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Ce chêne asiatique rare et coûteux a grandement participé à bâtir la légende des single malts nippons, et bien au-delà. Pourtant, il se prête mal à la tonnellerie et a même failli disparaître du Japon il y a quelques années. Allons y voir de plus près.

Mizunara. Un mot qui, bien placé sur une grille de Scrabble, pourrait compter triple, mais bien plus encore si on l’imprime sur une bouteille de whisky, où ses 4 syllabes suffisent à affoler la curiosité des amateurs et le chéquier des collectionneurs. Tenez, la maison Suntory présentait le 22 juin 2022 à Paris la nouvelle collection Tsukuriwake, un quatuor de Yamazaki égrené en accords avec les mets de la table Ogawa.

Devinez quel embouteillage eut l’heur de clore le dîner, après Puncheon, Spanish Oak et Peated Malt ? Mizunara, en toute simplicité, Mizunara qui se cède à 750€ quand ses 3 acolytes s’abandonnent à 500€ (avant quadruple salto sur le second marché). Car les single malts vieillis en fûts taillés dans ce chêne asiatique sont rares, aussi rares que l’arbre qui les berce. Le géant Suntory en remplit à peine 400 chaque année.

Quercus crispula, le pire cauchemar des tonneliers

« Le vrai mizunara, insiste Ichiro Akuto, fondateur de Chichibu, est le chêne Quercus crispura, une sous-variété de Quercus mongolica avec lequel on le confond souvent. Leurs qualités aromatiques sont pourtant bien différentes. » Il croît essentiellement au nord et dans le centre du Japon, dans le sud des îles Kouriles et sur Sakhaline (en Russie) ou en Corée, dans les zones de basse montagne, en prenant tout son temps – près de deux cents ans pour atteindre sa maturité. Et zigzague vers le ciel, tourmenté et tortueux, en brassant des branches : un cauchemar pour les tonneliers qui affectionnent les troncs rectilignes et sans nœuds. L’arbre tordu vit sa vie, l’arbre qui pousse droit finit en planches, prétend la sagesse asiatique qui parfois se plante.

Très aqueux (mizu signifie eau en japonais, nara désignant le chêne), il doit d’abord sécher longtemps avant de se réincarner en douelles, et a tendance à se fendre en perdant ses eaux. Poreux, ce bois fuyard présente en outre une fâcheuse tendance à pisser dans les chais : la part des anges s’éponge à la serpillère autour des fûts de mizunara.

Malgré l’interminable liste de ses défauts, les distilleries japonaises ont dû se résoudre à l’utiliser en tonnellerie pendant la Seconde Guerre mondiale, quand l’Occident, un rien courroucé par l’attaque sur Pearl Harbour et ventilé sur le front du Pacifique, cessa d’approvisionner l’Empire du Soleil-Levant en matières premières, et notamment en bons vieux fûts de chêne européen et américain. Mais elles l’ont par la suite adopté en raison des arômes uniques que le mizunara conférait au whisky. Des notes singulières d’encens épicé, de noix de coco, de bois de santal et d’agar, de « temple japonais », comme le résument le Nippons.

Des cuves de Chichibu au carnage en forêt

Bien qu’il devienne moins actif au fur et à mesure des remplissages successifs, un fût de mizunara peut rendre de fiers services au spiritueux pendant une cinquantaine d’années, ins s’il contrôle son incontinence. On le taille de préférence en grosses barriques de 500 l. « Il délivre ses meilleures performance avec ce ratio bois/liquide, révèle Kimio Yonezawa, fondateur et master blender d’Hatozaki. Et cela permet d’entonner de plus grands volumes. Aucun autre type de bois n’apporte une telle complexité aromatique, ce qui lui permet de jouer un rôle central dans les assemblages. Le mizunara se prête particulièrement bien à l’élevage des whiskies de poids moyen ou légers et floraux, moins aux distillats carné et sulfureux, et avec lui mieux vaut enfûter à un degré légèrement plus bas qu’avec des barriques classiques. »

Chichibu voue un culte à ce bois, au point d’avoir intégré à la distillerie une petite tonnellerie qui se consacre entièrement à la fabrication des fûts de mizunara. Mieux : Ichiro Akuto a fait tailler dans le chêne asiatique ses cuves de fermentation. « Des lacto-bacilles différentes s’y développent, apportant d’autres types d’esters », assure-t-il (lire ici). Cet arbre emblématique dont l’ombre enveloppe le whisky japonais a pourtant failli disparaître de l’Archipel. Dans les années 1980 et pendant trois décennies, un champignon porté par un insecte a décimé la population de Q. crispula dans la forêt secondaire nippone (lire ici), tuant 200.000 arbres par an au plus fort de l’épidémie.

En raison de son coût élevé et de sa rareté, l’usage du mizunara reste très marginal. Mais il suscite pourtant des vocations au-delà du Pacifique et de l’extrême orient. Chivas, Bowmore (groupe Beam Suntory), Writer’s Tears en Irlande ou Tessendier en France (pour ses whiskies et son cognac Park) se sont par exemple frottés au précieux bois asiatique. Et la tonnellerie Baron, en Charente, vient de l’inclure à son catalogue d’innovations. Qu’un chêne vieux de 200 ans s’affiche à la pointe du progrès révèle une ironie insoupçonnée dans la poésie de l’Histoire.

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