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Distillerie parmi les plus emblématiques et sans aucun doute la plus authentique de Jamaïque, Hampden perpétue des traditions séculaires et produit aujourd’hui encore du rhum comme on en faisait au XVIIIe siècle. Retour vers un passé toujours d’actualité (et assumé) d’une distillerie à la pointe de son authenticité.

 

Par Cyril Weglarz

Situé à Trelawny, dans la vallée de la reine d’Espagne, la propriété de Hampden couvre aujourd’hui plus de 5 000 hectares et possède une très longue histoire liée à la production de sucre et de rhum en Jamaïque. Si les fondations de la propriété remontent à aussi loin que l’année 1743, la plantation sucrière officie quant à elle une décennie plus tard et le rhum coule pour la première fois en 1779. Pendant plus de 250 ans, Hampden restera aux mains de deux familles, tirant sa principale source de revenue de la vente en vrac auprès de divers revendeurs du monde entier et particulièrement en Europe comme la société E & A Scheer d’Amsterdam qui fournit la quasi totalité des embouteilleurs indépendants, pour proposer finalement depuis 2011 sa propre marque avec le rhum blanc Rum Fire et, en 2012, les Hampden Gold et Rum Fire Velvet destinés aux marchés étrangers (tous les deux non vieillis et colorés).

Mise aux enchères

La distillerie aura connu des périodes d’inactivité et des temps assez durs, notamment en 2003 lorsque le gouvernement jamaïcain en prendra la direction pour tenter d’éponger de lourdes dettes et conserver des centaines d’emplois. Le ministre de l’Agriculture de l’époque ira même jusqu’à déclarer la distillerie de Hampden “archaïque” et non rentable. Il faudra attendre quelques années pour qu’en 2009, à la suite d’une longue et fastidieuse bataille judiciaire, le gouvernement décide finalement de mettre aux enchères la propriété qui deviendra dès lors le bien de la famille Hussey, à l’origine du renouveau de la distillerie.

Car si la distillerie était jadis jugée obsolète et primitive par les politiques, soulignons que Hampden perpétue encore aujourd’hui des méthodes d’agriculture et de production vieilles comme deux doyennes de l’humanité, un processus de fermentation unique au monde et une distillation traditionnelle discontinue en alambic à repasse (pot still). Elle a su ainsi rester fidèle à ses traditions et fait partie de ces très rares distilleries à utiliser les vinasses (le fameux dunder, résidu de distillation traînant au fond des alambics) dans sa fermentation pour donner naissance à des rhums High Esters, plus connus chez nous sous le nom de Grand Arôme. Des rhums puissamment aromatiques dits puants ou “stincky” destinés à servir de rhum de coupage dans les assemblages ou encore dans l’industrie agroalimentaire ou celle de la parfumerie. Et même si la distillerie peut produire sur demande des rhums très légers et peu aromatiques, elle demeure la seule en Jamaïque à se spécialiser principalement dans la fabrication de rhums lourds : ces heavy pot still pouvant aller légalement jusqu’à 1 600 esters (contre 50 g/hl pour les plus légers). La distillerie annonce même être en mesure de proposer une concentration en esters qui atteindrait les 3 000 g/hl.

Un élixir magique ?

Mais Hampden ne s’arrête pas à la “simple” réutilisation de ses vinasses, au recyclage de son dunder, puisqu’elle pousse l’estime de ses méthodes ancestrales jusqu’à perpétuer les “muck pits”. Il s’agit de fosses creusées à même le sol à l’extérieur de la distillerie, sorte de composteurs jamaïcains, dans lesquels sont mélangées les vinasses, les résidus prélevés au fond de cuves diverses et variées en fin de saison, en plus de fruits parmi lesquels la banane, le jacquier et la sapotille qui aident notamment à stimuler les niveaux d’azote. Ces tranchées sont maintenues continuellement à niveau, fourmillant de levures spécifiques en développement continuel et dont l’interaction sera entretenue au cours du processus de fermentation. C’est l’élément clé, l’ADN à l’origine du profil aromatique si caractéristique des rhums qui sortiront de chez Hampden. Une boue comme élixir magique, qui l’eut cru ?

