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C’est dans un ancien prieuré du XIIe siècle, que la famille Tesseron, aux commandes du cognac du même nom (et de Pontet Canet, le Pauillac racheté en 1975) élève des eaux-de-vie fabuleuses. Christine Croizet a poussé les portes de ses chais héritiers d’une belle tradition familiale et artisanale.

Si on m’avait dit les trésors d’eaux-de-vie cachés derrière les murs de la maison Tesseron, j’en aurais poussé la porte bien plus tôt. À cheval sur la Grande et la Petite Champagne, les plus beaux terroirs du cognac, cette affaire de famille, terrienne avant tout, est unique en son genre. C’est d’abord un changement de flacon qui a attiré mon attention. La gamme Classique, fer de lance de la marque, passe en carafe. Mélanie Tesseron est une jeune femme pressée et très occupée. Quand elle me reçoit enfin, elle va à l’essentiel : la production. Le packaging on verra plus tard. Elle a repris le flambeau de la maison fondée par son arrière-grand-père Abel en 1905. Elle travaille aujourd’hui aux côtés de son oncle Alfred et de sa cousine Justine, partageant son temps entre Pontet-Canet, le château de Pauillac acheté par son grand-père en 1975, et Châteauneuf-sur-Charente, le site historique.

L’important c’est l’âme d’Abel, le fondateur. Direction la distillerie où je retrouve Romain Martial, le maître de chai. Une discrète plaque marque l’entrée de ce temple des arômes. Elle ne laisse rien deviner de l’incroyable héritage abrité par les larges murs de l’ancien prieuré du XIIe siècle. «Abel Tesseron avait une vision très personnelle du cognac. Viticulteur, Il s’est installé comme négociant. Il a construit la réputation de la maison en investissant ses économies dans l’achat de cognacs de Grande Champagne longuement vieillis, fort prisés des grands noms du cognac», raconte en préambule Romain Martial. Ce passionné a le cognac dans le sang, comme son père avant lui auquel il a succédé il y a cinq ans comme maître de chai.

L’exception Folle Blanche

Tout est dans la vision d’Abel Tesseron. Moderne et insolite à la fois, elle n’a pas pris une ride. Il faudra évidemment mettre le nez et le gosier dans les fûts pour s’en convaincre. Les eaux-de-vie de la maison Tesseron se démarquent de tout ce que j’ai pu déguster jusqu’à ce jour. Ici, du haut de leur grand âge, les eaux-de-vie produites à partir des raisins cultivés dans le triangle d’or du cognac sont étonnamment légères en couleur et d’une exceptionnelle douceur. Je m’interroge. Une pointe de Folle Blanche par-ci par-là peut-elle à ce point faire la différence ? Apporter cette note fraîche, très florale et persistante ? Ce cépage historique et fragile a quasiment disparu de la région depuis l’attaque de phylloxéra à la fin du XIXe siècle. La famille Tesseron en a préservé cinq hectares sur son domaine qui en compte trente-sept.

Au pied de l’alambic, Romain Martial nous livre peu à peu ses secrets de fabrication. «La distillerie n’a aucun automatisme. La coupe se fait manuellement au nez et à la bouche, poursuit l’expert. Nous distillons le vin avec toutes les lies (sédiment très concentré en arômes, issu de la fermentation : ndlr), sans débourbage. Les lies sont riches en esters d’acide gras, propices à un long vieillissement.» Le maître assembleur voit loin. Chez Tesseron, le principe général ne s’applique pas. La plupart des eaux-de-vie passeront plus de dix ans en fûts avant d’être commercialisées. Exit les trois étoiles et les VSOP. Ici on compte en génération, un quart de siècle sinon rien. On fait du sur-mesure pour assurer la continuité, avec une coupe autour de 57-58% qui laisse passer un peu de secondes et offre ainsi de la rondeur aux eaux-de-vie. Là ou d’autres producteurs traquent les têtes de distillat, Tesseron en garde beaucoup. Mises en fûts neufs pendant quelques mois à plein degré – la préférence va au bois de chêne à gros grain et aux chauffes fortes -, les eaux-de-vie sont ensuite placées en fûts roux (fûts ayant déjà contenu du cognac). «C’est à ce moment-là que se dessine leur avenir. Je déciderai des premiers assemblages cinq ans plus tard, confie le spécialiste. J’ai toujours le cœur qui bat au moment de reproduire un assemblage de la gamme. D’une coupe à l’autre, les ingrédients ne sont jamais tout à fait les mêmes.» Le reste de l’élevage est entre les mains de l’impondérable facteur temps. Sa caresse modifie peu à peu la centaine de composés aromatiques de l’eau-de-vie, créant de nouveaux mariages, en défaisant d’autres pour aller vers toujours plus d’arômes, plus de douceur, plus de rondeur.

La roue tourne

À cognac, tout le monde se souvient des vingt ans de crise qui ont mis l’économie régionale à l’agonie dès le milieu des années 90. On a pensé un temps que la maison Tesseron n’y survivrait pas. Dans ces années noires, la distillerie a perdu 90 % de son chiffre d’affaires. «En 2000, nous avons dû nous séparer à contrecœur de notre propriété de Bonneuil, cédée à la maison Hine, tout en préservant le vignoble de Saint Surin en Petite Champagne et nos stocks, se souvient Mélanie Tesseron évoquant un épisode douloureux. On n’allait pas lâcher l’affaire comme cela», reprend l’héritière d’une famille terrienne avant tout. La crise a du bon, du très bon même ! Dans les chais, les eaux-de-vie invendues poursuivent leur bonification. La famille Tesseron continue «coûte que coûte» à cultiver la vigne, à distiller et à élever ses cognacs. Elle s’en sort grâce à ses activités bordelaises. Dans l’adversité, la maison est en train de se constituer l’un des plus beaux stocks de cognac de la région. La solution viendra de la vente en bouteilles lancée en 2002 pour le plus grand bonheur des amateurs. La roue tourne, le marché du cognac reprend des couleurs et les prix du vrac se mettent à flamber. Chez Tesseron, les eaux-de-vie de Grande Champagne viennent à manquer, inévitablement quand – clin d’œil du destin – une très belle propriété et son vignoble de vingt-deux hectares sont en vente à… Bonneuil. Le Maine Pertubaud, un hameau entièrement rénové par le norvégien Jenssen avant d’être lâché par des investisseurs russes, entre dans le giron de la maison Tesseron en 2013.

Combien sont-ils encore aujourd’hui ces viticulteurs bouilleurs de cru à vendre la totalité de leur production en bouteilles ? Une seule main devrait suffire à les compter. Abel Tesseron en a rêvé, ses héritiers l’ont fait. Fidèle à la volonté du patriarche, amoureux des eaux-de-vie rares et des beaux mariages, la famille Tesseron continue à signer de grands cognacs de tradition… en toute discrétion.

Par Christine Croizet

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