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Y a-t-il une vie en dehors de la Caïpirinha ? Une question à laquelle tentent de répondre les bartenders depuis quelques années seulement. Car hormis son cocktail iconique et ses batidas fruitées, le cocktail à base de cachaça n’a pas vraiment d’histoire. Un pur produit de la mixologie 2.0, comme celui au mezcal.

Dans l’univers cocktail, il existait un tiercé de perdants magnifiques : cachaça, pisco et rhum agricole. Durant des années, ces trois spiritueux n’ont existé sur le territoire mixologique qu’au travers d’une seule incarnation : Caïpirinha, Pisco Sour et Ti-punch. Ces trois boissons mélangées de la famille des Sours les ont en effet malheureusement totalement vampirisés en devenant trop iconiques pour laisser quoique ce soit d’autre exister. Razzia sur la carte cocktails ! Bien que le pisco connut son heure de gloire dans l’édition révisée du Bartender’s Guide de Trader Vic en 1972, force est de constater que l’utilisation élargie de ces trois spiritueux est principalement issue de la nouvelle vague cocktail, soit une dizaine d’années, quinze tout au plus donc. On note d’ailleurs au passage que la cachaça ne figurait pas au sommaire du livre de l’inventeur du Mai Tai pourtant connu pour être un grand amateur d’eaux-de-vie de canne à sucre. Rien d’étonnant à cela, les 70s furent la décennie durant laquelle la cachaça commença lentement à franchir les frontières du Brésil et ce grâce à une boisson mélangée localement depuis la fin du XIXe siècle : l’omniprésente Caïpirinha.

En finir avec la Caïpi

Difficile en effet de faire plus simple et efficace que la Caïpirinha et ses trois ingrédients que sont la cachaça, le citron vert et le sucre. Il s’agit tout simplement d’un summer drink idéal dans toute sa dimension blockbuster : facile à faire, facile à boire, facile à twister (toutes les déclinaisons fruitées y sont passées, de la fraise au kiwi) et pour ne rien gâcher, il invite en plus au voyage. Bingo ! On ne fut donc pas surpris de voir les grands novateurs du marketing le reprendre à leur compte au même titre que le Mojito. Après tout, cela avait bien fonctionné avec sa version à la vodka, la bien nommée Caïpiroska. Le succès planétaire de la Caïpirinha, entrée dans la liste de l’International Bartenders Association (IBA) en 1994, a néanmoins son revers de la médaille. Si elle a fait connaître la cachaça au grand public (pour peu que celui-ci se souvienne du nom de l’eau-de-vie brésilienne) et hors de son pays d’origine, elle a aussi contribué à ne la faire exister que par elle. L’arbre qui cache la forêt, ici dans toute sa splendeur amazonienne. Il est en effet frappant de constater que la cachaça n’est mentionnée nulle part dans l’index de la Bartender’s Bible de Gary Regan aux débuts des années 1990 ou dans celui de The Craft Of The Cocktail de Dale DeGroff au début des années 2000 alors que la Caïpirinha, elle, l’est. C’est d’ailleurs le seul cocktail à base du spiritueux brésilien figurant dans ces ouvrages influents à leurs époques. À se demander si ce cousin du rhum agricole ne serait finalement bon qu’à faire des Caïpis. La cachaça, c’est un peu cet acteur connu pour un seul rôle et dont personne ne connaît véritablement le nom. Tel Mark Hamill a.k.a Luke Skywalker dans Star Wars.

Batida

Paru à la même époque que la Bartender’s Bible de Regan, le livre American Bar de la légende du bar allemand Charles Schumann est lui loin d’être aussi silencieux au sujet de la cachaça. On y dénombre onze cocktails s’en servant comme base, soit quatre de plus que ceux figurant déjà dans son Tropical Bar Book paru en 1989. L’une des raisons pour laquelle la cachaça figure de façon non anecdotique dans le livre d’un bartender allemand est peut-être à aller chercher dans le fait que le sud du Brésil connut une forte immigration allemande par le passé. Chez Schumann, on tombe bien sûr sur la Caïpirinha mais aussi sur les Batidas, ces cocktails également natifs du Brésil très portés sur les jus de fruits tropicaux (coco, papaye, ananas…). C’est pop et frais. On en a rencontré au Dirty Dick ou plus récemment au Monfort à Rennes, enrichis au basilic. Page 80, on se retrouve à Copacabana, cliché eighties à base de cachaça, papaye, crème et sirop de chocolat inventé par l’auteur en 1986. On conservera toutefois davantage le Pepe avec lequel Schumann démontrait en 1984 que cachaça et tequila forment un joli binôme aux notes végétales, agrémenté ici de cordial lime, jus de pamplemousse et trait de triple sec. Un drink estival qui fonctionne encore très bien de nos jours et fut d’ailleurs mis à la carte du Grazie par Oscar Quagliarini il y a quelques années.

