best Bars. New York est un village, Brooklyn est un quartier. «Nous sommes juste un bar de quartier» est d’ailleurs la phrase que j’entendrai le plus dans cette vadrouille nocturne.

«Oh, les gens adorent dire ça ! s’amuse Robert Simonson, journaliste drinks du New York Times (lire son interview p.xx) attablé au Clover (again) devant un Old Fashioned mi-bourbon, mi-rye. C’est souvent vrai, d’ailleurs. C’est avec la clientèle de quartier qu’un bar a le plus de chances de survivre à long terme, lorsqu’il devient moins à la mode. À Brooklyn, on aime être relax, rester dans son quartier, on aime pouvoir s’asseoir, pouvoir parler et s’écouter, venir en famille. Rien à voir avec la vie nocturne de Manhattan.» J’adore ce concept de bar à cocktails de quartier, où toutes les populations se mélangent, tous les âges, tous les looks, tous les styles, avec une préférence pour le décontracté (pas le casual chic parisien, non, le décontracté cool – à deux doigts de proposer à Whisky Mag une rubrique mode). Comme dans les pubs londoniens, mais devant des drinks au cordeau.

Un dollar l’huître, sélection de mezcals plus longue que le bar, et même en jouant des coudes, pour une fois on ne pourra s’asseoir. Sweet Polly, ouvert il y a deux ans, est un lieu ravissant qui sert des drinks mortels. In english : to die for. Vraiment. Plus petit que la moyenne, plus bruyant également. Au Glady’s, dans le quartier caribéen où nous traîne Kate Perry en Über, on vient pour la jerk food jamaïcaine tout autant que pour la carte de rhums, et on s’entasse autour des grandes tables communes. Et comme, évidemment, on a raté le métro de 22h45 depuis belle lurette, c’est en marchant qu’on tombe sur le Brooklyn Inn, sublime établissement XIXe aux boiseries insensées. Ambiance années 40-50, sous les vieux ventilos qui brassent l’hiver et refoulent la chaleur, on sert dix bières pression, des Gin To et des Martinis en écoutant du blues. Encore des Martinis. Partout. C’est quoi, ce tropisme new-yorkais du Martini ? «Je pense que c’est lié au climat politique, répond Robert Simonson, qui en a fait l’objet de son prochain livre. Quand les conservateurs sont au pouvoir, les gens boivent plus de Martinis, don’t ask me why.» De grâce, j’insiste. «Ça fait partie des valeurs américaines, au même titre que la tarte aux pommes, se marre-t-il. Et puis… les gens ont besoin de boire des drinks plus forts quand les temps sont durs !» Les temps sont durs, retour dans la capsule. Quand la chambre est petite, la liste des bars s’allonge (proverbe new-yorkais). La prochaine fois, j’aurais sûrement droit à une suite.

Par Christine Lambert

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Arrêts obligatoires

La plupart des adresses du moment se trouvent à Boerum Hill, de loin le quartier le plus dynamique de la scène cocktails – c’est également celui où vivent les journalistes paresseux qui n’ont qu’à faire trois pas pour écrire sur un bar, me dit l’un d’entre eux !

• Brooklyn Inn

Le plus vieux bar de Brooklyn. Avec son bar immense et ses alcôves lambrissées. 148 Hoyt St.

• Clover Club

Le meilleur du cocktail classique dans un lieu où on respire. Old Fashioned à tomber. 210 Smith St.

• Glady’s

Taverne jamaïcaine, jolie carte des rhums et jerk food à se partager. 788 Franklin Ave.

• Grand Army

Un must. Cocktails parfaits, bar à huîtres, et ce qu’il faut de dégoupillage. 336 State St.

• Leyenda

Tequila, mezcal et rhum first ! Excellente cuisine dans ce bar latino. 221 Smith St.

• Long Island Bar

Indispensable halte dans une ambiance dinner rétro. 110 Atlantic Ave.

• Maison Premiere

Le meilleur bar à huîtres de Brooklyn et parmi les meilleurs Martini de New York, dixit Robert Simonson. 298 Bedford Ave.

• Reynard

Le bar-restaurant de l’hôtel Whyte, à Williamsburg. Surtout renommé pour sa cuisine et son décor (une ancienne usine). Belle carte de vins nature et classiques du cocktail.

• Robert Bar

Bières locales et classiques du bar dans une ambiance boule à facette. 104 Bond St.

• Rockwell 31

Le nouveau speakeasy (une rareté à Brooklyn) de Toby Cecchini (du Long Island). Vient tout juste d’ouvrir. 31 Rockwell Place.

• Sweet Polly

Food & cocktails. Réservation hautement recommandée. 71 6th Ave.

• The Shanty

Drinks avec vue sur la distillerie NY Distilling Co, à Williamsburg. 79 Richardson St.

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