Et si vous osiez marier single malt, cognac, armagnac, gin, etc avec des huîtres, écrevisses, oursins, saint-jacques & co ? Avouez que ça changerait un peu des pairings whisky-fromage et rhum-chocolat. Allez enfiler votre ciré, on part à la plage à marée basse. Pensez à prendre un verre, j’apporte les bouteilles.
Reposez-moi ce tire-bouchon, allez ranger la bouteille de blanc et refermez bien la porte du frigo. Car, pour faire honneur au plateau de fruits de mer, je vous invite plutôt à piller le bar à spiritueux, sur les conseils de La Distillerie générale. La joyeuse équipe emmenée par Paul-Charles Ricard m’a démontré par A comme amande de mer + B comme bulot qu’on pouvait faire monter les vagues et danser les algues avec quelques bouteilles bien choisies et une fraîche cueillette de coquillages à marée basse. Avec le master distiller de Glenlivet Alan Winchester et le maître assembleur de Martell Aldrick Dehec en renfort sur le pont, et le king du bar Kaled Derouiche épaulé par le prince des marées Ismael-Adam Drissi-Bakhkhat, j’ai pêché le temps d’une soirée chez Korus quelques tips à l’épuisette. Et me voilà prête à partager.
Je vous ai déjà déblayé les accords whisky et fromages (ici), vous avez forcément déjà testé les pairings chocolat (avec du rhum, du malt, du cognac…), et les alliances tapas ou petits fours avec diverses fortunes au cours de dégustations. Vous voilà prêt, en principe, à vous jeter sans bouée dans l’eau salée – pensez à battre des pieds, on ne sait jamais, mais stabilisez la main qui tient le verre.
Avec des pousse-pied, servez une vodka émoustillée de 2 ou 3 gouttes de jus de violets, qui apportent une pointe d’iode sauvage. Gardez les violets pour accompagner un single malt tourbé cendré (le Caperdonich 20 ans 1997 de la Distillerie générale pour changer des Islay) ou un speysider encore tendre élevé en fût de sherry fatigué, une vodka polonaise frappée ou un London dry gin. Pour jouer avec le croquant iodé des amandes de mer, sortez le cognac (je l’ai testé sur un Fin Bois 2008 sélectionné par Martell mais ne craignez pas de dépoussiérer les bouteilles plus anciennes) ou un vieil armagnac, voire un rhum sec ou un malt âgé passé en fût de xérès. « Tous les spiritueux se parlent, observe Paul-Charles Ricard, à l’origine de La Distillerie générale. En choisissant de les embouteiller dans de petits flacons de 35 cl, on offre aux amateurs la possibilité de les faire dialoguer plus souvent. »
Comme les single malts tourbés-cendrés, qui semblent fumer sur feu de bois les fruits de mer, la vodka se prête à tous les sévices marins : qu’on vous la serve aussi bien sur le caviar que le tarama dans les adresses spécialisées aurait dû vous mettre sur la voie : cette gnôle va avec tout, en raison de son aromatique discrète et de sa texture soyeuse. Mais en bloody mary sur des crevettes fumées ou avec un tourteau, vous réclamerez un supplément de sang !
L’époque perdrait sans doute un peu de sa tension élégiaque si l’on servait davantage de bulots avec le gin. Oui, oui, vous pouvez me citer. Si en outre vous roulez le mollusque dans de l’oignon caramélisé et l’escortez d’un dirty Martini, il n’est pas impossible que la félicité guette, attendant son heure au fond du verre ou de la coquille.
Si l’on met de côté la vodka, aux affinités non sélectives, c’est la fraîcheur croquante et boisée du gin qui s’accommode du plus large nuancier iodé : lâchez le London dry sur un tourteau ou des huîtres, des vernis ou des crevettes, des langoustines ou des bigorneaux, laissez-le enlacer un poulpe… Le gin est le Neptune du coquillage et crustacé.
Pour un supplément d’originalité, vous pouvez le remplacer par une absinthe qui, un poil plus chichi-pompon, se vautre sur les araignées de mer ou le homard, les coquilles saint-jacques, les huîtres plates. Mais la diablesse verte sait se mettre à portée du peuple avec les moules et les pétoncles. L’amertume persistante et la suavité fruitée-florale de la gentiane, pour peu que vous la choisissiez avec du coffre (le batch 1993 qu’embouteille à 36% la Distillerie générale : kkkssssssss…) acceptera en sus les clams et les ormeaux si vous vous sentez d’humeur à descendre entre les rochers. Encore qu’un White Negroni apporterait un grain de sophistication supplémentaire. A vous de voir.
On peut pétoncler (un cran au-dessus de mouler sur l’échelle de la paresse qui va de 0 à l’infini) sur un single malt non tourbé ou un cognac, de préférence brut de fûts. Osez le poulpe en accord avec un cognac, un armagnac, un whisky ou un vieux rhum non édulcoré. Savourez les saint-jacques terre-mer cuisinées avec un copeau de foie gras et un beurre de poutargue en accord avec un vieux cognac. Gardez les ormeaux pour l’armagnac, et sachez que la folleblanche, mieux qu’une vodka, sublimera presque tous les accords de la mer. Sortez un vieux single malt patiné de tourbe en accord avec le caviar, les oursins ou les violets mais préférez un whisky plus fruité en accord avec le tourteau, le homard, les écrevisses, langoustines (surtout si vous les épicez à la plancha)… Perso, j’ai fini sur un sublime Longmorn 48 ans 1969 embouteillé à 44,4% et servi seul. En accord avec moi-même.
Par Christine Lambert
Retrouvez Christine sur Twitter