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Le télétravail prend une couleur très particulière quand vous passez le plus clair de la journée à humer et goûter des spiritueux, entouré d’hostiles invisibles : vos voisins.

 

La fraîcheur de la canne à sucre, la douceur de la mangue-citron, une discrète trame végétale… Je prenais sereinement les alizés en savourant le Bio de Bologne, quand soudain : cacao tonitruant, amandes grillées, caramel chaud… Des arômes rarement associés au rhum blanc de Guadeloupe m’ont percuté en force les narines, avec un sadisme tentateur dont l’origine ne laissait pas le moindre doute. Gâteau au chocolat. Ma voisine du dessous se défoulait sur la pâtisserie.

On reconfine. Et pour l’infime minorité inutile de la population qui, comme moi, télé-travaille avec son nez dans un petit appartement parisien, la traque aux senteurs intempestives se mue en obsession de chaque instant. Quand je croise mes voisins dans l’escalier, je mets des visages sur les parfums.

J’habite un immeuble encore populaire, voyez-vous, où l’on croise assez peu les prolétaires algorythmés d’Uber Eats. Les résidents cuisinent, les effluves ne trompent pas. A tous les étages, ça mitonne, ça mijote. Et qu’est-ce que ça sent bon ! Pourtant, les ragoûts du rez-de-chaussée, les curries du 5e, les crevettes à l’ail et la friture du 6e, le moelleux cacao les jours de déprime sont devenus mes ennemis de confinement midi et soir.

 

Le charme vraiment très discret des labos de blending

Pour déguster objectivement des eaux-de-vie, notamment dans un cadre professionnel, il faut autant que possible éviter les parasitages de l’environnement, tout ce qui peut distraire vos sens, à commencer par l’olfaction et la vision. Cela ne vous a sans doute pas échappé : les eaux-de-vie semblent toujours meilleures quand on les goûte dans les chais au cul du fût, ou dans les jardins de la distillerie. Les petits embouteilleurs habitués à sélectionner des barriques prélèvent donc toujours des fioles pour déguster de nouveau chez eux loin de la magie des vieux dunnages.

Pour la même raison, les laboratoires des grands blenders, où s’entassent les fioles et les éprouvettes graduées, possèdent en général le charme d’une salle s’attente de gynécologue dans l’URSS de Brejnev. Murs nus, peintures neutres, lumière crue, mobilier tristement fonctionnel. Rien ne doit détourner l’attention du maître-assembleur penché sur ses échantillons.

Quand on déguste à domicile, et qu’on ne peut s’offrir le luxe d’une pièce dédiée, déguster c’est renoncer. Jamais de fleurs, pas de bougies parfumées, pas d’encens, pas de tabac… Déjeuner froid des jours d’affilée (passion sardines en boîtes) lorsque le bouclage d’un bouquin l’exige. Faire une croix sur le curry, les poêlées à l’ail, le chou qui s’accroche aux peintures pendant des jours. Vivre les fenêtres ouvertes – paraît qu’on marque des points en période épidémique. Et quand les voisins s’allument une clope sur le balcon à côté, on pige qu’il est temps de ranger les verres tulipes.

 

Quand les Conventions de Genève encadrent les dégustations

On apprend à reconnaître le goût du nouveau fluide hydratant qui dépose un film salin sur les lèvres (j’ai un temps cru que c’était la finale du tout premier Rice Whisky de la Distillerie de Paris. Vous avez goûté ? Vous devriez <3 <3 ). On évite la crème sur les mains massacrées par le gel hydro-alcoolique (âge ressenti de mes dextre et sénestre : 104 ans depuis mars 2020), puisque son parfum domine dès qu’on approche le verre du nez. On abandonne l’eau de toilette avant les dégustations – les collègues qui se pointent aux tastings généreusement aspergés (les hommes plus souvent que les femmes, si je puis balancer), il m’est arrivé de vous souhaiter des plaisirs encouragés sous l’Inquisition mais fermement réprouvés par les Conventions de Genève – traités rédigés par des wokes.

Depuis deux ans, je remets à des lendemains plus nonchalants le rafraîchissement de mon intérieur : les travaux d’enduit + peinture – fût-elle à l’eau – vous colmatent les récepteurs olfactifs plus durablement que les fissures du mur. Sauf que mon voisin de gauche n’attendait que le printemps pour sortir les rouleaux et la Valentine.

Manque de pot, je profite de ce confinement “dedans avec mes fioles, dehors avec mon masque” pour réactualiser le Guide Hachette des Rhums, plus de 200 nouveaux jus au compteur. Si Neisson Profil 107 sent le curry vert, que Dictador XO Perpetual a des arômes de Tollens monocouche, et Bologne Bio des notes de fondant choco, vous saurez d’où vient le bug : ne faites jamais confiance aux notes de dégustation !

Par Christine Lambert

 

 

 

 

 

 

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