Alléluia ! Après trois ans d’interruption, ce grand classique des «sherry bombs» fait son retour chez les cavistes. Mais ce n’est pas tout à fait le même. Explications… et comparaison.
Trois ans qu’on attendait son retour mais, entre nous, cela m’a semblé terriblement plus long. Le GlenDronach 15 ans Revival retrouve dès le 8 octobre le chemin des cavistes, et pour la secte d’admirateurs qui geignait un peu partout à travers le monde – ne te moque pas, j’en fais partie –, l’heure est à la célébration. Miaou! Aux yeux des amateurs de single malts élevés en fûts de xérès, la petite distillerie des Highlands tient une place à part, et c’est peu dire que la communauté des whisky lovers attendait de voir, saisie de palpitations, comment le géant américain Brown Forman (maison mère de Jack Daniel’s) allait habiller la mariée après son rachat il y a deux ans.
Le recrutement de la master blender Rachel Barrie, débauchée de chez Morrison Bowmore, envoyait déjà un signe rassurant, mais le revival du Revival sous sa patte magique va nous calmer les crises d’angoisse. C’est bon, tu peux respirer par le ventre, tout va bien se passer.
La disparition de ce classique des «sherry bombs» élégantes et racées n’avait rien d’un caprice. Simplement, la distillerie avait éteint les alambics et tiré le rideau entre 1996 et 2002, avant de fermer de nouveau quelques mois en 2005, et ce trou dans les chais a dicté des choix drastiques, à savoir le sacrifice du Revival. Sa résurrection, dans le fameux étui vert sombre et les mêmes 46% mais moyennant quelques euros de plus (79€), ne se fait pour autant pas à l’identique. La version précédente vieillissait intégralement en anciens fûts de xérès oloroso, alors que la nouvelle assemble des whiskies élevés en oloroso et en pedro ximenez (PX, disent les initiés).
«J’aime pouvoir jouer sur les deux types de xérès, reconnaît la master bender. Cela me permet d’affiner les assemblages. L’oloroso donne de la profondeur, de la fraîcheur, de la sècheresse, il apporte ses notes balsamiques, de fruits secs, de noisette, et un spectre aromatique plus large. Le PX est plus dark, plus sweet – un fût garde 300 à 500g de sucre résiduel –, mais il enrichit le whisky d’épices, de gingembre, de fruits confits, de mûres, de chocolat, de treacle. Il offre aussi de la longueur en bouche.» Mais Rachel Barrie est une chimiste de formation, une scientifique qui a fait son trou parmi les artistes de l’assemblage sans se départir de son esprit analytique. Alors elle poursuit: «C’est le bois qui impacte le whisky, pas le précédent contenu du fût. Ou, plus exactement, c’est la façon dont ce précédent contenu interagit avec le chêne quicompte. Si l’oloroso et le PX donnent des résultats aussi différents dans les maturations, c’est parce que leurs pH ne sont pas les mêmes, parce qu’ils s’oxydent différemment, parce qu’ils n’extraient pas les tanins de la même façon, etc. C’est ce que le sherry fait au chêne qui importe, pas le goût du sherry en lui-même.»
Avant de râler par principe devant le changement, sache que c’est la 3e fois depuis sa création que le 15 ans voit sa recette modifiée. Avant de râler par principe devant le changement (bis), sache que son goût évoluera forcément de nouveau dans le futur, puisque depuis septembre 2005 la distillerie a remplacé la flamme nue alimentée au charbon sous ses alambics par la chauffe indirecte à la vapeur, avec un impact de facto sur les arômes. Or, les fûts emplis de ce nouveau distillat, si tu comptes bien, n’ont pas encore 15 ans.
On goûte? Le Revival a gardé sa robe mahogany et ses reflets acajou. Mais là où «l’ancien» allait chercher des notes oxydatives dans une profondeur abyssale et une fraîcheur toute en finesse, remontant à la surface le brou de noix et les noisettes oubliées dans la corbeille, les tomates vertes confites, les fruits secs, le bois précieux sur le chocolat mentholé, «le nouveau» ramone avec douceur le chocolat noir, les mûres, le cassis, les cerises noires et les oranges sanguines, caressés de menthe. «Ces notes de menthe sur le chocolat, ce côté After Eight liquide, GlenDronach ne les développe qu’à partir de 15 ans, avec l’oxydation dans le fût de xérès. Et son fruit devient plus sombre, sur les mûres, les cerises marasquin», reprend Rachel Barrie.
Pour comprendre un whisky, il faut aller à la source. Viens, allons faire un tour dans la distillerie. Le moût clair, très fruité, fermente 60 heures en semaine, le temps de développer son fruit dominé par la poire, et 96 heures de week-end, où il se gorge de notes d’oranges, plus lourdes, et se patine de cire. C’est le mélange des deux qui est ensuite distillé dans deux paires d’alambics dotés de oggies (des sortes de bouées qui forment un bourrelet à la ceinture et forcent le reflux dans les cuivres) et de cols descendants (qui, eux, laissent passer des composés plus lourds, lesquels ont du mal à se hisser en haut de cols ascendants et doivent abandonner la partie, donnant des whiskies plus «légers»). Une fois éliminées les têtes et les queues (ce qui rend aveugle et ce qui donne un goût de vieux savon), on recueille le fruit d’1h30 de distillation sur un total de 6 heures.
«La forme des alambics, avec une base large et un col élancé, laisse les notes maltées dans le fond et capture le fruit, le tabac, le cuir, explique Rachel Barrie. On obtient un distillat robuste, gras et crémeux, avec le fruit, oranges et mûres en notes de tête, et le chocolat, le cuir, le tabac en notes basses. C’est là que tout commence. Ce distillat, c’est la raison qui fait qu’on utilise des fûts de xérès, et il est parfait pour les longues maturations. Jamais de fûts de chêne américain, cela ne marche pas avec GlenDronach, pas assez de tannins. Uniquement du chêne européen.»
Alors, si tu me demandes franchement, je vais avouer un faible pour la finesse nerveuse de l’«old Revival». Mais le «new Revival» lui fait cent fois honneur dans sa douceur contemplative. Il se sirote après le repas comme on retrouverait un vieil ami perdu de vue: on a changé, bien sûr, on a vieilli, on a peut-être perdu en souplesse mais l’essentiel est là. On peut continuer la conversation.
Par Christine Lambert