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Bien plus qu’un simple master distiller, il dirige toute la production de Woodford Reserve, l’une des rares distilleries de bourbon à opérer des alambics pot stills écossais. Et ses partis pris novateurs ont grandement contribué à faire de cette petite maison du Kentucky appartenant au géant Brown Forman (Jack Daniel’s) l’une des plus intéressantes à suivre.

 

» En relançant Woodford Reserve, on pensait distiller uniquement dans nos alambics pot stills. Mais il s’est finalement avéré qu’on obtenait le résultat parfait en assemblant des whiskeys distillés en colonne et en pot still. Alors on est restés sur cette base. Nous sommes les seuls à fabriquer ainsi.

» Sous prétexte que la distillerie est au Kentucky on ne devrait faire que du bourbon ? Says who ? Woodford Reserve, c’est le berceau de l’innovation. Nous avons été les premiers à produire les quatre types de straight whiskeys : bourbon, rye, wheat, malt. On a lancé des finishes en fûts de chardonnay, de pinot noir, de porto, de xérès… En bois d’érable ! Les amateurs en redemandent. Le Baccarat, affiné trois ans en fûts de cognac et sorti en édition travel retail, intégrera la gamme permanente dès cette année en raison de son succès.

» Si dans le finish je ne sens pas Woodford Reserve, alors ce n’est pas un finish mais du maquillage. Je ne recherche jamais des arômes supplémentaires en procédant à un affinage : je veux souligner, accentuer certaines notes qui existent déjà dans le whiskey. Le fût de chardonnay par exemple apporte des touches de pomme, de poire, de citron, alors que le pinot noir donne du chocolat, de la cannelle, du poivre noir, des baies noires. Autant d’arômes que le bourbon partage avec ces cépages. Je n’ai aucune envie de retrouver dans le whiskey des notes étrangères : les maturations en fûts de tequila ne m’intéressent donc pas.

» Pour réussir un finish, il faut faire dans la dentelle. Quand on utilise d’anciens fûts de cognac, on table au minimum sur trois ans de vieillissement supplémentaire. Avec des tonneaux de vin blanc, le finish doit rester très court, trois mois tout au plus, et je ne remplis le fût qu’à moitié car ces cépages sont délicats, le bourbon a tendance à les écraser. Dans des tonneaux de vin rouge, on pousse de douze à vingt-quatre mois. D’une manière générale, je choisis des barriques de vin très usées : le bois ne donne pas beaucoup – inutile, le bourbon a déjà pris ce qu’il fallait en vieillissant en fûts neufs -, c’est le vin épongé dans les douelles qui apportera ses arômes.

» Keep it simple, stupid ! Au début, je variais une multitude de paramètres dans mes essais. Aujourd’hui, la seule variable sur laquelle je joue est le mash bill, autrement dit les proportions des différents grains – maïs, seigle, blé, malt… Mais la fermentation, la distillation, les proportions distillat de colonne et de pot still dans l’assemblage restent toujours les mêmes, quel que soit le whiskey. J’ai mis du temps à le comprendre, mais c’est la simplicité qui donne de la complexité.

» Les céréales nous offrent un terrain de jeu extraordinaire et encore peu exploité. Presque tous les bourbons ont pour base le maïs jaune. À Woodford Reserve, nous avons testé le maïs rouge et le maïs blanc, avec des résultats incroyables, et nous allons bientôt tenter le maïs bleu. On souhaiterait réintroduire la culture du seigle au Kentucky, mais il faut pour cela isoler des souches adaptées au climat local. Avec l’aide d’une spécialiste polonaise, nous avons sélectionné trois variétés de seigle d’origine européenne, qui n’ont jamais été utilisées dans l’industrie : le Gato, le Brasso et le Bruiso. Quatre fermes les cultivent pour nos essais, mais les plus vieux distillats ont un an et demi seulement. Patience.

» Le blé est la moins aromatique des céréales. Mais il apporte du sucre. Et les esters créés lors de la fermentation ressortent davantage car ils ne luttent pas avec les arômes du grain. D’où le fruité très marqué des whiskeys de blé.

» Une chose que peu de gens savent : Woodford Reserve fut la première distillerie aux États-Unis à se mettre au service de l’effort de guerre, lors du second conflit mondial. Tout juste 21 jours après Pearl Harbour, elle s’est convertie à la production d’alcool pour munitions. Une autre chose qu’on ignore en général : la distillerie a produit son premier wheat [whisky de blé] en 1944. Mais il n’est jamais sorti : il a été vendu à un blender ! Quant à savoir ce qu’il a pu en faire…

 

PAR CHRISTINE LAMBERT

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