La fermentation se déroule ici dans des douzaines de cuves en bois où le moût, combinaison de mélasse, d’eau, de dunder (vinasse), de jus de canne à sucre et de notre fameux “compost”, est laissé au travail durant sept jours, après quoi il reposera autant de temps (et même jusqu’à trois, voire quatre semaines) avant que la distillation en alambics ne transforme cette boue en or. Savant mélange de bactéries et d’acides soigneusement cultivés, le “dead wort”, qui signifie littéralement “moût mort”, est donc prêt à être distillé après plusieurs semaines entre activité et repos forcé. Un bouillon vivant, une potion magique en devenir. Nul besoin de levure de boulangerie dans pareille pâte : ici, tout est sauvage, spontané et naturel. Même le cèdre utilisé pour raccommoder les épreuves du temps et les fuites des cuves est issu d’une essence locale, où chaque morceau est scellé avec des feuilles de bananier sans aucun adhésif. Hampden a réussi le pari fou de perdurer et de renaître de cendres incandescentes, sans quasiment aucune évolution technologique.

Fermentation ancestrale

Aujourd’hui encore, le temps semble s’être arrêté et la distillerie fonctionne comme elle le faisait déjà il y a plusieurs siècles, faisant hurler la même mécanique et appliquant les mêmes secrets de fabrication. Vivian Wisdom, aux manettes de la distillerie et de la partie fermentation/distillation enfonce un premier clou : «La partie la plus ancienne de la distillerie est notre salle de fermentation qui correspond à la distillerie telle qu’elle a été construite en 1753. Les murs de pierres sont encore debout avec de vieilles poutres apparentes en bois». Hampden entretient un lien très spécial et même symbiotique avec son environnement proche qui, pour elle, est «le sang de la distillerie». Vivian poursuit : «Les méthodes de fermentation et de distillation n’ont jamais changé et nous produisons encore aujourd’hui comme nos ancêtres l’ont fait depuis 1753».

Même l’eau qui est utilisée est naturelle et provient des montagnes environnantes. Elle fournit une flore microbiologique vitale pour la fermentation et, une fois utilisée, les eaux usées sont recyclées et filtrées par phytoépuration dans un bassin extérieur avant d’être réintroduites dans la nature. Hampden s’est même lancé dans un programme ambitieux pour être la première distillerie en Jamaïque à atteindre une empreinte carbone nulle et prévoit l’utilisation de composants et matériaux (notamment en acier) recyclés à 100 % pour ses rénovations en cours et à venir. Un parti pris mené par la famille Hussey dès son implication dans Trelawny, qui souhaite apporter des responsabilités autant économiques que sociales, et privilégier un lien et un tissu social et régional fort et lourd de sens.

Pure single rum

Côté distillation, Hampden possède quatre alambics provenant de trois continents : deux Forsyths fabriqués en Écosse, un Vendome en provenance du Kentucky et un dernier alambic d’Afrique du Sud. Le plus grand d’entre eux est à l’écart des autres qui tiennent une place stratégique près des fosses à “muck”. À partir de son savoir-faire et de ses différents alambics, la distillerie produira une gamme assez large de pure single rums répertoriés sous différentes références pour l’export et la vente en vrac, qui servira à créer des marques ou à bonifier des blends dans les Caraïbes, l’Europe et l’Amérique du Nord. Parmi ces rhums, classés du plus léger au plus lourd :

LFCH : contient entre 85 et 120 esters (g/hl), plus léger mais toujours issu des alambics à repasse
LROK : entre 200 et 400
HLCF : entre 500 et 700
< > H (Diamond H) : entre 900 et 1 000
HGML : entre 1 000 et 1 100
C < > H : entre 1 300 et 1 400
< > DOK : le plus aromatique, compris entre 1 500 et 1 600, soit le maximum autorisé par la Jamaïque et principalement utilisé comme agent aromatisant dans les friandises et le tabac, ainsi que dans l’assemblage de rhums en très faible quantité.

Il suffit, comme le rappelait Dave Broom dans son livre Rum sorti en 2003 (éditions Abbeville Press), de penser au blended whisky. Le rhum léger (light) représente le grain et le rhum lourd (heavy) le malt. Ainsi, seules quelques gouttes d’un rhum lourd de chez Hampden sont nécessaires pour parfumer un assemblage tout entier. Au contraire, un trait d’eau effacera les notes de vernis et de peinture si caractéristiques au profit d’arômes plus séduisants et exotiques d’ananas, de fleurs et de banane. C’est dire la puissance aromatique et toute la personnalité des rhums produits par Hampden. Avis aux amateurs de sensations fortes…

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