Macbeth, une tragédie au royaume du scotch ou comment un designer, un illustrateur, un écrivain et un négociant conjuguent leurs talents pour donner vie à une collection originale de whiskies. Distillées aux quatre coins de l’Ecosse, les expressions proposées ici mettent en scène les personnages de la célèbre tragédie universelle de William Shakespeare, Macbeth. Sur le papier, ça résonne comme une blague, un pari inédit… et pourtant, c’est une passionnante mission initiée par Alexis « Lexi » Burgess, en partenariat avec Elixir Distillers. Pour l’occasion, whiskymag.fr déplie le strapontin et vous installe aux premières loges.
De ce côté-ci de la Manche, le projet attise autant la curiosité qu’elle suscite l’envie et fait saliver les papilles. Au commencement, l’initiateur : un designer reconnu à travers l’Ecosse, Lexi Burgess. L’homme tire des bords depuis des décennies dans l’industrie du whisky, au sein de l’une des plus fameuses agences de design londonienne, spécialisée dans le whisky, Burgess Studio. Des années durant il compose des coffrets, dessine et crée une flopée de flacons exceptionnels pour le gotha du scotch : Glenfiddich, The Dalmore ou Bowmore apparaissent en bonne place dans son portfolio.
“ À mesure que ma fascination pour le whisky grandissait, je me suis laissé absorber par l’histoire des distilleries et des personnes qui les entourent, les allégeances, les efforts collectifs, mais aussi l’ambition impitoyable et les rivalités intenses. Je pensais : c’est comme Macbeth, et c’était ça ”, interpelle Lexi. «
La trame est trouvée, reste maintenant à bien s’entourer pour concrétiser ce projet un peu fou. Premier constat, le nombre d’embouteillages est connu puisque la pièce comprend 42 personnages, autant de caractères à mettre en scène. Seule la profondeur, la richesse et la diversité d’un stock de barriques déjà existant est obligatoire. Entrent en scène Sukhinder Singh, fondateur d’Elixir Distiller, incontournable négociant britannique et Oliver Chilton, le Master Blender maison. Ils ont immédiatement trouvé l’idée intrigante.
“ Parfois, dans notre industrie, un projet se présente et on ne peut pas dire non, celui-ci en faisait clairement partie ” ; se rappelle Sukhinder Singh. Oliver saisit la balle au bond : “J’y ai vu l’occasion de créer une remarquable compilation de whiskies, puisant dans chaque recoin de nos stocks, chacun inspiré par les personnages les plus complexes du théâtre classique. Passionnant !”
Nouvelle étape, imaginer une cohérence entre les caractères et le whisky. Lexi imagine alors une distribution des rôles en fonction des distilleries, des profils organoleptiques et bien sûr des prix. Ainsi naissent les Rois (The Leads) avec des single malt écossais rares de grand âge, des whiskies d’environ 30 ans pour représenter les nobles (The Thanes). La pièce comprend également de nombreuses apparitions fantomatiques, parfaites pour les distilleries silencieuses et fantômes (The Ghosts) tandis que les Sorcières (The Witches) prendront la forme de blends et les meurtriers les malts insulaires (The Murderers). Enfin, pour les porteurs, médecins, coursiers (The Household), l’option des whiskies disponibles à des prix plus accessibles est retenue. La structure fonctionne et au final chacun peut, selon ses moyens, acquérir une ou plusieurs expressions.
Pour immortaliser les bouteilles, Lexi pense spontanément à Quentin Blake, avec lequel il travaille depuis 20 ans. Célébré mondialement, ce Britannique illustre des ouvrages depuis des décennies, dont de nombreux contes pour enfants. En 2015, Sir Quentin a d’ailleurs été anobli par la reine Elisabeth 2 et nommé chevalier de la Légion d’honneur.
Si l’idée est au départ timidement accueillie par Blake, sa curiosité s’aiguise lorsque Lexi suggère les oiseaux anthropomorphes pour illustrer le jeu d’acteurs sur les étiquettes des flacons.
“Quentin me rappelle le lendemain, il s’était réveillé à 4 heures du matin et avait terminé une série complète de dessins. C’était l’un des moments les plus passionnants de ma vie professionnelle”, se souvient Lexi.
Reste le liant, la touche finale avant la première représentation, qui saura faire le trait d’union entre les différents protagonistes et les jus sélectionnés. Pour conjuguer le tout, un seul personnage est à la hauteur du projet et spontanément Lexi contacte Dave Broom. L’auteur et chroniqueur s’attèle donc à la tâche : faire que les whiskies se confondent aux personnages.
Dave relie et creuse en profondeur les protagonistes, les dialogues, les discours, les connexions géographiques du Macbeth de Shakespeare et fait apparaître les analogies avec la distillation et les assemblages de whiskies.
“ Les personnages principaux incarnent évidemment la division, entre lumière et obscurité – la vraie question était de savoir comment signifier cela dans le whisky ? La fumée évoque la sauvagerie et le danger, un égarement dans le côté obscur. Le sang et le gore de cette tragédie évoquent des whiskies très sherry, et la bonté est naturellement véhiculée par le chêne américain : doré, miellé, doux et sucré. ” Dave Broom
Un livret vient donc illustrer ces 42 bouteilles qui composent la Collection Macbeth, divisée en 6 séries de 5 actes. Le premier acte est disponible depuis le 27 février dernier, en quantité limitée au Royaume-Uni (exclusif à The Whisky Exchange et Livingstone), en France, au Canada, à Taïwan et au Japon.
Parmi les pépites de ce premier acte, un Glen Grant distillé en 1965 embouteillé à 48,2%. En notes de dégustation, Broom souligne que ce whisky est “Comme une onction, bien que vieilli et lourd, avec les oppressions du temps, la gentillesse et l’élégance demeurent. Un sentiment d’ordre et de calme s’unissent.”
Autre joli moment, un Glen Garioch de 31 ans embouteillé à 54,6 %, au sujet duquel Oliver Chilton précise “ Notre choix de distillerie s’est ici arrêté sur Glen Garioch qui au début des années 1990 est revenu à une production plus lente, clairement perceptible par la légèreté du whisky. Fleurs et épices sont équilibrées sur une bouche et une finale onctueuse et délicate.”
Le reste de l’acte convoque un Linkwood de 31 ans à 48,2%, un BenRiach de 31 ans à 53,1%, un single grain de la distillerie des Lowlands Cambus (fermée en 1993) à 46,2 %, un single malt d’Islay passé en fût de Pedro Ximenez à 51,7%, un single malt de l’île de Mull de 18 ans à 50,5%, un Ardmore de 12 ans à 52,5% passé en ex-fût de Laphroaig et enfin un Blair Athol de 10 ans à 51,8%.
Nul doute que les prochains actes mériteront le détour. Mais au vu des jus proposés pour ce premier opus, la tragédie se tiendra loin des verres