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Spécial Bourbon

Comment naît le profil aromatique du bourbon ?

D’où proviennent les arômes et les saveurs du bourbon ? Ian Wisniewski propose un petit guide à l’usage de ceux qui voudraient comprendre comment et pourquoi le bourbon possède une palette de saveurs aussi puissantes.

Par Ian Wizniewski

Il est essentiel, de temps à autre, de se mettre au vert, de se retirer loin de tout. Idéalement, pendant une semaine ou deux. Mais un long week-end, pas trop loin, peut parfois tout aussi bien faire l’affaire. Et toutes les fois que je me trouve dans l’impossibilité de boucler ma valise et de prendre la direction de l’aéroport, je puis me fier à d’autres options, plus immédiates, qui me font elles aussi éprouver un sentiment de libération. Quand je déguste un bourbon, par exemple, mon palais devient mon univers, car toutes les pensées qui me viennent alors à l’esprit, ce sont ses arômes et saveurs. Certes, c’est moins long que des vacances, mais c’est du moins une prouesse remarquable pour une si petite quantité de breuvage. Se pose alors la question suivante : comment le bourbon peut-il acquérir un profil aromatique aussi puissant.

Une question de céréales

Tout commence avec le mash bill, la “recette des céréales”, qui doit nécessairement contenir au moins 51 % de maïs, que complètent en proportions non réglementairement définies l’orge maltée ainsi que le seigle ou le blé. «Le mash bill a une incidence considérable sur les arômes et saveurs du bourbon final, car les arômes et saveurs des céréales se conservent durant les phases de distillation et de maturation», explique Denny Potter, maître distillateur de la distillerie Heaven Hill. Chaque céréale apporte sa contribution particulière sur le plan des arômes et des saveurs, mais aussi sur celui de la structure. «En réalité, on ne perçoit pas le goût du maïs dans Woodford Reserve, mais il apporte sa suavité, tandis que l’orge maltée se discerne comme un soupçon de biscuit sucré», précise Chris Morris, maître distillateur chez Brown-Forman. «Le seigle ajoute une belle dose d’épices, ce qui équilibre la douceur du maïs, de sorte que le seigle apporte lui aussi de la complexité», indique Brent Elliott, maître distillateur chez Four Roses.

De même, le blé, utilisé à la place du seigle pour produire les wheated bourbons, exerce lui aussi une influence particulière. «Le blé apporte des notes épicées semblables à celles du seigle, mais il est plus suave et plus doux, tandis que le seigle est un peu plus vif», poursuit Denny Potter dont la distillerie Heaven Hill produit deux wheated bourbons, Larceny et Old Fitzgerald. Sous un autre point de vue, «Le blé ajoute une douceur céréalée qui laisse s’exprimer plus puissamment la suavité crémeuse du maïs, ce qui crée également de la richesse, complète John Rempe, maître distillateur chez Rebel Yell. De plus, le blé favorise un toucher en bouche un peu plus doux, plus gourmand.»

La présence des différentes céréales est un facteur, leurs proportions respectives en sont un autre, tout aussi important. «Nous utilisons deux mash bills, l’un avec une proportion de 60 % de maïs, l’autre de 75 %, indique Brent Elliott. Les deux produisent un profil aromatique analogue, mais la recette à 60 % de maïs se focalise davantage sur le seigle, de sorte que les notes épicées sont davantage mises en avant. Par notes épicées, j’entends des arômes et des saveurs évoquant la muscade et la cannelle, non le poivré ni le pimenté.»

Des composés aromatiques supplémentaires sont créés en cours de fermentation, leur gamme étant déterminée par la souche de levure. «Nous utilisons cinq souches de levure différentes, poursuit Brent Elliott, car chacune crée un ensemble spécifique de flaveurs. Deux souches favorisent par exemple les notes fruitées, notamment l’abricot, les pommes et les baies, tandis qu’une autre apporte un caractère plus épicé, sur la muscade et la cannelle.»

