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Whiskymag.fr s’associe à Velier Explorer le temps de quelques articles. Les coulisses d’une distillerie, le portrait passionné d’un distillateur, les archives d’un embouteillage iconique, autant d’invitations au voyage que de découvertes passionnantes et passionnées autour des spiritueux. Pour le premier épisode de la série, Gianfranco Pola (Bartender Italien et Ambassadeur), part à la rencontre de Philippe Rochez, directeur zone export de la Chartreuse. Un entretien exclusif qui revient sur la découverte de la liqueur légendaire à la recette secrète, ses vertus médicinales et sa méthode de fabrication artisanale maîtrisée uniquement par les moines de la Grande-Chartreuse.

 

Portail d'Aiguenoire_crédit Stéphane Couchet
Distillerie extérieure Aiguenoire_Crédit Pascal Flamant
Site de production des liqueurs Chartreuse_Crédit Pascla Flamant
Distillerie d'Aiguenoire_Crédit pascal Flamant
Cave de vieillissement_Crédit Pascal Flamant
Les Caves de la Charteruse Voiron_Crédit Christophe Levet
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Bonjour Philippe, depuis quand travaillez-vous pour la Chartreuse ?

Mon aventure a commencé le 18 décembre 1988, lorsqu’on m’a demandé de m’occuper du marché italien et de la distribution transalpine. À l’époque, on travaillait avec l’importateur génois Soffiantino. J’ai commencé par une période d’essai de six mois, aujourd’hui cela fait plus de trente ans.

 

A quoi fait référence exactement le nom Chartreuse ?

La Chartreuse est le nom du massif montagneux qui se trouve dans les Préalpes françaises, à la limite du département de l’Isère et, dans une moindre mesure, de la Savoie. Ce massif a donné son nom au monastère de la Grande Chartreuse, fondé par l’ordre des Chartreux en 1084.

 

Parlez-nous de l’arrivée du manuscrit…

C’est un fait historique très intéressant, qui remonte à 1605. L’ordre des Chartreux existait déjà depuis des siècles. On sait que ces moines ont survécu grâce à leur dévouement au travail et qu’ils s’adonnaient à différentes activités, comme la menuiserie ou la production de fer. Mais les chartreux recherchaient aussi, sans cesse, des plantes et des fleurs ayant des vertus curatives pour les hommes. Ainsi, en 1605, les moines de la Chartreuse de Vauvert de Paris, reçoivent un manuscrit mystérieux du duc François Hannibal d’Estrées. On n’a jamais su quelles étaient les origines véritables de ce manuscrit, mais l’on sait qu’il contenait une recette, ou mieux, une sélection de 130 variétés d’herbes, fleurs et épices. C’était la formule pour un « élixir de longue vie ».

 

Quel genre d’herbes ?

 

Les plus diverses. A cette époque la route des épices avec l’Inde était ouverte et les voyages vers les Amériques étaient fréquents. Il n’était donc pas rare de trouver en Europe des matières premières venant d’ailleurs. La formule du manuscrit avait une vocation thérapeutique et donc des propriétés médicinales. Depuis sa première fabrication, réalisée à Paris en 1605, la recette a été modifiée et réadaptée par les moines, de sorte que ses propriétés soient renforcées. C’est ainsi qu’est né, en 1764, l’Élixir Végétal de la Grande Chartreuse. De là sont dérivées toutes les versions successives de la liqueur : essentiellement, la Chartreuse Verte et la Chartreuse Jaune, les deux à base de 130 herbes comme le veut la formule manuscrite, mais avec des dosages et des procédés d’élaboration différents. L’Élixir est obtenu à partir d’une seule distillation, avec différents processus d’extraction et de macération, mais sans vieillissement ni recours à la chimie. Les Chartreuses Verte et Jaune, pour leur part, sont soumises à un processus de vieillissement.

 

L’Élixir est donc un produit… majeur ?

Oui, l’Élixir est un produit essentiel pour les moines. Il est réellement utilisé pour ses propriétés médicinales, qui sont efficaces. L’Élixir régule le métabolisme et il est employé dans la préparation de tisanes et d’autres remèdes. On peut imaginer qu’à terme, il sera intégré à d’autres emplois.

 

Et la Chartreuse Verte et Jaune ?

