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C’est comme si tous les rêves, toutes les attentes, tous les combats n’avaient mené qu’à ce moment : Nicolas Julhès, le fondateur de la Distillerie de Paris, présentera son premier whisky au Whisky Live Paris. L’aventure peut maintenant commencer.

 

Il ne savait pas que c’était impossible. Alors il l’a fait. Après des années à se cogner la tête contre les briques du mot « non » qu’on opposait à son projet, Nicolas Julhès a construit une distillerie en plein Paris (l’histoire se raconte ici et ici). Et en a fait son journal intime. Son carnet de croquis. La boîte sans couvercle des rêves qu’on refuse d’enfermer et qu’on laisse s’échapper pour mieux les suivre à la culotte.

Le whisky est de ces rêves, et il sort enfin. Le premier jamais fabriqué à Paris. N’importe qui en ferait à juste titre un événement. Nicolas Julhès a choisi de s’effacer : au Whisky Live Paris où son single malt sera présenté en avant-première, il tiendra le stand Cardhu, pas celui de la Distillerie de Paris. Nul pince-fesses mondain pour présenter la quille, aucun communiqué annonçant la nouvelle. Fin août, il fallait taper dans les fûts sortis prendre l’air dans la cour sous un soleil voilé pour enfin goûter les prémisses du futur assemblage. Parfois, on ne sait pas raconter soi-même les rêves qui nous étreignent le cœur et nous taraude l’âme, on compte sur les autres pour comprendre sans mots.

Ça tombe bien, le whisky parle. Il n’a pas de nom, seules les lettres “Whisky”, “Paris” sur l’étiquette, mais sa voix porte, posée, singulière et sûre de son fait. Et, à une époque où l’écho remplace trop souvent le propos, l’animal a des choses à dire. Il est jeune mais déjà pose ses conditions : prenez votre temps, faites connaissance, laissez-le s’ouvrir sans le hâter. Et arrimez-vous à la balustrade, ce whisky va déboussoler.

 

 

Sa céréale, un mélange de malt blond majoritairement, chatouillé de malts fumés, tourbés et torréfiés, garde tout son poids et sa fraîcheur. La matière, grassouillette mais affûtée, se pose avec tendresse entre les reliefs patiemment sculptés dans la gnôle, tendue par un boisé fin et précis – alors que le liquide a connu au moins une huitaine de fûts neufs dans sa courte vie, caressée de fumée, adoucie de chocolat presque brûlé. La tourbe aérienne de la finale reste longuement en bouche, comme un souvenir qui ne vous quitte pas.

“Je voulais fabriquer un whisky texturé, ciselé, avec du relief, de l’énergie, tout en gardant le goût de l’eau de vie de céréale, explique son créateur (la vidéo, c’est ici).Ce travail commence avec l’assemblage des malts, puis des fermentations longues de 200 à 260 heures, et la distillation en Holstein qui donne de la matière. Je dis “ce travail”, mais c’est tout sauf un travail, c’est une aventure. Ensuite… Ensuite, on façonne cette matière avec les fûts. Et, là, la tonnellerie Seguin-Moreau m’a beaucoup aidé.”Mais cet “ensuite” hésitant masque mal la tragédie du temps. Car l’ami Julhès est de ces personnalités électriques qui ne se posent que dans le mouvement, qui coincent 100.000 idées dans des journées de 24 heures et ferait paraître L’Homme pressé de Paul Morand comme le dernier des procrastinateurs. L’interviewer, c’est mener trois conversations de concert avec la même personne. « Tu savais qu’on pouvait écouter les livres audio en vitesse x2 ?, jubile-t-il ce jour-là. La voix est à peine compressée, depuis que j’ai découvert ça je peux “lire” deux fois plus en voiture.”

Combien de fois l’ai-je entendu pester, au fil des New Malts et jeunes ryes qu’ils composait, contre la contrainte des trois ans de vieillissement indispensables pour prétendre à l’appellation whisky ? “J’ai toujours cette crainte de perdre la fraîcheur, la matière première. Mais, finalement, j’ai adoré avoir ce temps pour construire, travailler le whisky. L’idée de fermenter, distiller, mettre dans un fût passif qui bosse dans ton dos et attendre trois ans, c’est pas ma came. Et c’est trop risqué. Moi, je goûte mon chai toutes les semaines. Les gnôles restent quatre mois maximum dans un même fût, parfois à peine une semaine quand j’ai besoin d’aller chercher un kick d’oxygénation. Je les laisse respirer, je les secoue, je les déplace, je les change… Le whisky ne dort jamais, je le sculpte en permanence.” Une hérésie en termes de rentabilité, mais…“Mes gnôles, je les fais d’abord pour moi. Si le public les aime, ce sera presque de l’ordre de l’accidentel.” Attachez vos ceintures, et préparez-vous au carton.

 

 

Dernière phase de la sculpture, l’assemblage, une mécanique de précision : “Comme accorder un piano ou régler le moteur d’une voiture de course. Tu reviens, tu corriges finement, un vrai moment de bonheur. Finalement, le temps, les trois ans, m’ont beaucoup apporté – pas à mes gnôles, mais à moi-même. J’ai appris, j’ai compris des choses, j’ai changé.”Et par un ironique retournement, c’est en réalité à nous autres amoureux du whisky ou curieux de tous bords que le temps va manquer. Car à raison d’une soixantaine de bouteilles de 50 cl seulement (à 43%), mises en vente à 89 € à la boutique du Whisky Live et à la parfumerie Julhès uniquement, il ne faudra pas traîner pour espérer mettre la main sur le batch inaugural. D’autant que la cuvée suivante se fera sans doute attendre des années faute de stocks. Que voulez-vous, les rêves s’embarrassent rarement de business plan.

 

Par Christine Lambert

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