La durée de la fermentation représente elle aussi un facteur essentiel, car les composés aromatiques apparaissent chacun à des intervalles de temps différents. «Woodford Reserve utilise une seule souche de levure, élaborée et cultivée par des microbiologistes dans le but de produire quantité d’esters (de notes fruitées) au cours d’une fermentation longue, d’une durée de six jours. Il en résulte une gamme complexe où l’on perçoit des notes de pommes, poires, baies, fruits tropicaux comme la banane et l’ananas, entre autres, mais aussi des notes d’agrumes, y compris l’orange, le citron et le pamplemousse», explique Chris Morris. La fermentation est donc l’une des bases du caractère de l’alcool.

«La distillation crée moins le caractère du distillat qu’elle ne lui donne forme et le raffine, poursuit Chris Morris. Le distillat de Woodford Reserve est très complexe. Il exhale des arômes floraux, une large palette de notes fruitées, des épices et un soupçon très agréable de douceur.» Le profil du distillat débute une nouvelle phase d’évolution au cours de sa maturation en fûts de chêne. «Une vaste gamme de flaveurs est extraite du bois, notamment la vanille, le caramel, une pointe de noix de coco, les notes fruitées, les épices comme la cannelle, la douceur et les notes boisées, explique Brent Elliott. Le barrel compte pour près des deux tiers des arômes et saveurs du produit final, selon la durée du vieillissement.»

Le poids du vieillissement

La vanille est non seulement une caractéristique essentielle, mais elle se développe aussi selon un calendrier particulier. «Les premières notes de vanille apparaissent après deux à trois ans de fût pour jouer un rôle plus central vers six à neuf ans, précise John Rempe. Son rythme d’extraction commence à ralentir vers 12-16 ans.» Mais la vanille exerce aussi une influence plus considérable. «La vanille cède de la profondeur à une palette de saveurs apparentées, comme le chocolat, le cacao et le caramel, poursuit Brent Elliot. Elle contribue à relever et arrondir d’autres arômes et saveurs, et à les rassembler, d’une façon très comparable au sel en cuisine.»

L’évaporation et l’oxydation sont deux facteurs supplémentaires dont il convient de tenir compte. L’évaporation se traduit à l’intérieur du fût par une diminution du volume de liquide et l’apparition d’un espace vide entre le niveau de l’alcool et la bonde du fût. Rempli d’air entrant et sortant du fût, ce vide favorise l’oxydation. «Au cours de la première année, le volume d’alcool dans le fût diminue de 10 à 15 % en raison de l’évaporation mais aussi de l’absorption par les douelles d’une certaine quantité de liquide, développe Chris Morris. Au cours de la deuxième année, le taux d’évaporation n’est plus que de 4 à 6 %, mais l’évaporation n’en reste pas moins un facteur déterminant dès le début. Avec l’oxydation, elle favorise des réactions complexes responsables de l’apparition des notes de fruits rouges et de fruits secs, ainsi que d’épices supplémentaires comme la cannelle.»

Ces différentes influences s’inscrivent dans une intéressante chronologie. «Au cours des trois-quatre premières années, l’alcool exprime des notes prononcées, boisées et épicées, qui sont extraites du fût, poursuit Chris Morris. Puis il y a un tournant avec les premiers signes de douceur, c’est-à-dire le caramel et une note de sucre brun, mais l’eau-de-vie reste dans l’ensemble encore assez plate par comparaison au whiskey parvenu à maturité. Vers cinq à sept ans, la douceur et les notes fruitées gagnent du terrain, ce que nous recherchons étant un équilibre de la douceur, des fruits et des épices. Chaque fût évoluant selon un rythme et une direction individuels, nous choisissons nos barrels en fonction du profil aromatique du whiskey mûr, non de son âge.»

L’embouteillage Elijah Craig single barrel 23 ans, commercialisé chaque année, est un bel exemple de vieillissement prolongé. «C’est un style audacieux, conclut Denny Potter, caractérisé par de grandes quantités de vanille, de caramel, de fruits comme les cerises, et de boisé. Ce qui est fondamental, c’est de conserver un équilibre, un bourbon trop vieux étant en effet susceptible d’être écrasé par le boisé et l’astringence. Il n’y a pas de ligne de démarcation en ce qui concerne le nombre d’années de séjour en fût, car le bourbon se développe en fonction d’un si grand nombre de variables, comme par exemple l’emplacement du fût dans le chai, de sorte que la question se résume à surveiller l’évolution individuelle de chacun des fûts.»

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