Tropicalité

Le Pepe offre également une échappatoire aux cocktails tropicaux dans lesquels on cloisonne volontiers la cachaça et plus généralement le rhum. Dans le monde du bar, les clichés sont parfois tenaces. Les noms de cocktails à base de tequila ou de mezcal ont une résonance forcement hispanique, les rhums flirtent souvent avec l’ananas, le fruit de la passion ou la noix de coco, etc. On se souvient ainsi d’un Mazarini do Brazil (cachaça, fraises fraîches, sirop de fruit de la passion maison, rose et raspberry cordial, citron vert et champagne) au Prescription Cocktail Club en 2011. Au By Coss à Montpellier, on trouve d’ailleurs un drink qui s’appelle La Noix De Coco Fraîche (cachaça, eau-de-vie de noix de coco, eau de coco fraîche, mélange d’agrumes maison, sirop vanille-poivre maison et thé Bergamote fumé) mais aussi un Brocanteur Punch et son mix de cachaça infusée au bois palo santo, rhum épicé, jus de citron vert, jus d’ananas, Aperol, sirop de grenade et Ta’Aroa maison. Outre Atlantique, Jeffrey Morgenthaler s’y adonna lui aussi avec sa Batida Rosa (cachaça, jus d’ananas, jus de citron jaune, grenadine et eau gazeuse). Il essaya néanmoins de sortir la cachaça de ce registre en 2008/2009 avec le Caneflower, un drink sec et doux mêlant cachaça, Aperol et liqueur de sureau ou un plus détonant Que Calor à base de cachaça, sirop trois épices (cannelle, clou de girofle et anis étoilé), jus de citron jaune et jus de pomme.

Pom pom pi doo

Ce bel accord pomme/cachaça, on l’a rencontré fréquemment à Paris que ce soit au Pasdeloup avec le princier When Doves Cry (cachaça, sirop de pomme Royal Gala, xérès amontillado, estragon, citron, vin pétillant), à la Candelaria avec El Caipora (cachaça infusée au beurre noisette, Blanche de Normandie Christian Drouin, Velvet Falernum, sirop de banane, citron vert et BBQ), au Mary Céleste avec El Ceibo (cachaça infusée au maté, Blanche de Normandie Christian Drouin, citron vert, soda water) ou encore au récent Combat avec le duo gagnant Rosie & Roger (cachaça infusée au foin, liqueur de mastiha, sirop cru de pomme Granny Smith, jus de citron vert, blanc d’œuf, Chesapeake Bay bitters). Pour parfaire le rayon infusion maison et pomme, on signalera enfin le Woody Wood où se côtoie cachaça infusée à la noix, calvados, Bénédictine et orange curaçao du Maria Loca, le premier bar à cocktails-cachaceria de Paris ouvert en 2012 par Michael Landart. On ne saurait que trop vous conseiller d’aller faire un tour dans ce très sympathique bar. Vous pourrez également y trouver l’efficace Maria Kuya (cachaça, sirop d’orgeat maison, citron vert, jus de passion et basilic). Pendant que vous êtes dans le quartier, vous pouvez aussi passer au Sherry Butt et demander ce qu’est un Nissei. En dehors du cocktail à base de cachaça, saké, sirop d’ananas, eucalyptus, citron jaune et poivre Andaliman inscrit sur le mur noir au-dessus du bar.

La queue du coq

On ne peut que constater que si l’utilisation de la cachaça en cocktail se cantonnait trop souvent à la seule Caïpirinha il y a encore vingt ans, la nouvelle vague cocktail a définitivement rompu ses chaînes. En témoignent encore le Pacman (cachaça, feuilles de Moringa, tournesol, pandan, citron vert et rooibos) ou l’Elvis Parsley (Banana Justino à la cachaça et au rhum de la Barbade, sirop de persil maison, absinthe et citron vert) inventés par Thibault Méquignon au Danico à Paris. Malgré ce nouvel engouement, certains bartenders brésiliens souhaiteraient voir un autre cocktail à base de cachaça inventé dans leur pays devenir un classique. Ils ont ainsi fait resurgir un Negroni local et vintage nommé le Rabo de Galo dont la petite histoire et surtout le nom semblent trop beaux pour être vrais. Le Rabo de Galo dont la traduction n’est autre que queue de coq (soit « cock tail » en anglais) aurait été inventé par la marque de vermouth Cinzano venue s’implanter à São Paulo dans les années 1950 au Brésil. À l’origine composé à moitié de vermouth rouge et moitié de cachaça, le drink aurait évolué avec l’ajout de l’amer italien à base d’artichaut Cynar suivant les régions. Cachaça + vermouth rouge + Cynar = un joli Negroni twisté à la mode brésilienne. Cachaça et amer italien ? Cela nous rappelle aussi quelques drinks rencontrés sur le Vieux continent comme notamment le Pink As Lime (cachaça, Velvet Falernum, jus de citron vert et soda San Bitter) créé par Xavier Lusso au Curio Parlour, le Your Mate (cachaça, Amaro Averna, jus de citron jaune et de pamplemousse, orange bitters, sirop de thé yerba mate et citron verbena, eau gazeuse) à l’ECC Chinatown ou encore le Fogo E Inferno (cachaça, Dolin Bitter, grenadine bio vanillée, jus d’orange et de citron vert frais, Fire & Damnation bitters, ginger beer) chez Joseph Akhavan et son cocktail Den Mabel. L’histoire de la cachaça sur le territoire mixo, et ce plus encore depuis la plus large diffusion de ces expressions vieillies, s’écrit donc plus que jamais aujourd’hui et son futur semble loin d’être amer.

Par Gaylor Olivier

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