La Chartreuse Verte est, elle aussi, obtenue à partir de 130 herbes, mais elle a un goût plus végétal et amer. La Chartreuse Jaune, contenant le même nombre de plantes, aura un goût plus doux, plus méditerranéen si l’on veut, et une teneur en alcool légèrement plus basse. Des processus de vieillissement sont appliqués à ces deux distillats. Chaque aspect de la production de ces liqueurs, de la formulation au vieillissement, est le fruit de la connaissance séculaire et des traditions anciennes des pères chartreux. Chaque produit est 100% artisanal, fabriqué littéralement à la main à partir de mélanges d’herbes concoctés depuis 400 ans dans la même pièce du monastère. Un lieu d’une beauté unique, exhalant des senteurs extraordinaires. Dans un deuxième temps, les potions d’herbes sont transportées à la distillerie où auront lieu les différentes distillations, macérations et infusions.

Le processus est vraiment important…

Il est fondamental, d’autant plus que la marque appartient aux moines tout comme sa production et sa vente, qui sont gérées et conçues par les religieux. C’est un modèle économique très rare sur le marché international.

 

Parlez-nous des sucres, du miel, des bois utilisés…

Chaque processus de fabrication est resté secret jusqu’à nos jours. Personne en dehors des moines n’en connait les détails exacts. Ce que l’on sait, à notre niveau, c’est que le sucre de canne liquide est ajouté à la fin du processus de d’assemblage. Les moines utilisent une tonne d’herbes séchées pour produire 42 000 litres de liqueur. Le vieillissement se fait en fûts de chêne de 50 000 litres. Le bois provient de la forêt de Tronçais, dans le nord-est de la France. Il est utilisé par ailleurs dans la méthode du Chardonnay. Dans le cas de la Chartreuse, son emploi est approprié car ce type de bois favorise une oxygénation parfaite lors des vieillissements lents. Dans les phases successives, le liquide est transféré dans des fûts de 25 000 litres, puis de 12 500 litres, par réduction progressive.

L’accueil extraordinaire est l’une des spécificités de cette entreprise…

Je pense que cela fait partie de la philosophie des moines, qui mettent l’être humain au cœur de tout. Nous avons, nous aussi, un lien singulier avec eux. C’est ce qui donne un sens à notre travail et une valeur à notre communauté. C’est une très petite entreprise de niche, puisque nous ne produisons qu’un million et demi de bouteilles par an, pour un chiffre d’affaires d’environ 20 millions. C’est donc une toute petite entreprise, à la réputation immense. Cela s’inscrit dans la démarche des moines, naturellement.

Dernièrement, des cuvées spéciales ont été créées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Dans l’histoire de la Chartreuse, les moines ont eu la possibilité d’élaborer différentes versions à partir d’une seule méthode de production. Ils ont donc créé différentes cuvées. La Vep, née en 1963, est liée à la volonté des moines d’offrir au marché une expression plus vieillie de la Chartreuse, affinée dans des fûts de chêne plus petits : on dit que ce sont des fûts de 600 litres et le vieillissement dure entre 8 et 10 ans, mais nous ne le savons pas exactement. Sur le marché, il n’existe pas un distillat d’herbes aussi vieux, ce qui fait de cette version un produit extraordinaire et unique en son genre. Par la suite, les moines ont créé plusieurs liqueurs à l’occasion de commémorations d’événements historiques de la Chartreuse. La Liqueur du 9e Centenaire, bien sûr, à 47 degrés, née d’un assemblage de 20 profils de liqueurs, créée en 1984 à l’occasion des 900 ans de l’histoire de l’ordre monastique. Il y a ensuite la cuvée MOF, sortie en 2008, élaborée sur la base de la Jaune avec un résultat bien différencié de la Jaune traditionnelle. Parmi toutes les autres, la Reine des liqueurs, une édition ultra limitée, née de l’assemblage de vieilles Chartreuses. La Reine des liqueurs célèbre, avec un packaging renouvelé chaque année, la Jaune vieillie à 43%, créée au début du siècle dernier.

Merci Philippe. Terminons sur la citation en latin qui figure sur les étiquettes. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Stat Crux Dum Volvitur Orbis. La croix demeure pendant que le monde tourne. Cette devise est à l’image du travail des chartreux. C’est aussi l’emblème de l’ordre : un globe surmonté d’une croix. Cette image symbolise la fermeté, la stabilité de l’Ordre dans l’agitation permanente de l’humanité et l’évolution de l’histoire.

 

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