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Port Ellen, Rosebank, Brora… Plus moyen de mourir peinard dans l’industrie du scotch, où les légendes sont ramenées à la vie les unes après les autres. Alors je pose la question : est-ce bien raisonnable ?

S’il est une religion où la mort est bien moins définitive que le concept ne le laisse entendre, c’est bien celle du whisky, bien nommée « eau-de-vie » où les cas de résurrection abondent, à en ridiculiser les fêtes pascales. Particulièrement en Ecosse, terre sacrée où les miracles se multiplie plus sûrement que les petits pains. Même la destruction physique des murs et la dispersion des équipements ne garantit pas que dans un avenir incertain une distillerie crucifiée n’y reviendra pas à la vie.

Tenez, en ce moment, posts et articles pleuvent sur la réouverture de Port Ellen (décédée pendant 40 ans) et, dans une moindre mesure, de Rosebank (30 ans de mort cérébrale). Au plus fort de l’épidémie de covid, la résurrection de Brora avait elle aussi mangé du réseau et du papier.

On ne veut plus laisser les morts disparaître pépères, en paix, en se contentant de les maintenir en vie dans la clarté de nos souvenir. Je me sens un peu seule sur le coup, mais la nostalgie à haute dose m’ennuie. Et l’industrie du whisky – des spiritueux dans son ensemble – en abuse. La remise au goût du jours de vieilles marques de blends oubliées, la palingénésie des distilleries me semblent une paresse de l’esprit, une facilité de communication, une dispense de créer. On n’invente plus : on fait du neuf avec du vieux

Faire du neuf avec du vieux

En ces temps chahutés, je comprends la quête de valeurs rassurantes, le besoin de sortir les mythes du placard, l’envie de récits et d’histoires anciennes qui ont bercé les générations précédentes, comme un fil qu’on tire. Et plus encore l’excitation de voir la laissée pour compte prendre sa revanche, la distillerie réduite à errer en fantôme parce que la crise, parce que la surproduction, parce que les goûts changent, et qui soudain se voit offrir une nouvelle chance.

Mais l’envie de goûter ce qui sortira de Port of Leith ou Holyrood, de Maison Lineti ou The Cairn, de Portintruan ou Witchburn  me titille davantage que les reboots des vieilles légendes.

Sur les réseaux sociaux, un whiskyphile pestait contre l’abus de “l’utilisation des noms patrimoniaux dans le whisky”. En résumé : quelle arnaque, puisque les distilleries tirées du sommeil à l’électrochoc repartent de zéro, avec des équipements neufs, des bâtiments différemment conçus, des concepts nouveaux parfois – Port Ellen, whisky de blenders dans sa première vie, devenu culte après sa mort, revient à la vie pour embouteiller des single malts ultra premium. Bref, on garde le nom et on vire le reste.

Sauf que. Pas une seule distillerie ne donne à goûter un whisky immuable qui n’aurait jamais changé. Pas une seule n’a gardé les équipements d’origine. Et là, le déclic. Les distilleries ne meurent jamais. Ou pas tout à fait. Ou seulement temporairement. Et pas en Ecosse de toute façon. Toutes les plus anciennes, nées aux XVIIIe ou XIXe, ont un jour ou l’autre fermé leurs portes. Et sont reparties de zéro.

Benriach, morte pendant 65 ans

Aberlour a pris feu, Ardbeg a connu le mode on/off une moitié de sa vie, Auchentoshan se prit une bombe sur le museau lors d’un raid aérien, Balblair déménagea, ferma pendant 40 ans dans la première moitié du XXe – autant que Port Ellen. Trois ans après sa naissance, Benriach fut débranchée pendant 65 ans, les cuivres n’avaient pas eu le temps de s’user. Benrinnes sombra dans les inondations et fut plus tard reconstruite ailleurs, Benromach passa en mode silence pendant 15 ans, Bladnoch déménagea 60 ans après fondation, Blair Atholl changea de nom, tira le rideau, revint à la vie.

Bruichladdich multiplia les fermetures, Caol Ila fut entièrement reconstruite à 2 reprises, et rééquipée par la même occasion. Cardhu s’offrit une nouvelle distillerie en 1884, Clynelish… Oh, Clynelish. La belle des Highlands passa par toutes les avanies – on/off, reconstruction, changement de nom. Dailuaine s’écroula sous l’assaut d’un incendie, Dalmore explosa : pendant la Première Guerre mondiale, la Royal Navy réquisitionna les lieux pour y fabriquer des explosifs, et boom !, la distillerie.

Dalwhinnie prit feu en 1934, fut complètement refaite début années 90, Fettercairn mit la clé sous la porte pendant près de 30 ans au début du XXe), Glenburgie ferma, changea de nom, ferma, ferma, fut reconstruite, Glendullan fit peau neuve dans les sixties, avant qu’une nouvelle distillerie ne prenne la place de l’originale juste à côté dans les années 70.

À Glenturret, mourrir peut attendre

Glenglassaugh ferma, rouvrit, ferma, rouvrit, ferma, rouvrit (**bâillements**), mais il semble presque qu’elle commence seulement à vivre depuis l’automne dernier avec le lancement d’une gamme à sa mesure. Glengoyne changea de nom, subit une réfection complète, Glengyle fut renvoyée au statut de fantôme et retapée 80 ans plus tard.

Glenmorangie fut reconstruite à 2 reprises, Glenrothes prit feu puis explosa, Glen Spey se contenta de flamber avant d’être rebâtie, Glenturret roupilla près de 40 ans avant sa relance en 1959. Mieux ? Jura comata plus de 60 ans ; ça y est, elle est morte, ah non, ce sera pour une autre fois. Vingt ans de silence pour Old Pulteney, reconstruite en 1958. Springbank ferma à moult reprises (Campbeltown est un nid à fantômes), Tamdhu se tut pendant 20 ans, Tobermory pendant 4 décennies au XIXe, et à plusieurs reprises au XXe)…

J’en passe et j’en oublie dans la liste. La crise des années 20 (durant les Prohibitions) puis celle des années 80-90 (le Whisky Loch) ont semé les fantômes en Ecosse. Alors, si la loi du marché vous fait fermer une distillerie, on ne voit pas pourquoi elle ne vous la ferait pas rouvrir quelques décennies plus tard contre la promesse d’un juteux profit. Car s’il y a mille raisons de tuer une distillerie, il n’en existe qu’une seule pour la réanimer. Le grisbi.

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